LE TEMPS QU’IL FAIT LE 3 MARS 2016 – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 3 mars 2016. Merci à Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le jeudi 3 mars 2016

J’ai un bouquin qui sort bientôt, il sera envoyé aux commentateurs et aux interviewers éventuels le lundi 7. Il sera en vente dans les librairies le 21 mars parce qu’on compte qu’il faut 2 semaines aux libraires pour ouvrir les boîtes. Amazon qui utilise, comme vous le savez, des robots plutôt que des êtres humains pour ouvrir les boîtes, peut vous le fournir le 16 mars. Mais je vous recommande d’attendre et d’aller chez votre libraire. Votre libraire aime les livres. Amazon aussi peut-être, mais pour des raisons plus commerciales. De toute façon, si vous voulez savoir de quoi ça parle, je vous ai mis, hier, en ligne, une bande annonce.

Cette bande annonce, je l’ai reçue un peu inopinément. C’est Nadia Delhaye qui était l’organisatrice des grandes conférences liégeoises et qui l’est toujours d’ailleurs, mais qui m’a signalé que la conférence que j’avais faite [est désormais en ligne], et il est dommage qu’on ne voie pas que je parle à des milliers, je ne sais pas combien, peut-être 3.000 ou 4.000 personnes. Dans cette vidéo on a l’impression que je parle à 2 ou 3 pelés et 4 tondus mais non, ce sont des immenses foules qui vous écoutent avec attention ! Et cette vidéo, du coup, parce qu’elle avait été enregistrée le 2 avril 2015, par curiosité, je l’ai regardée. Je ne suis pas le seul heureusement, je m’aperçois que je ne suis pas le seul. Voilà où j’en étais dans ma pensée. Mais aussi, je peux bien le dire, est-ce que j’avais bien fait ça. Bon voilà, on a toujours un petit peu d’appréhension. Quand on est là, au moment même, quand c’est la catastrophe et que soudain on se retrouve le bec dans l’eau, ça on s’en souvient après. Mais sinon, en tout cas moi, on a une idée assez vague si on a bien fait ça ou si on ne l’a pas bien fait. Et alors, en la regardant, je me suis dit « Tiens, c’est très intéressant, en fait ce sont les prolégomènes : ce qui s’esquisse là, c’est ce que j’ai mis ensuite dans ce livre qui paraît très bientôt ». Il s’appelle : « Le dernier qui s’en va éteint la lumière ».

Et là, j’ai réfléchi à la genèse de ce machin. Comment est-ce que cela avait marché ? Et puis, je viens de regarder dans mon agenda pour essayer de comprendre comment ça c’était fait. Parce que cela a commencé en février 2015. On m’avait contacté pour cette émission qui finalement est passée à la télévision. Le « finalement », c’était voulu : il y a un temps énorme qui se passe entre la préparation de l’émission qui s’appelle « Noms de dieux » et ce qui passe à la télévision belge. Je crois que la série est terminée maintenant après la 200ème. C’est aussi à Liège que cela a été tourné, dans les studios de la RTBF. Mais cela se passe en plusieurs étapes, parce que quand vous regardez le produit fini, comme vous pouvez le voir sur la vidéo, cela paraît vraiment très au point. Il y a différents thèmes, on vous demande de préparer une phrase, de montrer un objet, etc.

Alors, comment ça se passe ? Il y a un collaborateur de la personne responsable de l’émission, en l’occurrence Edmond Blattchen, qui vous interviewe d’abord par téléphone longtemps avant et qui vous pose les mêmes questions qui vous seront posées et puis qui écrit un texte, une retranscription. Et c’est un très, très long texte. Et au moment où j’ai reçu ce texte, je me suis dit : « Tiens c’est curieux, c’est très curieux ». Et pourquoi est-ce curieux ? Eh bien parce que cette émission « Noms de dieux » – ce n’est pas un juron : c’est une reconnaissance, ce n’est pas tout le monde qui passe là, c’est une médaille qu’on vous donne ! Quand je dis une médaille, cela me fait rigoler parce que, c’était hier, il y a quelqu’un qui m’invite pour un truc, c’est un inconnu, c’est un monsieur très ronflant : il y a des tampons, des cachets et tout ça. Je regarde et je trouve le nom de cette personne sur l’Internet et il n’y a pas grand-chose sur lui : il n’y a pas de déni que ce soit une personne de pas très connue, mais quand vous regardez, ce bonhomme, il a une liste invraisemblable de médailles de tous les pays. Il est chevalier de ceci, commandeur de cela, etc. Et je me disais, il y a quand même deux sortes de personnes alors : il y a les personnes qu’on écoute et voilà, c’est une forme de reconnaissance particulière, et puis ceux qui reçoivent des médailles et dont on n’a jamais entendu parler. Bon c’est un peu une digression, je reviens à ce que je voulais dire. C’est donc une émission sérieuse, on vous interviewe longuement. Et donc, on reçoit une retranscription de la répétition générale, si vous voulez. Alors après, quand l’émission se passe, bien évidemment, la personne qui vous interroge, elle sait déjà tout ce que vous pourriez dire sur le sujet. Alors, pour donner un petit cachet quand même d’originalité, elle vous prend à contrepied, elle essaye de vous pousser dans vos derniers retranchements, etc., etc. Et donc finalement il y a deux choses : il y a la retranscription de l’interview qui a eu lieu au départ et puis ce que vous avez finalement dit quand on a essayé de vous rendre intéressant en vous coinçant un petit peu, en essayant de souligner des contradictions dans ce que vous dites, et ainsi de suite.

Donc, je regarde ce texte, ce texte me frappe parce que justement on s’attend dans une émission comme celle-là, que vous ayez une vision mystifiée du monde. Que vous soyez vaguement religieux, de telle ou telle manière. Que vous soyez superstitieux. Cela m’a frappé quand le bonhomme me dit : « Donc vous êtes superstitieux ! » Il n’arrivait pas à me faire dire que je croyais en Dieu ou à des machins cachés derrière, mais à un moment il se dit que je suis peut-être superstitieux. Alors, je dis : « Il ne faut pas rigoler ! », bien entendu, avec en plus, l’ethnologie, cela avait été défini par Edward Tylor au 19è siècle comme étant la discipline qui allait dissiper toutes les superstitions. Ce qui est une bonne chose, mais en étant respectueux quand même : on va voir cela et puis on écoute, mais c’est quand même pour que les gens ne croient pas trop à des fariboles.

Et donc, je me retrouvais avec un portrait de moi-même que je n’avais jamais vu, c’est moi sur la défensive, disant tout le temps : « Non, non ! ça se sont des effets de miroir, ça c’est de la brume artificielle, ça c’est parce qu’on prend les gens pour des gogos ! », etc, etc.

Alors voilà, quelque temps plus tard je fais la conférence liégeoise et je me rends compte que je la situe un peu par rapport à cela. C’est-à-dire que je fais un peu un « Ce que je crois » : il y avait des bouquins autrefois quand j’étais gosse, mon père les collectionnait, les « Ce que je crois ». Voilà, c’était un peu la même idée et du coup, je me dis, je vais faire un « Ce que je crois » mais, pour qu’il n’y ait pas le moindre doute possible, que je ne suis pas un type avec brume artificielle et effets de miroir et ainsi de suite, à vous dire : « Oui, oui ! il y a des choses très cachées ! ». Ou alors à la Heidegger : « Attention, je vais vous dire quelque chose qui va vous faire trembler ! Faites bien attention ! », etc. Non, ce n’est pas ça !

Alors quand je rencontre Sophie de Closets, des éditions Fayard, un peu plus tard, parce qu’on va discuter, parce que les éditeurs qui vous publient, ils aiment de temps en temps vous voir et vous demander ce que vous allez faire maintenant. Eh bien, je luis sors un petit peu, je dirais, un mélange de la conférence liégeoise et de la préparation de l’émission « Noms de dieux ». Elle a l’amabilité d’être très enthousiaste : « C’est très bien ! », et je ressors tout content parce que là on a un accord, on va faire un livre de ce type là. Et voilà, il sort.

Ce dont je me rends compte, c’est que le discours que je tiens est un discours de Cassandre. C’est un discours, on pourrait dire, tout à fait désespéré, mais en même temps, quand je reçois ce matin un message qui me dit : « J’ai parlé à tous les gens autour de moi, tout le monde a baissé les bras. Tout le monde renonce ! », je me dis mais c’est quand même extraordinaire, parce qu’on peut dire de moi : c’est le type qui dit c’est fini, c’est la catastrophe, etc. mais je dirais, dans une perspective optimiste, si je peux dire. En me disant qu’il y a des tas de choses à faire, qu’on peut essayer de renverser la vapeur. Vous voyez ce que j’essaie de faire en essayant de convaincre Thomas Piketty de se lancer dans la présidentielle. Et toutes les objections qu’on me fait, c’est du même genre, on me dit : « Oui, mais à quoi bon ? Oui, mais c’est très difficile. Oui, mais il y a des gens qui ont déjà essayé. Je vais plutôt voter… » et alors ils vous disent le nom d’un candidat qui rame depuis des années et des années…

La conclusion, eh bien je vais terminer là-dessus, c’est que j’ai l’impression qu’avoir une vision démystifiée, de ne pas croire à tous ces machins… pourquoi est-ce que la vision démystifiée vous rend aussi optimiste et aussi convaincu qu’il y a moyen de faire des choses ? J’ai l’impression que c’est parce que ceux qui croient à des tas de choses, et qui dans une émission comme « Noms de dieux » auraient tellement fait plaisir à Monsieur Blattchen en disant : « Voilààà… il y a des questions que l’on se pooose… et on ne connait pas les réponses… mais il y a de grands MYSTÈRES derrière tout cela… », ces gens là, j’ai le sentiment qu’ils n’y croient pas vraiment, ou qu’à moitié.

Ce qui me revient, c’est cet excellent article d’Octave Mannoni, un psychanalyste, mort il y a pas mal d’années mais qui avait écrit cet article « Je sais bien, mais quand même ». Je crois que tout le monde est pratiquement sur le mode du « Je sais bien, mais quand même », c’est-à-dire que même les choses qu’on croit, on ne les croit jamais qu’à moitié. Il y avait une très belle histoire racontée dans cet article, si vous le lisez, c’est l’histoire de Casanova qui séduit des belles et cela passe souvent par le fait d’avoir des conversations avec la famille et de faire bonne impression, etc. et il prétend qu’il va faire un truc de magie, et, au moment où il va faire son truc de magie, il est clair dans ce qu’il raconte que, il se dit que cela marchera peut-être. Alors qu’il sait que c’est bidon ! En principe il devrait savoir que c’est complètement bidon mais il se dit « On ne sait jamais… on ne sait jamais ! ». Et nous, c’est souvent le contraire : « Oui, je crois que ceci, je suis convaincu que cela ! », et puis dans leur for intérieur, ces personnes là, elles n’y croient pas vraiment. Alors, je crois qu’il faut essayer de faire comme je l’ai fait dans ce bouquin – j’espère que vous allez le lire – mettre tout à plat, en disant : « Tout cela c’est bidon, tout cela ce sont des salades, ce sont des fadaises, alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Et je vous l’ai déjà dit : on ne peut pas prouver qu’il faut sauver le genre humain et l’humanité, cela ne se prouve pas, c’est une chose qu’on a envie de faire ou pas. Moi personnellement, j’ai envie que cela continue… qu’on s’améliore quand même. Je me dispute un petit peu dans tous les coins, sur un mode un peu réformiste d’un côté, sur un mode un peu plus révolutionnaire d’un autre, je fais [flèche] de tout bois mais j’ai l’impression qu’avant de partir, il faut faire un max quand même. Pourquoi ? « Pour la beauté du geste » comme j’avais dit un jour. Je ne sais pas exactement ce que veut dire l’expression mais je me comprends et j’espère vous aussi, que faire quelque chose pour la beauté du geste, ça vaut la peine.

Voilà, à bientôt, à la semaine prochaine sans doute.

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