« Dix-sept portraits de femmes » IV. La mère de l’auteur

Il y a un mois et demi, ma mère est morte. Deux semaines plus tôt je l’avais vue pour la dernière fois, impuissante, dans sa chambre de réanimation à l’hôpital Chubert à Vannes. Et donc ce matin-là où j’ai appris la nouvelle, je tentais d’épuiser mon corps en escaladant et en dégringolant les folles rues de San Francisco, avec l’envie de prier, cette envie qui transcende dans ces moments-là le fait que l’on croie ou non en Dieu, que l’on aie une religion ou que l’on n’en ait point.

Et je suis passé dans Columbus devant City Lights. Quand on connaît la boutique, on finit par s’y retrouver dans sa configuration labyrinthique. Au sous-sol, il y a la collection la plus complète que je connaisse d’ouvrages en anglais sur le bouddhisme et le taoïsme. Au premier étage, il y a une petite pièce, et cette petite pièce est deux choses à la fois : c’est l’un des départements d’une librairie bien entendu, mais c’est aussi un très joli sanctuaire. Les livres y sont disposés avec dévotion sur des présentoirs, comme des offrandes. Ce qui se comprend quand on sait que c’est Lawrence Ferlinghetti, le poète « beat », qui la fonda, il y a bien longtemps. Il y a des photographies, certaines de très grand format. Une en particulier, de Jack Kerouac et de Neal Cassady (est-il dieu possible d’avoir l’air plus breton que Ti Jean Duluoz ?) Et c’est là que j’ai pu prier, à ma manière.

« Tout va bien, la forme c’est le vide et
le vide c’est la forme, et nous sommes ici pour toujours, sous
une forme ou sous une autre, laquelle est vide.
Tout va bien, nous ne sommes ni ici, ni là, ni où que ce soit.
Tout va bien, les chats sont assoupis. »

C’est Kerouac qui a écrit ces paroles du Bouddha à quelqu’un qui l’écoute, ce soutra. Il est mort en 1969 et il y a donc eu vingt-trois ans de l’histoire de cette planète au cours desquels j’aurais pu le rencontrer, comme j’ai rencontré Arthur Koestler, parce qu’Elena Wayne-Malinowska a voulu – comme l’on crée une œuvre d’art – nous présenter un jour l’un à l’autre. Pour Kerouac, ça ne s’est pas fait : je ne l’ai jamais vu, je ne lui ai jamais parlé. Mais j’ai connu Jean Pouillon, François Debauche, Edmund Leach, Jacques Lacan : il ne faut pas trop demander.

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7 réponses à “« Dix-sept portraits de femmes » IV. La mère de l’auteur

  1. Avatar de juannessy
    juannessy

    C’est par un tout autre chemin que la mort de ma mère m’a donné à voir et comprendre également que  » tout va bien « .

    C’est elle qui avait décidé de son entrée en maison de retraite , où elle a terminé sa vie dans une dernière année . Elle avait su , comme elle a toujours su le faire , donné et recevoir l’empathie et le sourire dans toute la communauté des résidents et du personnel . Quand la souffrance endurée a rendu évident que le bout du chemin approchait , nous nous sommes relayés mon frère , ma sœur et moi pour assurer une présence permanente . Cet accompagnement dura trois semaines . J’assurais pour mon compte la nuit entre 20 heures et 7 heures .

    Ce dernier vendredi , en juin , à ma « prise de poste », l’infirmier venait de lui poser son patch de morphine , et j’ai pu échanger deux ou trois phrases avant quelle ne commence à somnoler . Un quart d’heure plus tard une jeune aide soignante , d’au moins 70 ans sa cadette , qu’elle aimait bien ( elle l’avait baptisée son ange blanc car elle était souvent de service la nuit en lui apparaissant de façon un peu phantomatique ) et qui l’aimait bien , est venu la saluer , et en la voyant les yeux clos , l’a cru endormie , Elle s’est penchée vers elle et lui a murmuré je ne sais quoi dans l’oreille en y posant un baiser . Puis elle s’est penchée au dessus du lit pour remettre de l’ordre sur l’oreiller .

    c’est alors que ma mère en ouvrant les yeux et en souriant , a fait l’effort de relever légèrement la tête pour lui poser à son tour un baiser sur la joue , au vol . Ce que j’ai traduit et traduit encore comme une espièglerie ( je t’ai bien eue ! ) , le « merci » complice d’une aïeule à une jeune femme aussi appréciée que chacune de ses petites filles ou arrière petite fille , et un message pour moi , pour elle et qui était précisément :  » tout va bien , tout ça n’est rien  » .

    Ma mère n’a jamais plus rouvert les yeux . Elle est morte le mercredi suivant , 5 jours plus tard , à 22 heures . J’étais présent .

    La jeune aide soignante a  » posé » un jour de congé pour être présente au cimetière le jour de l’enterrement de ma mère .

    Et c’était « bien » .

  2. Avatar de Hervey

    La naissance et la mort sont des mots féminins.
    Je n’y avais pas pris garde jusqu’à ce que votre texte …
    Merci pour cet « apprentissage ».

    1. Avatar de arkao
  3. Avatar de arkao

    Chapitre beaucoup plus court que les précédents, ce qui pourrait paraitre inapproprié d’un point de vue formel, mais le sujet se prête bien à une économie de mots.
    Peut-être à placer plutôt au milieu de l’ouvrage, comme césure ?
    Je ne sais pas pourquoi mais un roman lu il y a très longtemps me reviens en mémoire:
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Vie_et_opinions_de_Tristram_Shandy,_gentilhomme

    1. Avatar de Paul Jorion

      C’est l’ordre chronologique de l’écriture.

      1. Avatar de arkao

        Serait-ce de l’écriture spontanée dont les feuilles sont scotchées en un seul rouleau ? 😉

    2. Avatar de juannessy
      juannessy

      Merci de cette découverte pour moi .

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