Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Quand le système bancaire s’est effondré, l’argent qui manquait, on est allé le chercher dans la poche du contribuable. C’est très vilain mais ce n’est pas passé inaperçu : le fonctionnement implicite du système financier est apparu en surface, au vu de tous. Cela n’avait pas été prévu : l’« oligarchie », pour utiliser le terme qu’affectionne Simon Johnson, l’ancien économiste en chef du Fonds Monétaire International, aurait sans aucun doute préféré davantage de discrétion.
Quand je dis « sans aucun doute », certains sont d’un avis contraire, qui pensent que tout cela était prémédité : de l’effondrement au rétablissement sans vergogne. Je ne le pense pas, et vous allez voir pourquoi.
L’un de vous me communique un extrait d’une conversation récente :
Mr. X. responsable du top management de la Rabobank (à propos de l’obligation de brochures informatives en cas de vente de produits financiers) : « Les gens n’y comprennent rien, et de toute façon, ils ne les lisent pas, donc forcément ils ne savent pas à quels risques il s’exposent. Tout ceci est de leur faute, les vendeurs de ces produits respectent leurs obligations »
Le responsable à la Commission Européenne : « Mr X, vous avez déjà essayé de lire une de ces brochures ? Le problème n’est-il pas plutôt lié au fait que vous ne savez pas vous-même ce que vous mettez dans ces produits et que vous êtes incapables de les évaluer et donc de dire clairement au client ce qu’il encourt ? »
Le responsable à la Commission Européenne sait de quoi il parle : il semble très bien connaître le milieu financier. Sa remarque m’a rappelé une expérience personnelle, à l’époque où je travaillais pour la banque commerciale Wells Fargo à San Francisco. Le département marketing interrogeait les clients pour connaître les désidérata des clients en matière de crédit à la consommation, puis il nous communiquait à nous, au département pricing, le résultat de ses investigations comme une « décision ayant été prise » (ultérieurement, la procédure fut moins expéditive et un comité « nouveaux produits » fut créé, dont je faisais partie). J’ai ainsi hérité d’un projet à l’ambition délirante : un prêt convertible à tout moment en ligne de crédit et inversement.
Pour le mettre au point, j’ai créé un modèle à facteurs de risque à six variables, qui calculait soit la rentabilité – le taux étant fixé, soit le taux – pour une rentabilité déterminée, de SmartFit (c’était le nom du produit) pour la formule prêt et pour la formule ligne de crédit, ainsi que les taux de conversion d’une formule dans l’autre, et ceci en fonction du profil du consommateur et du type de logement envisagé. Après que SmartFit ait été lancé, j’ai un jour évoqué lors d’une réunion, le « produit que j’avais conçu ». Quelqu’un du département marketing s’est alors offusqué : « Mais c’est nous qui avons conçu ce produit ! » Un cousin de Mr. X de la Rabobank, sans doute.
Souvenons-nous toujours du vieil adage : « N’attribue pas à malice, ce que crétinerie explique aussi bien ! »
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