Le balancier d’Ibn Khaldûn, par Jeanne Favret-Saada

Billet invité

Avec retard, j’ai écouté cette émission sur France-Culture. Abd-el-Wahhab Meddeb et Gilles Kepel, trop heureux de se rencontrer, y ont quelque peu dispersé leur propos, qui n’en demeure pas moins fondamental :

Ils semblent d’accord pour dire ceci : le fameux schéma d’Ibn Khaldûn sur les cycles d’inversion politique dans les sociétés islamiques fonctionne aussi, sans difficulé, dans le contexte d’une économie financiarisée et mondialisée. Si c’est vrai, les conséquences sont importantes, tant pour l’avenir politique de la planète que pour les sciences sociales ou pour l’appréhension du phénomène « Da’esh » :

  1. Quelque chose de « l’islam » est en cause dans ce qui se passe, malgré les affirmations d’Olivier Roy et de l’extrême-gauche française. Une articulation forte entre les sociétés « islamiques » et la radicalité religieuse. Elle tient, j’en fais l’hypothèse, dans le Coran lui-même, à la coexistence non problématisée d’un appel à une absolue radicalité avec un ethos religieux serein (tolérant, paisible, etc.) qui, lui, a été porteur de ce que nous avons appelé la civilisation islamique : l’invention philosophique, littéraire, juridique, etc… — précisément ce que cette radicalité balaie d’un revers de sabre.
  1. Devant les égorgements des otages en vidéo, les protestations de « musulmans » et de responsables politiques occidentaux protestant que « ce n’est pas l’islam », « ce n’est pas le Coran » sont dérisoires parce que, si le Coran ne contient pas la pleine description de cette possibilité comme étant « la vraie religion », il l’appelle néanmoins.

  1. Obama lui-même s’est inscrit dans le schéma d’Ibn Khaldûn en prenant des conseillers parmi les Frères musulmans (ce dont je m’étais aperçue sans être crue par mes lecteurs). Il soutient donc l’un des bras du balancier, celui qui se fait en ce moment enfoncer par le « bras » radical. Il n’a aucune chance de gagner « la guerre contre le terrorisme » avec ces idées et avec les moyens, jusqu’ici incohérents, qu’il a mobilisés.
  1. Nos ados consuméristes et dépourvus d’avenir s’inscrivent avec soulagement et empressement dans cet islam (« je veux être soumise »), qui entraîne du coup nos propres sociétés dans le schéma d’Ibn Khaldûn. Sans doute pourrions-nous leur proposer autre chose, mais nous devons admettre qu’ils sont aspirés par une dynamique civilisationnelle apparemment inoxydable, multiséculaire, venue d’ailleurs, mais qui se marie sans difficulté avec l’économie financière mondialisée et la « civilisation » que celle-ci porte.

Bref, il est urgent de relire Ibn Khadûn : Marx, Keynes, Weber, et la théorie de nos gourous ordinaires ont grand besoin d’être rafraîchis.

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