L’actualité de la crise: e la nave va, par François Leclerc

Billet invité.

E LA NAVE VA (*)

Est-ce un sommet de l’Union européenne de la dernière chance qui va se tenir avec succès jeudi prochain à Bruxelles, en vue de résoudre la crise grecque ? Rien n’est moins sur, en dépit des expectatives. Car l’incertitude continue de régner au sein de la zone euro à propos du marché de la dette souveraine et de la résorption des déficits publics. La ligne de conduite des principaux gouvernements semblant masquée ou indécise, sans doute les deux à la fois. Mais elle est porteuse, dans les deux cas, de dangers potentiels qui pourraient se révéler sous-estimés.

Il est peu probable que des décisions claires sortent de la réunion de jeudi. Au contraire, on peut s’attendre à l’expression de nouvelles circonvolutions à propos de la coordination des politiques budgétaires et financières, à la recherche d’un modèle toujours introuvable de gouvernance européenne. Sans qu’un signal clair ne soit donné aux marchés, à qui la parole a été donnée et qui vont vouloir la conserver.

En ce début de semaine, les Espagnols étaient à l’offensive pour contrer la menace qui pèse sur eux. José Luis Rodriguez Zapatero, le chef du gouvernement, avait déjà dénoncé « les analystes créateurs d’opinion sur l’euro ». José Manuel Campa, le secrétaire d’Etat à l’Economie, a engagé ce même jour un séjour londonien et multiplie les rendez-vous à la City. José Blanco, le ministre des transports, a déclaré à Madrid : « On assiste à des manoeuvres troubles et a une résistance très claire à un contrôle et une régulation accrus des marchés » provenant de « ceux qui sont à l’origine de la crise, à savoir les spéculateurs financiers internationaux ».

Afin d’anticiper l’évolution de la crise, les analystes financiers en mal de boule de cristal scrutent l’évolution de leurs indicateurs favoris, les Credit-Defaut Swaps (CDS), ces contrats d’assurance dont les primes sont dans le cas présent censées mesurer le risque attaché aux obligations d’Etat, mais qui en réalité expriment une spéculation financière sans rapport avec le risque lui-même (comme l’explique Paul Jorion dans sa chronique de BFM).

Pour leur part, les commentateurs politiques cherchent à pénétrer le sens des déclarations distillées par les ministres allemand et français, ainsi que par les hiérarques de Bruxelles et le grand prêtre de la BCE. S’interrogeant sur la stratégie suivie par les gouvernements forts de la zone euro.

Tout le monde se retrouve d’accord pour constater que la dépréciation de l’euro par rapport au dollar – qui découle de la crise actuelle – n’est pas pour déplaire. Ni aux Français qui la réclamaient en vain depuis plusieurs années aux autorités monétaires de la BCE, ni aux Allemands pour qui celle-ci représente une chance supplémentaire de renforcer leur relance, étant donné le poids de leurs exportations dans leur PIB.

Faut-il alors penser que l’intransigeance manifestée à l’égard d’Athènes, laissée seule dans l’épreuve et la tourmente, n’a pour objectif que d’obtenir grâce à la réaction des marchés ce qu’il n’était pas possible de faire en utilisant la boîte à outils de la BCE ? Celle-ci étant mobilisée pour soutenir de dollar, ainsi que les autres banques centrales, afin d’éviter qu’il ne chute d’avantage. Cela serait comme jouer avec des allumettes à côté d’un bidon d’essence.

Une autre raison, plus politique, est largement exposée dans la presse. Toute aide apportée à la Grèce aurait deux implications, qui seraient autant d’inconvénients : 1/ mutualiser la dette grecque la ferait partiellement financer (ou garantir, un moindre mal) par les pays forts, ce qui pourrait être mal vécu par ceux qui vont devoir serrer leur ceinture en leur sein ; 2/ renforcer un aléa moral, ce qui serait peu incitatif pour les autres pays de la zone euro, à qui il est demandé de suivre le chemin de l’austérité.

Une troisième grille de lecture est également plus discrètement proposée. La clé de la crise actuelle serait à Berlin, dont les intentions vis à vis de la zone euro sont suspectées. Comme si les Allemands pouvaient avoir choisi d’utiliser le levier des marchés pour imposer une reconfiguration de la zone euro ; recentrée autour des pays les plus forts, déportée vers l’Est (Pologne, Tchéquie et Solvaquie, qui ont mieux résisté à la crise) au détriment du Sud. De la même manière qu’ils avaient procédé à la réunification de l’Allemagne, au moment de la chute de la RDA (l’Allemagne de l’Est), dans des conditions financières qui en avaient fait de facto partager le coût à leurs partenaires. Somme toute par intérêt national, n’étant pas prêts à renvoyer l’ascenseur.

Il y a sans doute dans la situation actuelle un peu de tous ces calculs à la fois. La réflexion se déplaçant alors pour porter sur le risque systémique qu’elle génère. En se demandant : « jusqu’où leur est-il possible de ne pas aller  ? » (avant que la situation ne dérape). Afin d’y répondre, un premier niveau d’analyse sommaire s’est à tort vite imposé. On a parlé poids respectifs des PIB et considéré que ceux de la Grèce, ou du Portugal, étaient quantité négligeable comparé à celui de la zone euro. Gêné pour s’en tenir à cette analyse, lorsque le sort de l’Espagne a été ensuite posé sur le tapis. Il a donc alors fallu se résoudre à commencer à rechercher ces causes discrètes des enchaînements systémiques, que l’on ne voit toujours que lorsqu’il est trop tard.

En se résolvant à soupeser les engagements qui pourraient avoir été pris au sein du système financier, notamment par les banques allemandes auprès de leurs consoeurs des pays du Sud. Ou ayant fortement investi dans des obligations de l’Etat espagnol, lorsqu’elles ont cherché un refuge relatif au sein de la zone euro, sans se douter qu’elles échangeaient un risque de change contre un risque de dette. On a fini par se demander, ensuite, si la crise des pays du Sud ne devait pas être comparée, par ses effets potentiels, à celle de certains pays de l’Est de l’année dernière, qui avait conduit le FMI à intervenir en force pour les soutenir (et par ricochet à conforter les banques occidentales).

Aujourd’hui, on en est là. Trouvant significatif que l’éventualité d’une intervention du FMI reste toujours présente, comme une sorte de derniers recours, au cas où les Européens continueraient de rester l’arme au pied. Mais celle-ci ferait supporter le poids de la crise européenne actuelle à tous les pays membres du FMI, ce qui peut justifier leurs réticences, tandis que les Européens craignent le symbole que représenterait l’intrusion du fonds au sein de la zone euro. Une situation qui ne déplairait pas aux euro-sceptiques qui y verraient la justification de leur analyse de toujours.

Tous ces calculs ont pour principal effet de ne pas aborder de front le problème de la dette publique. Celui-ci se pose aujourd’hui avec acuité en Europe, il se posera de même demain aux Etats-Unis, ainsi qu’au Japon (en dépit du fait que la dette de ce dernier pays soit auto-financée). De premiers signes annonciateurs de cette évolution inévitable de la crise sont déjà apparus. Il a fallu à Timothy Geithner, secrétaire d’Etat au Trésor, faire preuve de beaucoup d’assurance lors d’une interview télévisée sur la chaîne américaine CBS, pour affirmer que la note de la dette américaine ne changerait jamais. Qu’il évoque cette éventualité, même pour la rejeter, étant en soi significatif. Les marchés choisissent toujours les points faibles pour s’infiltrer, comme l’eau lors d’une inondation. L’Europe est tout simplement l’occasion de faire à moindre frais une démonstration, les Etats-Unis étant un plus gros morceau.

Les gouvernements vont devoir être un peu plus réactifs, s’ils veulent faire barrage à la montée en puissance des marchés, qui rétrécit leurs marges de manoeuvre. Il n’est pas certain qu’ils y soient déterminés ou qu’ils veuillent s’en donner les moyens. Jeudi, à Bruxelles, les chefs d’Etat et de gouvernement vont tenter de bricoler un dispositif, à défaut de définir une politique. Afin de se réfugier derrière lui, pour mieux justifier une rigueur dont ils retardent l’application.

(*) Comme Federico Fellini a titré l’un de ses films (ainsi si vogue le navire).

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