Comment évaluer le risque financier du réchauffement climatique ?
La gestion du risque constitue bien entendu de tout temps un défi majeur pour le secteur financier. Cruciale de ce point de vue est la capacité à provisionner à hauteur du risque réellement encouru. Le chiffre de ces provisions ne constitue cependant pas en lui-même un bon indicateur, aussi élevé soit-il, souvenons-nous ainsi de l’assureur américain AIG et de ses réserves jugées phénoménales de 6 milliards de dollars en septembre 2008, un chiffre que fut ridiculisé par les 83 milliards que la compagnie fut mise en demeure de régler à la fin du mois.
Comment calcule-t-on le montant à provisionner d’un risque financier ? On prend pour base le coût moyen de sinistres du même type ayant eu lieu dans le passé, multiplié par la probabilité qu’il ait lieu. On fait ensuite pour déterminer le montant des réserves, un calcul savant dont je donnerai un exemple plus loin.
Disons qu’un incendie dans un appartement occasionne en moyenne des réparations d’un montant de 25k€ et que la probabilité annuelle d’un tel incendie est d’un millième. 25.000 x 1 millième, cela fait 25€, ce qui fait que si la compagnie vous réclame une prime annuelle de 50€, elle y trouve encore son compte.
Pour évaluer le coût moyen d’un incendie, il est préférable de connaître les frais occasionnés par 200 incendies plutôt que par 3. Plus le nombre de données est élevé, plus les cas exceptionnels seront noyés dans la masse, et plus l’évaluation sera proche du coût réel d’un nouveau sinistre.
Pour évaluer la probabilité d’obtenir 12 en jetant deux dés, il suffit de combiner les chances d’avoir un 6 sur chacun des 2 dés : 1/6 x 1/6, cela donne la probabilité d’une chance sur 36. Mais la chance ou plutôt la malchance d’avoir un incendie dans un appartement n’est pas un cas « équiprobable » comme pour chacune des faces d’un dé s’il n’est pas pipé, parce qu’une multitude de facteurs interviennent, souvent indépendants les uns des autres. Du coup, pour connaître la probabilité d’un incendie dans un appartement sur une année, on n’a pas d’autre choix qu’observer un grand nombre d’appartements et savoir pour chacun s’il a subi ou non un incendie dans l’année car la probabilité est une « idéalisation de la fréquence observée » et plus le nombre de données est élevé plus la probabilité calculée à partir de la fréquence observée sera proche de la probabilité effective (c’est la « loi des grands nombres »).
Donc pour résumer, pour prévoir le coût moyen d’un sinistre, il faut connaître le plus grand nombre possible de sinistres et combien chacun a coûté. Et pour évaluer sa probabilité, il faut connaître le plus grand nombre possible d’appartements et savoir s’ils ont brûlé ou non dans l’année.
Tout va bien pour ce genre de calcul tant que le coût d’un sinistre est plus ou moins constant d’une année à l’autre, et que la proportion d’incendies reste elle aussi plus ou moins constante d’une année à l’autre. Si le coût d’un sinistre a augmenté au cours des années récentes, ou si la fréquence a augmenté (guerre, par exemple) il est toujours possible de « pondérer » les données : attribuer aux années récentes un poids plus élevé dans les calculs.
Entre en scène maintenant le réchauffement climatique et la montée des eaux. Comment faire les calculs dorénavant ? C’est très difficile à dire du fait que la dernière fois que le problème s’est posé, c’était selon les spécialistes il y a 800.000 ans et que nous n’étions pas là à récolter des données sur les dégâts occasionnés et à calculer la probabilité d’un nouvel accident.
Que faire alors pour calculer le montant des provisions à constituer en raison du réchauffement climatique ? La réponse est que nous n’en avons pas la moindre idée : nous savons extrapoler à partir du passé qui nous est connu, « faire des projections » (dans le futur) comme nous disons, mais si nous savons déjà que le futur sera très différent du présent, nous sommes alors désarmés : nous ignorons tout de la taille du risque. Jusqu’à aujourd’hui, nous faisions des calculs savants en fonction du passé, comme par exemple multiplier par 3 l’écart-type (la variabilité moyenne de chaque donnée par rapport à la moyenne) de la distribution des sinistres enregistrés, ce qui permet (si le hasard est « normal ») de couvrir comme réserves le coût de la quasi-totalité des cas à venir, mais cela ne donnera aucune indication utile si les sinistres futurs sont très différents de ceux du passé.
Que faire alors ? Faire plancher sur la question les gestionnaires du risque, les actuaires et autres valideurs de modèles financiers et leur demander leurs recommandations, et appliquer celles-ci – s’ils en ont – toutes affaires cessantes. La Banque des Règlements Internationaux, la « banque centrale des banques centrales » semble une excellente candidate pour coordonner un tel effort, d’autant qu’elle a lancé l’alerte sur la question dans un récent rapport.
De même que j’avais proposé une version « écono-territoriale » des 30 glorieuses sur ce blog (il y a longtemps) je suggère…