CHINE – La chasse à l’ourson est ouverte ! par DD & DH

Billet invité.

Les médias occidentaux s’en éberluent et « Le Canard enchaîné » (19/7) s’esclaffe dans une brève intitulée « Winnie soit qui mal y pense » : Winnie l’Ourson, le gentil nounours des dessins animés pour tout-petits, est, en Chine, la dernière en date des proies traquées sur la Toile et promptement éradiquées par l’armée des zélés chasseurs-censeurs, jour et nuit à l’affût de la moindre menace pesant sur les fondements du régime ! L’apparition de quelques images de Winnie sur le Net soulignant une certaine ressemblance du personnage avec Xi Jinping a eu cet effet fulgurant : grand branle-bas de combat sonnant l’hallali !

Une fois de plus, la Chine ouvre sous nos pieds des abîmes de perplexité. Et une autre traque peut commencer, celle de l’interprétation de cette insolite riposte !

On sait que la caricature et la dérision ne sont pas le fort des régimes à poigne, mais se payer le ridicule de censurer un personnage aussi peu sulfureux que Winnie nous paraît si contre-productif et si peu flatteur pour le PCC que nous nous perdons en conjectures. Il est établi que l’approche d’un Congrès dudit PCC rend toujours le petit monde du renseignement et de la sécurité intérieure particulièrement nerveux et renforce sa posture défensive. Mais en être là ? La position de Xi Jinping serait-elle moins assurée qu’il y paraît ? Se tramerait-il dans les cabinets feutrés du sommet de l’État des manœuvres d’appareil dont la Chine a déjà fourni maints exemples et que l’opacité du système rend toujours possibles ? La fermeté grotesque de ce « silence dans les rangs ! » visant une petite créature sympathique et débonnaire plus propre à servir de « doudou » aux enfants que de fauteur de troubles dans la deuxième puissance mondiale est-elle à mettre en relation avec la mort de l’opposant Liu Xiaobo (le 13/7) qui a suscité l’opprobre de l’opinion occidentale et aurait fait « perdre ses nerfs » à la garde rapprochée du chef de l’État ? Enfin le système chinois serait-il si fondamentalement et structurellement paranoïaque qu’il ignore tout garde-fou ?

Toutes ces hypothèses ont leur validité. Que le PCC ne soit pas aussi monochrome et unifié que l’image officielle d’harmonie dont la Chine fait la propagande est une certitude. Les tensions peuvent y être très fortes, les couteaux ont souvent été sous la table y compris dans un passé très proche (mise à l’écart de Bo Xilai en 2012 ou de Sun Zhengcai, secrétaire du Parti à Chongqing, il y a quelques heures) et les éliminations (physiques dans les cas extrêmes) ont eu suffisamment cours dans l’histoire du Parti depuis sa création en 1921 pour que l’on tienne sérieusement compte de cette composante à la veille du 19ème Congrès de cet automne où Xi Jinping doit se succéder à lui même pour 5 ans. On y désignera aussi un nouveau Bureau Politique. A priori sans surprise. A moins que…

Que la mort de Liu Xiaobo et les conditions dans lesquelles elle a eu lieu aient contribué à la nervosité des instances dirigeantes, la chose est plus que probable. On s’en souvient, Liu est apparu sous nos projecteurs comme le chef de file d’une « dissidence » chinoise en 2008, l’année olympique qui a focalisé sur Pékin l’attention des médias du monde entier. La Chine avait voulu et réclamé à cor et à cris les Jeux Olympiques. Elle les avait certes obtenus, mais avec eux elle devait gober tout le désagrément collatéral : passage houleux de la flamme à Paris, tournée triomphale du Dalaï Lama et contestation interne décuplée par l’extraordinaire chambre d’écho opportunément offerte par la totalité des gazettes mondiales ! Le souvenir de cette poignée de ses ressortissants battant tambour en faveur des droits de l’homme et de la démocratie sous les applaudissements nourris du reste du monde demeure sans aucun doute aujourd’hui encore extrêmement cuisant. À la hauteur de la perte de face essuyée. Le camouflet s’étant alourdi en 2010 du Prix Nobel de la Paix décerné à Liu Xiaobo, la Chine a réagi à sa façon habituelle, celle que nous jugeons peu compatible avec les bonnes manières et qui consiste à frapper avec une sévérité proportionnelle à l’affront ressenti : condamnation de Liu à 11 ans d’emprisonnement. Sans aménagement ni remise de peine envisageable pour cause de focalisation des projecteurs étrangers sur ce citoyen emblématique (toujours la face !). Or Liu Xiaobo dans sa prison a développé un cancer des suites duquel il vient de décéder dans sa huitième année d’incarcération. Cette mort nous émeut bien évidemment : comment être insensible au sort d’un homme affronté aux assauts d’un mal incurable dans une tragique solitude et sans l’affection de ses proches ? Mais la polémique autour de son ultime fin de vie (sa (?) demande in extremis d’être transféré dans un pays « libre » pour y mourir « libre ») nous paraît avoir constitué une nouvelle provocation vis à vis de la Chine dont Liu agonisant a peut-être été davantage l’instrument que l’auteur. Mais que la Chine ait riposté en se vengeant sur Winnie l’Ourson ne la dédouane évidemment pas de son ridicule !

Quant à la paranoïa, non seulement elle existe bel et bien, mais elle semble même être structurelle et constitutive. On sait que les régimes de parti unique, surtout s’il s’agit d’un parti communiste (ou prétendu tel), sont particulièrement sujets à développer ce type de pathologie. On n’y reviendra pas en détail, mais on se souvient de cette forme de névrose qui empoisonna l’Union Soviétique au-delà de la menace bien réelle de la guerre froide et d’un encerclement par l’ennemi. La part irrationnelle et fantasmée de cette peur de l’ennemi de l’intérieur, loin de conjurer le danger, a, dans le cas de l’URSS, prêté main forte à ses véritables et réellement mal intentionnés adversaires. La Chine n’échappe pas à cette forme typique de phobie inaugurée par Staline. Mais, dans son cas, le rejet de ce qui, venu de l’extérieur, s’insinue dans son espace propre, remonte bien au-delà au point d’être une composante majeure de la civilisation qu’elle a développée. La Chine de toujours (si nous admettons que cette formulation est recevable) s’est vécue comme un… œuf ! Lisse, sans aspérités, sans coutures, pleine, complète, harmonieuse et surtout muraillée et hermétique. Indépendante (parce que seule au monde) et n’offrant pas de prise. Un seul Ciel, un « Sous le Ciel » (tian xia) occupant le milieu (zhong guo) et des permanences garanties intangibles par le modèle impérial : celui du mouvement des planètes et constellations autour de l’étoile polaire. L’œuf incarne un type de perfection formelle, il n’a qu’un défaut : il est fragile et redoute les contacts ! Les heurts avec les voisins de ses confins (Mongols et Mandchous) l’ont ébranlé et fissuré, mais la sinisation qui s’est imposée à eux, une fois victorieux, via l’adoption de la culture impériale chinoise a plus ou moins recollé la coquille. Plus menaçant et inconnu est le poison instillé par ceux qui vivent à l’autre extrémité du continent. Car les « barbares crus » de l’Ouest caresseraient bien, eux, des rêves… d’omelette ! Pour l’accommoder à leur goût, ils n’ont eu de cesse d’importer en Chine, par ruse, leurs propres assaisonnements : ceux-ci ont varié selon les époques et les « bonnes nouvelles » (« évangiles ») qui parvinrent à se glisser dans les interstices (toute coquille est un peu poreuse !) y firent miroiter des promesses différentes, du rachat des péchés par un Dieu crucifié au certificat de bonne conduite par les Droits de l’Homme, mais toutes prétendaient et se verraient bien encore commencer par casser l’œuf !

La Chine ne doute pas que son œuf héberge un fabuleux phénix et Xi Jinping va réclamer au 19ème Congrès du PCC cinq années supplémentaires de pleins pouvoirs sans partage en espérant être celui qui saluera et inscrira cette éclosion miraculeuse à son palmarès ! Mais la concurrence est rude et le monde est plein d’embûches. Dix précautions valent mieux qu’une, toute possible déperdition de plénitude doit être colmatée avec la dernière énergie : ça commence par une imperceptible fêlure, l’intrusion d’un Winnie l’Ourson multipliée sur la Toile à la vitesse de l’électron par exemple, et on ne sait où cela peut mener… Réagir à l’omni-menace à la même vitesse qu’elle sans s’accorder le temps de réfléchir à la méthode, c’est parfois donner des verges pour se faire battre ! En l’occurrence, sommet de la parano, s’offrir le ridicule de tuer une mouche avec un marteau-pilon !

 

À signaler. On a oublié de parler la dernière fois d’une expo qui se tient à Biarritz cet été (13 juin-20 août) : celle du peintre chinois contemporain Liu Bolin. Celui qui se peint jusqu’à l’invisibilité dans les décors qu’il choisit. Amateurs de vacances sur la côte basque, ne pas s’abstenir !

À ceux que les rapports entre la Chine et Winnie intéressent, il nous faut recommander la lecture de Le tao de Pooh de Benjamin Hoff (ed. Picquier, coll. Picquier Poche, numéro 216)

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