Ceux qui exercent véritablement le pouvoir sont protégés des pressions, par Michel Leis

Billet invité.

« Convergence des luttes », l’expression est jolie, mais convergence vers quoi au juste ? Vers le retrait des lois les plus controversées du moment comme la loi travail ? C’est toujours possible, mais ce type de recul est souvent tactique. Les mesures souhaitées par Juppé en 1995 sur les retraites et la sécurité sociale ont jeté des millions de personnes dans les rues. Le gouvernement a reculé sur les retraites en retirant ce projet en décembre 1995 (pas sur la sécurité sociale). Grande victoire ? Une partie des mesures qui paraissaient alors comme une régression sociale seraient aujourd’hui un progrès… Cela permet de mesurer l’érosion du quotidien des Français dans l’intervalle.

Vers une mobilisation massive qui entraînerait la chute du gouvernement ? Allons donc ! Depuis le début de la Cinquième République, si des ministres ou des gouvernements entiers sont tombés suite à des mouvements de rue de grande ampleur, ils ont été immédiatement remplacés par des gouvernements du même bord. On sacrifie des boucs-émissaires à la colère populaire, les politiques ne changent pas.

Vers une révolution ? Dans un contexte autant marqué par le sécuritaire, le passage d’un mode « rapports de force » à un mode « recours à la violence » est voué à l’échec, si tant est que ce soit le souhait d’une majorité des Français, ce dont on peut douter au vu des scores réalisés par des partis qui se réclament de l’ordre.

Vers une grève générale ? Qui sont les salariés en lutte aujourd’hui ? On peut jouer au jeu des six familles :

  1. Ceux qui n’ont rien à perdre, à qui on a annoncé que leurs emplois seraient sacrifiés au nom du profit, ou qu’ils allaient devoir faire des sacrifices financiers supplémentaires.
  2. Les salariés qui ont un statut protégé, ceux de la fonction publique, et qui peuvent défendre tant bien que mal ce qui est menacé sans risquer leur emploi.
  3. Les salariés du privé qui assurent un service public quand l’arrêt du service en question a un impact fort sur la vie économique.
  4. Les salariés de quelques grandes unités de production ou de service, de plus en plus rares dans le paysage économique, qui ont encore une solidarité liée à un travail partagé en commun.
  5. Les emplois où un savoir-faire spécifique maintient un esprit corporatif fort (pilotes de ligne…).
  6. Les salariés qui ont encore un pouvoir de perturbation fort au sein de leur entreprise.

Cela fait beaucoup de monde… Mais c’est loin d’être assez pour une grève générale. L’industrie a depuis longtemps distribué une partie de sa production à des sous-traitants interchangeables, quand les séries sont longues, il n’est pas rare qu’une même pièce soit produite par deux ou trois entreprises, en même temps que la taille des unités diminue… Autant dire que les rapports de force ne sont pas en faveur du salarié. Quant aux services qui représentent une part importante de l’emploi, l’impact des grèves est souvent limité, les unités sont souvent petites, les possibilités de substitution sont nombreuses, on peut comprendre que les salariés y regardent à deux fois avant de prendre le risque d’une grève. On en est réduit à des grèves par procuration, mi-chèvre mi-chou entre soutien d’un côté et pression supplémentaire qui s’exerce sur les citoyens qui ne peuvent pas faire grève.

Vers un basculement des rapports de force ? Sur un projet précis, les rapports de force qui vont du bas vers le haut peuvent obtenir des victoires ponctuelles, comme je l’évoque plus haut. Sur le long terme, ce basculement des rapports de force doit être durable.

Ce que nous disent les politiques qui n’essayent même pas de tenir leurs promesses, les patrons surpayés, les lobbys qui imposent leurs vues, le plafond de verre de plus en plus infranchissable, c’est que la nature et l’organisation du pouvoir ont changé. La pyramide est de plus en plus verticale, le pouvoir s’est concentré entre les mains de quelques-uns, ces individus sont protégés des pressions. Les rapports de force se sont accumulés au même rythme que la concentration des richesses. Pour changer cette situation durablement, il n’est d’autres moyens que de reconquérir le pouvoir, sinon économique, du moins politique. Les rapports de force que l’on tente de créer du bas vers le haut sont voués à l’échec, à la fois dans la durée et en raison de circonstances défavorables. Aujourd’hui, seuls, les rapports de force que l’on peut établir du haut vers le bas peuvent changer la donne.

Le temps est largement venu de converger vers la conquête du pouvoir politique. Si c’est par des voies démocratiques (et on le souhaite), encore faut-il en avoir la volonté, être capable de se rallier à un candidat et un programme, en faisant taire les divergences, et se concentrer sur la production d’un discours capable de rassembler les Français. Il y a encore du chemin à faire.

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