CHINE – Retour de Chine : Impressions en vrac (3) par DD & DH

Billet invité.

Le troisième volet de nos impressions de retour de Chine sera consacré à la prodigieuse accélération du tourisme en Chine et aux métamorphoses qu’elle entraîne dans les lieux qui se trouvent soudain promus au bel (?) avenir de « spots » touristiques majeurs et destinés à accueillir des foules considérables. Foules dont il convient d’avoir à l’esprit qu’elles vont découvrir le concept même de « tourisme » et en faire l’apprentissage pour la première fois. L’enjeu économique est colossal et ce n’est pas un hasard si ce sont des mastodontes du « capitalisme à la chinoise » qui investissent dans le secteur, ces « rhinocéros gris » qu’évoquait le 25/10/2017 un petit article de Béatrice Mathieu dans « L’Express« , rappelant que le pouvoir central les a à l’œil et se réserve le droit de leur serrer la vis du crédit et de leur rappeler sans trop de mansuétude la règle du « ai guo » (amour du pays, patriotisme) les invitant à ne pas disperser au delà du raisonnable leurs gigantesques capitaux hors des frontières ! Pour ces conglomérats, comme Dalian Wanda (créé en 1988) et Fosun (créé en 1992), l’investissement dans le tourisme en Chine est une bonne affaire à terme (à l’étape 2030 fixée par le 19ème Congrès) et une preuve de leur bonne volonté à se plier aux injonctions du PCC. Tout bénéfice !

On se souvient sans doute que Fosun, dans cette optique, a acheté le « Club Med » en 2015 mais on connaît peut-être moins chez nous les activités de Dalian Wanda. La firme, reine de l’entertainment en Chine, propriétaire de milliers de cinémas et de karaokés, de dizaines d’hôtels cinq étoiles et de centres commerciaux, a conçu en 2013 au Shandong un projet d’Hollywood chinois géant (10 studios sur 376 hectares) aux abords de la ville côtière de Qingdao. Partout où Wang Jianlin, son big boss, flaire un potentiel touristique, il place ses billes et étend sur toute la Chine la toile d’araignée de ses projets de grande envergure. Son unique modèle, la référence qu’il cherche à transposer partout, est à 100% étasunienne : ce sont les parcs à thème avec folklore et attractions livrés clefs en main, complètement « intégrés », all included. 

Nous n’avons pas « découvert » la tendance à l’œuvre dans le domaine du tourisme façon Dalian Wanda lors de ce dernier voyage car bien des signes s’en dessinaient depuis plusieurs années. Les exemples abondent, nous n’en choisirons qu’un pour ne pas alourdir notre propos. En 2013, lors d’un périple dans les parties les plus montagneuses du Fujian, nous avons constaté, avec une certaine stupeur, qu’il s’y préparait des invasions d’envergure. D’immenses chantiers où des parkings géants étaient déjà dessinés promettaient pour un avenir très proche des hôtels à tire-larigot et toutes les infrastructures afférentes. En effet, dans cette zone, enclavée jusqu’à il y a peu, s’est développée une architecture extrêmement particulière et unique au monde : les « tulou » (qui veut dire « bâtisses en terre »), vastes maisons collectives très hautes et murées comme des forteresses qui servirent d’imprenables refuges à la minorité hakka pourchassée par les Ming. Il semble que ce que les Ming ont échoué à faire, dompter et normaliser cette population rebelle, le tourisme de masse soit en train d’y parvenir ! Vendeurs de thé et de souvenirs ou pourvoyeurs de spectacles de chants et danses du pays hakka sont probablement les deux options qui leur seront désormais offertes. La province du Fujian se situant juste en face de Taïwan, il semble évident que les promoteurs de ce développement touristique ex nihilo misent beaucoup sur la fréquentation des insulaires toujours sensibles à un retour aux sources et au pays des ancêtres. Que le Fujian ait joué un rôle de pionnier dans l’échafaudage d’un tourisme à grande échelle n’est peut-être pas étranger non plus au fait que Xi Jinping a joué dans cette province un premier grand rôle avant d’accéder au sommet du pouvoir ?

Revenons en 2017 et au Shandong ! Nous avons déjà évoqué dans notre dernier billet comment s’y font jour des tentatives pour attirer le chaland avec, par exemple, la métamorphose de Liaocheng en ville des Ming attractive et aussi festive que possible. Nous nous consacrerons aujourd’hui au « Confucius business » puisque Confucius est, si l’on peut parler en ces termes, la principale « attraction » du Shandong-ouest. Remarquons au passage que les plaques d’immatriculation de la province s’ancrent dans l’antiquité puisqu’elles s’identifient par le caractère « Lu », nom de la petite principauté où naquit Kong zi et où il ne parvint jamais à « être prophète » !

À Qufu, capitale de l’Etat de Lu au VIe s. avant notre ère, le temple de Confucius édifié sous les Song a retrouvé tout son prestige, un peu estompé à l’époque maoïste (la « pensée Mao Zedong » ne supportait pas bien les rivales !) depuis les mandats de Jiang Zemin et, plus encore, de Hu Jintao qui prônait avant tout une « harmonie » qui allait de pair avec un certain conformisme d’inspiration pseudo-confucéenne. C’est alors qu’ont été réactivées les grandes cérémonies de célébration de l’anniversaire du Sage dans les derniers jours de septembre. Aujourd’hui, Qufu veut visiblement toucher les dividendes du rayonnement confucéen en attirant le touriste à tout moment de l’année autour du haut lieu de l’enseignement du Maître. La ville, nous l’avons dit la dernière fois, s’est empressée récemment de reconstruire l’intégralité de ses remparts. C’était certes un atout-charme, mais était-ce bien suffisant pour être digne de la réputation de « l’esprit » qui soufflait en ces lieux depuis 25 siècles ? La réponse a dû être négative car il a été décidé d’instaurer une « animation » quotidienne de la muraille pour les badauds sous la forme de la remise en vigueur folklorisée  du cérémonial ancien de l’ouverture et de la fermeture des portes à heures fixes. Nous laissons quelques images en parler car elles sont plus éloquentes que nos discours.

Ce genre de mise en scène à grand spectacle et « en live » flatte le goût des Chinois pour l’exotisme temporel qui les séduit dans maintes séries télévisées. Sans doute faut-il y voir l’envie de se réapproprier, fût-ce par le biais d’images de pacotille, un passé qui fut, pendant quelques décennies récentes, plus prestigieux aux yeux des Occidentaux qu’à leurs propres yeux tant ils en furent arbitrairement coupés. Ce sont bel et bien des images gratifiantes de la grandeur de la Chine qui sont consommées lors de ces reconstitutions où le public se presse. On  retrouve ces évocations (et ce sont probablement les mêmes « employés » qui y sont préposés au fil des différentes heures de la journée) dans les cérémonies quotidiennes au sein du temple lui-même : la prestation est courte, son but est de livrer aux visiteurs un abrégé de la danse rituelle, dite « danse Yi de vénération », propre au culte de Confucius et traditionnellement effectuée par des lettrés. Là encore, priorité aux images (11h du matin pétantes, 25/10/ 2017) :

On fait mieux encore à Qufu dans le genre « intégration au décor » : le hasard a voulu que nous croisions lors de notre visite du temple un groupe (chinois donc démesuré !) en robes de satin rouge. Nous avons cru à une nouvelle « animation » et nous apprêtions à « bader », mais c’étaient des visiteurs comme nous, sauf que les organisateurs de leur voyage (ou excursion), une Cie d’Assurances, leur avaient fourni des robes et des bonnets de lettrés, sans doute pour les aider à mieux s’imprégner du lieu et à accéder à l’excellence prêchée par Confucius ! C’est peu de dire que nous avons été très marris de n’en avoir pas été jugés dignes !

Mais Qufu est une petite ville et ses remparts l’enserrent. De plus, c’est l’emplacement de l’immense cimetière des descendants de Confucius, lieu solennel s’il en est, dont on est tenu de respecter le calme. Le tourisme XXL ne peut donc s’y déployer selon toute l’ampleur de ses ambitions. Il fallait trouver un autre lieu, pas trop éloigné de préférence. Or ce lieu existe, il s’appelle Nishan. Attention scoop ! Nous avons eu accès 5 minutes par favoritisme  à un lieu interdit au public : le chantier d’un futur « Confucius Land » ! Quelques photos un peu furtives pour en donner un avant-goût :

C’est tout le paysage qui est remodelé pour constituer une vaste zone de collines et plan d’eau (fengshui garanti) où s’élèvera un hôtel cinq étoiles, qu’on voit en chantier, et d’autres bâtiments destinés au bien être/ressourcement (genre « remise en forme » pour yuppies fatigués) et voués sans doute aussi à accueillir des symposiums mondiaux sur le confucianisme, le tout sous l’égide d’un Confucius étincelant de 72 m de haut. 72 n’a bien sûr pas été choisi par hasard : c’est le nombre des disciples favoris  du maître et c’est 8 (nombre prometteur de richesse) multiplié par 9 (qui contient la puissance de la plus grande extension du Yang). Pourquoi Nishan ? Parce que c’est le lieu (supposé) de la naissance de Confucius et qu’à ce titre il baigne d’influences bénéfiques et propitiatoires. Un de ces « lieux où souffle l’esprit » aurait dit Barrès ! C’est  un endroit sauvage (jusqu’à maintenant !) et vallonné où s’entassent de curieux amas de gros rochers et qui est planté de vieux pins. Y est édifié le temple des ancêtres de la famille Confucius : lieu serein et peu visité peuplé de cyprès et de stèles. Confucius ayant perdu son père à l’âge de trois ans, c’est à sa mère que revint son éducation et au cœur du temple se trouve la tombe de cette dernière qui semble être l’objet, à ce que nous avons pu en voir, d’un culte toujours très vivace. 

Enfin, évoquons, avant d’en terminer avec Nishan, le fait que les investissements ne s’y cantonnent pas aux grands travaux des infrastructures nécessaires à l’accès à ce lieu comme ce pont de granit blanc élégamment décoré de pavillons dans le plus pur style chinois que l’on voit sur les deux photos de gauche, mais qu’ils consistent aussi en dons destinés au « rehaussement » de la décoration du temple des ancêtres. 

Nous ne nous prononcerons pas sur ledit « rehaussement » d’un lieu jusqu’à présent d’une sobre et belle austérité, nous nous bornons à vous livrer (photos de droite) deux exemples sur les trente-six très grands tableaux des principaux épisodes de la vie de Confucius confectionnés en pierres dures semi-précieuses qu’a offerts récemment une guilde de commerçants. Manière d’obtenir du Sage et du Parti qu’ils ferment les yeux sur des profits un peu vite accumulés et les détournent pour ceux qu’on espère encore engranger ? L’achat d’ « indulgences » n’a pas de frontières, ni temporelles, ni spatiales…

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