La dette est-elle un boulet ou un prétexte ?
Les déclarations officielles sur la dette publique sont pleines de bon sens : le déficit public est une très mauvaise chose et la dette publique, qui constitue la mémoire accumulée de tous les déficits passés, tolérés au fil des ans, est encore une bien plus mauvaise chose. Réduisons donc le déficit. Mieux : réduisons la dette et tout ira beaucoup mieux.
Que reprocher à ce raisonnement ? la dette est indubitablement un boulet. La charge de la dette, le montant des intérêts à verser annuellement, a atteint un niveau consternant : du même ordre de grandeur que les recettes de l’impôt sur le revenu et constituant désormais le deuxième poste budgétaire : entre le budget de l’éducation nationale et celui de la défense.
S’ajoutent à cela les consignes européennes du pacte de stabilité et de croissance : Bruxelles s’impatiente et n’a donné à la France qu’un sursis : il faudra qu’à l’horizon 2013, elle se conforme à la norme des 3 % maximum de déficit annuel et d’une dette publique ne dépassant pas 60 % de son PIB. L’Allemagne s’est engagée de son côté à réduire son déficit et n’a pas hésité à recourir pour ce faire aux grands moyens : pas moins qu’un amendement constitutionnel qui interdira au déficit de l’État fédéral de dépasser 0,35 % du PIB à l’horizon 2016. Et, le futur standard ayant été fixé par l’Allemagne, l’ensemble des autres pays, et la France en particulier, seront jaugés à cette aune drastique lorsque leurs nouveaux emprunts publics s’offriront sur le marché des capitaux. S’ajoute encore à cela la menace d’une dégradation de la notation de la dette d’État, si jamais les choses ne rentraient pas dans l’ordre.
Il n’empêche : l’empressement actuel à vouloir résoudre à l’instant une situation existant depuis une dizaine années déjà est éminemment suspect. D’autant que la France est encore aujourd’hui en situation d’émettre sans difficulté sa dette à taux modérés. Deux tiers de celle-ci trouvent preneur à l’étranger et l’obligation faite à la suite de la crise à certains acteurs stratégiques, tels que les banques et les compagnies d’assurance, d’investir dans des instruments liquides et de bonne qualité, assure aux emprunts publics français un débouché quasiment garanti.
D’où cette question : assiste-t-on vraiment en ce moment à un retour à la normale de la situation économique et financière à ce point spectaculaire qu’il faille – après tant d’années d’insouciance et de laxisme – résoudre d’urgence le problème de la dette publique française ?
Ou bien y aurait-il là comme une arrière-pensée ? Et si oui, que pourrait-elle bien être ? La réponse est malheureusement évidente. La crise a produit une pléthore de faits invalidant le bien-fondé de la déréglementation et de la privatisation prônées par le libéralisme radical qui prit son essor initial dans l’Allemagne d’après-guerre pour s’épanouir ensuite en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis, avant de trouver son expression consommée dans le traité de Lisbonne.
Si le programme a trouvé sa réfutation dans la réalité, la volonté de le mener à son terme n’a pas faibli pour autant parmi ses partisans endurcis : à défaut de pouvoir justifier sa poursuite par une raison, il faut donc lui découvrir au moins un prétexte. On s’en prendra donc, sous couvert de rigueur, aux mesures de protection sociale qui permirent pourtant à la France de s’en tirer jusqu’ici bien mieux dans les soubresauts de la crise que bon nombre d’autres nations. Mais qu’importe : les faits pèsent pour si peu !
132 réponses à “Le Monde – Économie, La dette est-elle un boulet ou un prétexte ?, lundi 8 – mardi 9 février 2010”