« Défense et illustration du genre humain », Conclusion (VI), en librairie le 16 mai

Nous organisons notre vie autour d’une idée de « la personne que je suis », qui s’articule tout entière autour d’un cœur qui est ce discours autobiographique que nous bâtissons à partir de la lecture que nous faisons, avec toujours un temps de retard, de nos propres actes. Un discours qui, pour qu’il ait valeur convaincante auprès d’autrui, est réorganisé en fonction des exigences de cette raison qui nous aide à y mettre un peu d’ordre et à y lire la cohérence qui aurait présidé, en principe, aux décisions que nous affirmons prendre, à partir d’une image très floue en réalité de la véritable identité du « nous » en question.

Faudrait-il, à l’instar des transhumanistes, prendre au sérieux les hautes aspirations que lalangue et la rationalité combinées nous ont soufflées à l’oreille et nous débarrasser de ce corps indigent que la biologie, façonnée au fil des générations par la sélection darwinienne, nous a légué et qui, bien plus encore qu’un handicap, constituerait le véritable obstacle à leur réalisation ?

Faudrait-il plutôt poser sur ces hautes aspirations un regard lucidement critique, prendre conscience du caractère dérisoire de leurs prétentions, et accepter qu’il ne s’agisse jamais avec le sort des hommes que d’une tragédie : que d’entrée de jeu la donne a été biaisée, massivement, en notre défaveur. Le poète (et divin dramaturge) n’a-t-il pas dit :

« La vie n’est qu’une ombre ambulante
Un pauvre acteur qui cabotine et s’agite
Durant son heure de scène
Et dont on n’entend ensuite plus parler.
Il s’agit d’un conte raconté par un idiot
Rempli de vacarme et de fureur,
Ne signifiant rien »

(Shakespeare, Macbeth, 5 : 5).

Ou bien encore faudrait-il tirer les conséquences du fait que ce discours autobiographique ne décollera jamais de son statut de fiction ? Et organiser désormais l’image de « la personne que je suis » autour d’autre chose, par exemple d’un Graal en quête de quoi se mettre en chemin ou de moulins à vent à combattre et à vaincre, voire même, et c’est sur quoi une psychanalyse réussie débouche : abandonner entièrement la notion de « la personne que je suis », par quoi l’on rejoint le wu-wei du taoïsme, un moins-agissant à ne pas confondre surtout avec un non-agissant car il correspond bien davantage à l’art de vivre du baigneur qu’évoquait Tchouang-tseu : « Je me laisse aspirer par l’entonnoir du tourbillon, puis rejeter dans le remous autour. »

(à suivre…)

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