La Grèce aux Antilles, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité

La crise “couleur du temps” incarne déjà cette autre réalité (ou peut-être fiction) décidément installée(s). Ces deux derniers jours, du reste sous la pluie, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Athènes comme ailleurs, contre l’énième plan d’austérité depuis 2010… rien que pour l’honneur. Le “gouvernement” Tsipras fera adopter les mesures de son mémorandum 4bis comme prévu. Devant le monument du Soldat inconnu, les gardes Evzones veillent toujours. Attraction touristique.

Manifestants, rue Stadíou. Athènes, le 16 mai 2017

Manifestants disparates et cortèges dispersés d’après les “particularismes” de façade des fédérations syndicales… et espoir disparu depuis bien longtemps. Manifestant “de base” pourtant bien dignes, contre ce vote d’un énième train “d’austérité” prévoyant près de 5 milliards d’euros de coupes dans les retraites et de hausse des taxes et impôts, augurées pour 2019 et 2020, soit après la fin du mandat de ce “gouvernement”. “L’austérité” c’est en réalité ce nouveau régime métadémocratique, automatiquement piloté, au système électoral très exactement calculé… pour ne servir que d’alibi. Les décisions ont été prises déjà et surtout ailleurs.

Sous la pluie ou sous le soleil, les habitudes se prolongent, à défaut d’autre transformation que celle de notre… crisanthropisme alors tout cru car entier. Les Grecs deviennent aussi au fil des années… inédites, déjà moins loquaces entre eux. Souvent, quand certains peinent et les autres pas, on n’a rien à se dire, ni à faire ensemble parfois. Les stratégies de l’évitement se multiplient, d’autant plus que l’essentiel des efforts se consacreront souvent à se maintenait économiquement en vie.

 Sous la pluie. En Attique, en face de Salamine. Mai 2017

 


“Tous SYRIZA”, slogan corrigé. Athènes, mai 2017

 

Manifestants, “Syndicat bâtiment” proche du PC grec (KKE). Athènes, le 17 mai

 

Maison à vendre depuis des décennies. Athènes, mai 2017

“Le Grec ne s’anéantit pas dans la Nature non plus qu’il ne l’asservit, mais en s’accordant avec elle, il garde ainsi lui-même sa propre autonomie et réalise la plénitude de son être”, écrivait Raymond Queneau, mais c’était en 1935 (revue “Le Voyage en Grèce” No 2, printemps 1935). Époque certainement révolue. De nos jours, dans le quartier aisé de Kolonáki et sur un mur, au slogan “Tous SYRIZA”, l’acronyme SYRIZA a été rayé, et la date de “1984” lui a été rajoutée. “1984”, faisant référence au célèbre roman d’anticipation d’Orwell. Dystopie, et alors ‘Big Brother’, du régime policier et totalitaire, de la société de la surveillance, voilà pour une certaine analyse politique… murale depuis Athènes… longtemps après que le Grec ne s’anéantit pas dans la Nature non plus qu’il ne l’asservit.

Les… monuments restent à leur place. Athènes, mai 2017

 

Terrasse en travaux. Athènes, mai 2017

 

Les faux… Anciens et leur regard bien actuel. Athènes, mai 2017

 

Touriste nourrissant les animaux adespotes. Athènes, mai 2017

En ce mois de mai 2017, les… monuments restent toujours à leur place et les visiteurs de la ville sont déjà nombreux. Les terrasses des cafés sont parfois encore en travaux car tout n’est pas tout à fait prêt pour la saison touristique. Cela, contrairement à nos faux… Anciens, au déguisement plutôt kitsch, jetant toutefois un regard… très actuel et insistant sur les jeunes femmes qui se promènent près des monuments. Le Grec ne s’anéantit pas dans la Nature non plus qu’il ne l’asservit, est-ce alors vrai quelque part ?

Ceci dit, les Grecs “s’adaptent” à la dite “crise”, tandis que nos touristes d’adapteraient on dirait à la présence chez nous de tant d’animaux adespotes, au point de les nourrir autant que certains d’entre nous. Et nous contemplerions alors la colline du Lycabette tous ensemble, quand nos animaux, plus adespotes que jamais, surveilleront à leur seule et unique manière, les entrées et sorties des visiteurs aux sites archéologiques de la capitale.

Animaux adespotes et visiteurs des sites archéologiques. Athènes, mai 2017

 

Animaux adespotes et visiteurs des sites archéologiques. Athènes, mai 2017

 

Anomique et… boutique en faillite. Athènes, mai 2017

Le pays s’installe progressivement dans ses températures estivales, hormis le passage pluvieux actuel C’est déjà ça. Le supposé “Parlement” adopte les mesures du mémorandum 4bis, assorties de l’inefficace poudre aux yeux d’un certain train de contre-mesures, le gouvernement Tsipras ayant depuis déjà bien longtemps fait préférer le néant au reste.

“Le ministre des Finances Euclide Tsakalotos se prévaut devant les députés de contre-mesures en faveur des plus démunis d’un montant de 7,6 milliards d’euros afin de remporter l’adhésion des élus de SYRIZA lorsqu’il faudra voter de nouvelles mesures d’austérité touchant les retraites et abaissant le seuil d’imposition. Mais leur financement n’existe que sur le papier et dépendra du dépassement des objectifs d’excédents budgétaires. Toute cette fiction est d’une extrême fragilité”, analyse très justement François Leclerc sur le blog de Paul Jorion .

L’époque se dit et s’annonce volontairement “anomique”, anémique, voire dystopique, d’après l’iconographie des rues et des surfaces athéniennes, investies par les graffitis illustrant certaines représentations. Nous savons que l’air du temps change et que les repères ne survivent que grâce à cette bien improbable “assistance médicale” en quelque sorte. La crise “couleur du temps”, incarnant déjà cette autre réalité et pour se défaire du défaitisme, il va falloir puiser parfois son énergie dans les petites histoires du passé, pas forcément ancien.

Yórgos Seféris (1900-1971), poète, écrivain et diplomate

 

Sous l’Acropole, mai 2017

 

En face du Lycabette. Athènes, mai 2017

Se référer par exemple à cette histoire peu connue, puisée du carnet personnel (publié en 1996 en Grèce) du poète Georges Seféris , une histoire alors mêlant les sculptures de l’Acropole à l’histoire familiale d’Alexis Léger, le tout, via leur probable aventure commune et… pour tout dire, grecque et créole. D’abord, Seféris, diplomate grec et Prix Nobel de littérature en 1963 avait déjà rencontré Alexis Leger, dit Saint-John Perse, diplomate français et Prix Nobel de littérature en 1960.

Sur l’histoire alors invraisemblable qu’Alexis Léger avait déjà mentionné au sujet des marbres et autres sculptures soustraits du Parthénon… et transportés jusqu’aux Antilles, le grand poète grec reçut cette réponse de leur ami commun, Henri Seyrig , scientifique surtout connu pour avoir occupé le poste de directeur général des Antiquités de Syrie et du Liban sous le mandat français, puis, pour avoir créé l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient.

Art Nouveau, exposition. Athènes, mai 2017

 

Présentation d’un livre. Athènes, mai 2017

“Dimanche, 30 mars 1958”

“Lettre d’Henri Seyrig datée du 18: Il a gardé sa promesse, il recopie de ses carnets de notes sa conversation avec Léger au sujet des marbres du Parthénon:”

“8 avril 1944.- Ce matin à la bibliothèque du Congrès, où j’ai fait une longue visite à Alexis Léger. N’avons pas dit un seul mot de politique. M’a raconté de beaux souvenirs d’enfance. Entr’autres celui-ci. Qu’en 1782 un navire ou vaisseau anglais avait chargé en Grèce des statues de marbre pour les porter en Angleterre; qu’à la sortie de Gibraltar il était tombé dans un combat qui se livraient Grasse et Rodney; que ce dernier lui avait donné l’ordre de se joindre à la flotte anglaise; que Rodney avait alors poursuivi Grasse jusqu’aux Antilles, et l’y avait battu aux Saintes; qu’enfin le bateau chargé de statues s’était échoué sur l’îlot dit St-Léger-les-Feuilles, ou simplement ‘l’îlot Feuilles’, qui appartenait dès lors (ou a appartenu depuis lors) aux Léger; que cette famille en avait extrait les marbres et les avait conservés pendant plusieurs générations; qu’il se souvenait de les avoir vus dans sa petite enfance, alignés dans une grande salle où il recevait ses leçons d’un vieil évêque, et comme quoi celui-ci les lui faisait admirer; que l’un d’eux était d’une femme, qu’un homme saisissait, et que ces statues étaient de ronde-bosse, et représentaient un combat de Centaures et de Lapithes; qu’une mission américaine, reçue par le père de Léger, les avait admirés; que peu après, une autre mission, composée de spécialistes, était venue tout exprès de la Nouvelle Orléans; qu’ils avaient voulu acheter ces statues, mais que son père les leur avait donnés; qu’il avait eu, lui Léger, un affreux désespoir en les voyant enlever; et que la mission pour le consoler lui avait envoyé un télescope, lequel il avait détesté, ainsi que tout ce que l’on y voyait (avec quelques mots de mépris sur les anneaux de Saturne).”

Saint-John Perse (Alexis Leger), 1887-1975

 

Henri Seyrig (à droite) en compagnie de Claude Levi Strauss, vers 1945

“Léger étant né en 1889, et ayant quitté la Guadeloupe à 10 ou 11 ans, c’est peu avant 1900 que ces marbres ont dû arriver en Amérique. Il serait curieux de savoir ce que c’est. Il poursuit:”

“Mes questions, aux États-Unis, ne m’ont jamais permis de recueillir la moindre trace de telles statues. Quand au récit de Léger, il comporte en tout cas une part de confusion. Il ne peut s’agir en aucune façon de la bataille des Saintes, où Rodney, à ce que je vois, est venu d’Angleterre, et non de Gibraltar. Il s’agit plutôt des événements de 1805. Villeneuve, bloqué par Nelson à Toulon, parvient à s’échapper, passe Gibraltar et vient aux Antilles, où il arrive le 14 mai. Nelson le poursuit parmi les îles, mais le manque, sur quoi Villeneuve repart pour l’Europe, où Nelson le rejoint à Trafalgar. Il n’y a pas eu alors de bataille aux Antilles. Mais naturellement le bateau chargé de statues – s’il a existé- a très bien pu s’échouer là pour une cause quelconque. Voilà ce que le puis livrer à nos réflexions…”

Une si belle histoire… de la Grèce aux Antilles, plutôt invérifiable.

En attendant peut-être la vérification de cette histoire extraordinaire, et à Athènes, on présentera toujours les nouveaux livres publiquement, crise ou pas. À l’instar par exemple du premier roman d’un jeune écrivain se réclamant de gauche, autant que d’un certain “réalisme sale” et dystopique. Vraisemblablement aussi, parce que la crise “couleur du temps” incarne alors cette prochaine réalité (et/ou fiction) décidément installée(s) dès lors dans les mentalités. Période et culture alors transitoires, avec, ou d’ailleurs sans l’écroulement du système (ou du système-monde). Le prochain grand soir apocalyptique serait donc apparemment techno-paranoïaque…

Couleurs du temps. Athènes, mai 2017

 

Cinéma de plein air. Athènes, mai 2017

 

Cinéma de plein air. Athènes, mai 2017

“Il existe à l’heure actuelle une littérature dite ‘de gauche’ qualifiée sans doute ainsi parce qu’elle exprime certaines idées libérales, au moyen de petites phrases uniquement composées de substantifs. On espère de cette façon faire aussi ‘avancé’ en rhétorique qu’en politique”, écrivait de manière tranchée Raymond Queneau, critiquant de la sorte le roman de Paul Nizan “Aden Arabie”, au moment de sa première parution. C’était en 1931, date alors fort lointaine (“La Critique sociale, No 2, juillet 1931).

Toutefois, l’incipit du roman resté célèbre, “J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie”, serait en phase de redevenir actuel par les temps qui courent.

Signes que nous observons de notre… dernier temps, à travers nos braves manifestants disparates et dispersés, d’après toujours les “particularismes” de façade des fédérations syndicales… comme de l’espoir disparu, contrairement à cette autre manifestation d’époque dont je garde un souvenir d’enfant que j’étais, aussitôt formée par les jeunes du moment, en pleine période de cette dictature des Colonels ; c’était alors durant les obsèques de Yórgos Seféris, le 22 septembre 1971.

Les obsèques de Yórgos Seféris, le 22 septembre 1971 à Athènes

 

Animaux desposés. Athènes, mai 2017

Plus terre-à-terre, disons-nous que l’existence s’articulera sans doute encore longtemps entre… animaux adespotes (sans maître) et animaux desposés (avec maître). Nos plus belles et ainsi petites histoires du moment, viendront ainsi de loin, de très loin même des “gouvernants” à l’énième train “d’austérité”, du théâtre d’ombres joué au “Parlement” par tous les partis et autant dans la rue par les organisations syndicales, ou enfin par ces néo-cagoulards, ayant mis le feu au garde abris du monument du Soldat inconnu à Athènes au soir finalement frisquet et humide du 18 mai , à la marge de la manifestation… anticipant rituellement le vote des “élus”. Suite au jeu de rôle habituel, le mémorandum 4bis a été nécessairement adopté tard dans la nuit… comme prévu.

Autres petites histoires du moment toujours, et il arrive parfois d’après mes observations, qu’un chien adespote emprunte le ferry-bac entre Salamine et la côte d’Attique bien en face (la traversée dure à peine quelques minutes). Il salue d’abord l’équipage comme il y revient toujours pour une caresse, avant d’accomplir le tour complet du pont-garage ouvert du bateau. Comme il ira prendre position en premier sur la rampe du ferry, pour littéralement sauter sur la terre ferme avant même l’immobilisation complète du bateau.

Le chien passager. Ferry entre Salamine et l’Attique, mai 2017

 

Le chien passager. Ferry entre Salamine et l’Attique, mai 2017

 

Le chien passager. Ferry entre Salamine et l’Attique, mai 2017

Plus terre-à-terre toujours mais à un autre niveau et, pour revenir à nos… occupations alors énormes, la crise “couleur du temps”, incarnera certainement longtemps cette autre réalité (ou peut-être fiction) décidément installée(s). La métadémocratie tient autant de ce régime où les terribles apories du futur (et en réalité de l’homme), demeurent le plus souvent occultées du plus grand nombre. Le paradoxe (apparent en tout cas) tient du fait que l’Homo sapiens (“homme savant”) lequel d’ailleurs n’a jamais été globalement très concrètement savant, atteindrait un stade désormais métanthropique, et cela, rien que par la mutation technoscientifique.

L’homme s’affranchirait certes enfin de la “prison” des organes de sa perception, une prison déjà partiellement comprise et alors décrite par certains Présocratiques (Héraclite notamment), sauf que les supposées élites technoscientifiques (et autant financières), ne se prononceront jamais très clairement sur le nombre (ou sur les origines sociales) des… heureux (?) bénéficiaires du prochain programme.

Au moment où les physiciens et les astrophysiciens évoquent alors la frivolité, voire, l’inexistence de la matière à un niveau qui dépasse de loin les perceptions nées sur notre planète, voilà que l’unique (et inique) système supposé économique actuel, pareillement issu des perceptions… matérialistes, initierait alors… tout seul comme un grand, la prochaine… “solution finale” planétaire, où les épisodes mémorandaires actuels, correspondraient apparemment à sa phase préliminaire.

Nous y sommes presque, la crise “couleur du temps”, Athènes de nouveau sous le soleil, le combat de Centaures et de Lapithes par cette Grèce aux Antilles pour l’instant invérifiable, et le seul regard enfin vérifié, celui de nos animaux adespotes.

Animal adespote, Athènes, mai 2017

* Photo de couverture: Garde Evzone. Athènes, mai 2017

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  1. @ Ruiz, Un savoir c’est l’ensemble des connaissances/informations acquises par une personne ou une collectivité via l’étude, l’observation, l’apprentissage et/ou…

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