Il y a un mois et demi, ma mère est morte. Deux semaines plus tôt je l’avais vue pour la dernière fois, impuissante, dans sa chambre de réanimation à l’hôpital Chubert à Vannes. Et donc ce matin-là où j’ai appris la nouvelle, je tentais d’épuiser mon corps en escaladant et en dégringolant les folles rues de San Francisco, avec l’envie de prier, cette envie qui transcende dans ces moments-là le fait que l’on croie ou non en Dieu, que l’on aie une religion ou que l’on n’en ait point.
Et je suis passé dans Columbus devant City Lights. Quand on connaît la boutique, on finit par s’y retrouver dans sa configuration labyrinthique. Au sous-sol, il y a la collection la plus complète que je connaisse d’ouvrages en anglais sur le bouddhisme et le taoïsme. Au premier étage, il y a une petite pièce, et cette petite pièce est deux choses à la fois : c’est l’un des départements d’une librairie bien entendu, mais c’est aussi un très joli sanctuaire. Les livres y sont disposés avec dévotion sur des présentoirs, comme des offrandes. Ce qui se comprend quand on sait que c’est Lawrence Ferlinghetti, le poète « beat », qui la fonda, il y a bien longtemps. Il y a des photographies, certaines de très grand format. Une en particulier, de Jack Kerouac et de Neal Cassady (est-il dieu possible d’avoir l’air plus breton que Ti Jean Duluoz ?) Et c’est là que j’ai pu prier, à ma manière.
« Tout va bien, la forme c’est le vide et
le vide c’est la forme, et nous sommes ici pour toujours, sous
une forme ou sous une autre, laquelle est vide.
Tout va bien, nous ne sommes ni ici, ni là, ni où que ce soit.
Tout va bien, les chats sont assoupis. »
C’est Kerouac qui a écrit ces paroles du Bouddha à quelqu’un qui l’écoute, ce soutra. Il est mort en 1969 et il y a donc eu vingt-trois ans de l’histoire de cette planète au cours desquels j’aurais pu le rencontrer, comme j’ai rencontré Arthur Koestler, parce qu’Elena Wayne-Malinowska a voulu – comme l’on crée une œuvre d’art – nous présenter un jour l’un à l’autre. Pour Kerouac, ça ne s’est pas fait : je ne l’ai jamais vu, je ne lui ai jamais parlé. Mais j’ai connu Jean Pouillon, François Debauche, Edmund Leach, Jacques Lacan : il ne faut pas trop demander.
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