L’actualité de la crise : LEURS SUCCESS STORIES, par François Leclerc

Billet invité

Alors que les ministres des finances et banquiers centraux du G20 sont réunis à Paris pour tenter de sauver le prochain sommet de Cannes, une certitude se confirme : telle qu’elle est combattue, la crise européenne n’a pas d’issue. Depuis des mois et des mois, les obstacles tardivement dressés sur sa route ont été à chaque fois balayés ; les autorités européennes sont plus que jamais dépassées, car ce sont à la fois les banques et les États qu’il faut désormais conforter. Le constat est donc simple à dresser, à lire leurs propres déclarations… ou à enregistrer leur silence.

Les mégabanques ne s’y réfugient pas, pour le moins, qui mènent en Allemagne et en France une bataille ouverte contre leur recapitalisation, comme l’on n’en a jamais vue. À Berlin, cela prend la dimension d’une véritable révolte. On se souvient, à ce propos, que Christine Lagarde, qui connaît son monde, avait précisé que celle-ci devait être obligatoire, c’est à dire imposée si nécessaire. Faudrait-il donc sauver les banques malgré elles, en finit-on par se demander ?

Une autre interprétation peut être donnée de cette situation ubuesque. Ne voulant pas être recapitalisées, les banques veulent porter un coup d’arrêt à des restructurations de dette à répétition qui ne sont plus le tabou qu’elles ont été et qui les menacent, n’étant pas non plus prêtes à accepter que l’on mette le nez dans leurs affaires. Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale, vient de tenir à cet égard un raisonnement éclairant mais inquiétant : « à quoi servira, a-t-il dit, d’injecter quelques milliards dans les banques si l’Italie venait à faire défaut, car cela ne serait pas suffisant », se réfugiant par ailleurs dans l’affirmation que « le risque sur l’Italie n’est pas avéré » ? Mais que faire alors s’il le devient ?

Les affrontements en cours vont être l’occasion, une fois connu leur dénouement, de mieux apprécier la toute puissance des banques, habituées à ce que leur avis soit écouté et suivi sans discuter.

Raison pour laquelle on peut craindre que les autorités européennes placent comme de coutume les curseurs selon des critères biaisés et finalement arrangeants. De Berlin à Paris, on entend déjà qu’il faudra agir… là où le besoin se fera sentir. Amenant, si l’on veut aller au fond de la question, à s’interroger sur le sens que peut bien avoir un pansement, s’il n’est pas suivi du traitement intensif des causes profondes de la fragilité constatée.

Goldman Sachs vient à son tour de rendre public des simulations, qui aboutissent à des besoins de recapitalisation des banques européennes de 298 milliards d’euros. Les hypothèses de départ sont intéressantes à connaître : décotes de 60% sur les titres grecs, 40 % sur les irlandais et portugais, 20 % sur les espagnols et les italiens, en utilisant un ratio de 9 % des fonds propres durs et les hypothèses de dégradation macro-économiques des précédents stress tests. 68 banques sur 91 échoueraient à des tests menés dans ces conditions, dont les principales banques allemandes et françaises.

Ce qui est valable pour les banques va aussi l’être pour les États. L’échec du plan A était déjà patent depuis des semaines, mais il se confirme que non seulement les autorités sont incapables de concevoir un plan B, mais aussi qu’elles vont enfanter dans la douleur d’un simulacre de plan A’, bricolé à la hâte pour tenter de l’afficher à Cannes. Comme on le sait, l’objectif est de trouver un levier pour augmenter la capacité d’intervention financière du FESF, afin d’empêcher l’Italie et l’Espagne de tomber dans le trou, car ce serait la fin de tout. On parle d’une assurance par le FESF garantissant certaines émissions obligataires à hauteur de 20 %, dans l’intention de couvrir d’éventuelles pertes ne dépassant pas cet ordre de grandeur, afin de rassurer les investisseurs. C’est mince.

Pendant ce temps-là, tels des rouleaux compresseurs, les mesures de rigueur budgétaire créent dans les pays qui les empilent allègrement – Royaume-Uni, Espagne, Portugal et Grèce – une détérioration de la situation sociale impressionnante, désespérée et parfois explosive. Sans pour autant aboutir à la réduction poursuivie des déficits publics, en raison de leurs effets sur la croissance et par ricochet sur les recettes fiscales.

La Grèce est progressivement paralysée par les grèves qui se multiplient dans tous les secteurs, ainsi que par des actes de désobéissance civile et d’occupation de ministères. Les salariés sont pris en étau entre la diminution de leur revenu et l’augmentation des impôts et taxes. La Troïka en est venue à exiger la diminution du salaire minimum, au prétexte qu’il est plus élevé qu’en Espagne, au Portugal et dans les pays de l’Europe de l’Est.

Utilisant une expression particulièrement adaptée à la situation, Klaus Regling, le directeur du FESF, a estimé que la Portugal pourrait devenir une « success story », au moment même où le gouvernement présentait son projet de budget 2012, annonçant, « au nom de l’urgence nationale », la suppression temporaire des 13 et 14éme mois pour les fonctionnaires et retraités dont les revenus dépassent 1.000 euros mensuels, la contrepartie accordée en raison de bas salaires. Ainsi qu’une hausse des taux intermédiaires de la TVA et des coupes dans le budget de la santé et de l’éducation. Afin de l’aider, et sur le mode de ce qui a déjà été réalisé pour la Grèce, la Commission va constituer une « task force » chargée de mettre le pays sous surveillance et sous contrôle.

Prise dans le même tourbillon, l’Espagne va rater son objectif de réduction du déficit et Standard & Poor’s, après Fitch, la dégrade, tandis que le programme de privatisation connaît un nouveau coup d’arrêt. Tout s’en mêle : les 17 régions ne contiennent pas leur déficit, les banques sinistrées ne trouvent pas acquéreurs, la croissance n’est pas au rendez-vous comme annoncé et le chômage atteint officiellement le taux de 21 %. Sans compter que le secteur bancaire est envahi d’actifs hypothécaires et de crédits accordés aux promoteurs immobiliers que l’on fait rouler faute de pouvoir obtenir leur remboursement.

Selon l’OCDE, l’Irlande donne « des signes encourageants de reprise », une croissance de 1,2 % étant attendue en 2011. « Des progrès satisfaisants sont réalisés dans la réduction du déficit public, mais il faut faire beaucoup plus », estime-t-elle sans surprendre, considérant ses « atouts structurels (…), un environnement favorable aux entreprises [une fiscalisation avantageuse maintenue contre vents et marées], la flexibilité du marché du travail et une main d’œuvre qualifiée ».

En Italie, la croissance s’est affaiblie comme presque partout, tandis que d’après la Banque d’Italie plane la menace d’un resserrement du crédit, les banques tentant ainsi d’améliorer le ratio de leurs fonds propres par rapport à leurs engagements. À son tour, le pays s’engage dans une spirale récessive tandis que l’inflation continue de monter.

Hors zone euro, mais en dépendant totalement, la stagflation est déjà installée au Royaume-Uni, dont 40 % des exportations sont dirigées vers l’eurozone, en baisse en dépit de la dévalorisation de la livre sterling qui ne joue donc pas son effet. Il en était attendu le contraire, afin de compenser les conséquences de l’austérité et de la baisse de la consommation intérieure. Selon une étude de l’Institute for Fiscal Studies, 600.000 enfants supplémentaires vont entrer dans la pauvreté entre 2009 et 2012, du fait d’une baisse moyenne des revenus de 7 % sur la même période, sans équivalent depuis 35 ans, alors que l’inflation atteint presque 5 % et que les allocations sociales ont été diminuées.

Mais il serait erroné de croire que l’Allemagne et la France sont épargnées. Les prévisions de croissance sont à nouveau diminuées en Allemagne, passant pour 2012 de 2 % initialement à 0,8 %. La demande intérieur est incertaine tandis que les exportations, moteur traditionnel, sont à la baisse après un feu de paille dû au rattrapage. Elles subissent le contrecoup de la récession ou de la faible croissance des pays européens, leur premier débouché. Un resserrement du crédit est également craint, phénomène général à toute la région.

En France, la croissance devrait être de 1 % maximum en 2012, en chute par rapport à cette année (1,6 %), impliquant l’adoption de nouvelles mesures de rigueur, une fois le cap des élections présidentielles passé.

Puisque l’on ne peut pas l’ignorer, que peut-on attendre du prochain G20 ? Des discussions à propos de la taxe sur les transactions financières, qui permettront à ceux qui l’auront défendue de reporter sur les autres la faute du fait qu’elle ne soit pas adoptée. De vague déclarations tarabiscotées sur la réforme à venir du système monétaire international, qui n’iront pas jusqu’à proposer un calendrier, et l’adoption d’un « code de bonne conduite » pour gérer les flux de capitaux perturbant l’économie des pays émergents, faisant ainsi de nécessité vertu. Ainsi que des généralités sur la relance économique, auxquels les pays disposant d’excédents vont être invités à contribuer, les autres se consacrant à la « consolidation budgétaire ». À propos de la stabilisation de la zone euro, on entendra les pays du BRICS proposer de participer à une recapitalisation du FMI, afin que celui-ci continue d’y prendre toute sa part. Y voyant une opportunité de prendre les États-Unis, qui ne veulent pas cotiser, à contre-pied et de justifier leur montée en puissance au sein du Fonds. Tout cela est maigre.

Partager :

129 réponses à “L’actualité de la crise : LEURS SUCCESS STORIES, par François Leclerc”

  1. Avatar de François78
    François78

    Dans la plupart des émissions radio télé, dans les articles et commentaires, on dit :

    – Après l’Irlande, la Grèce, le Portugal, il y a l’Espagne, l’Italie, la Belgique, etc …

    J’adore le « ETC », je me demande quel est ce pays … qui est très souvent cité. Si j’y habitais, je commencerais à me quelques soucis.

  2. Avatar de Leboutte
    Leboutte

    @Paul Jorion:
    Un peu hors propos, quoique pas au sens large: puis-je vous suggérer de mettre les chroniques de Paul Krugman dans votre blog-roll ?
    En français sur le site de la RTBF par exemple: http://www.rtbf.be/info/chroniques/archive_paul-krugman?chroniqueurId=5032403

    Elles valent bien leur pesant d’Attali. 🙂

  3. Avatar de Arielle

    J’aimerais préciser quelques point, ceux qui n’ont que des dettes et/ou un toit et un travail pensent qu’ils n’auront rien à perdre…ceux qui ont acheté une petite ferme avec un puit..;pensent qu’ils seront à l’abri du besoin!

    FAUX ..même si lors des dernières guerres, ceux qui avaient de la famille parmi les Agriculteurs s’en sont mieux sortis que les autres.

    Cette époque est terminée car, entre autre la plupart des gens réagiront différemment et surtout efficacement ..en ne respectant pas ces avantages particuliers et égoistes!

    1. Avatar de Cécile
      Cécile

      cela sans dire de nos centrales nucléaires et co

  4. Avatar de ploucplouc
    ploucplouc

    Non je pense que vous vous trompez tous ceci n »est qu’une histoire d’amour. L’amour de l argent certes. Et comme chacun sait les histoires d’amour finissent mal en général

  5. Avatar de rodj
    rodj

    juste après lecture je retiens deux mots : mince et … maigre.

  6. Avatar de Kerjean
    Kerjean

    Mais pourquoi dites vous que la crise Européenne n’a pas d’issue. Regardez l’Irlande, elle sort déjà la tête de l’eau.

    1. Avatar de yvan
      yvan

      C’est dingue d’avoir participé autant sans savoir ce qu’est le dumping.

  7. Avatar de GL
    GL

    Des chiffres affolants sur l’économie !

    New York Times du 15 octobre: Evolution des importations de chaque pays de l’Eurozone entre sept. 2008 et août 2011

    Plutôt que la finance c’est l’économie qui compte pour 99% des gens.

    Ces chiffres sont trop globaux pour qu’on puisse en tirer les indications nécessaires sur la situation réelle des pays de l’Eurozone (peu importe le montant des oeuvres d’art importées en Grèce en passant par la douane – par contre si les importations d’énergie et de matière première y on chuté de 40% on ne voit pas comment l’industrie peut survivre.)

    Si ces chiffres ont un sens la situation économique de l’Italie n’a absolument rien à voir avec celle de la Grèce.

  8. Avatar de yvan
    yvan

    Pour ceux qui comptaient sur les Indignés pour les sortir de la mouise :
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/10/15/la-planete-des-indignes-manifeste-dans-plus-de-700-villes_1588071_3224.html#ens_id=1584602
    « les « Indignés » peinent à faire émerger un leader, véritable caisse de résonnance de leurs revendications. »
    Non seulement ce n’est pas le but de la manoeuvre, car nous voulons un multilétalisme jusque dans les organes de décisions, soit, des assemblées, mais…
    Vous pensez sérieusement que les pouvoirs mondiaux en place laisseraient émerger des contre-pouvoir…???

  9. Avatar de jean-yves
    jean-yves

    Grâce à Dieu (pour en revenir à la 1éré intervention de TOUILEB Mouloud), nous avons GOCHMOL et GOCHDUR qui s’affrontent pour, in fine, nous sauver.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta