L’actualité de la crise: le syndrome grec, par François Leclerc

Billet invité.

LE SYNDROME GREC

En Europe, la crise a élargi son terrain. Elle était celle d’un Etat devant faire face au refinancement de sa dette alors que ses taux obligataires grimpaient (ils sont toujours très élevés, même s’ils se sont détendus), elle est aussi devenue celle du système bancaire dans son ensemble.

Certes, certaines banques sont plus exposées que d’autres au risque grec – ou bien demain portugais ou espagnol – mais toutes sont en réalité menacées. Car quand elles ne le sont pas en raison de leurs filiales – toutes les banques du pays étant désormais tenues hors de l’eau par la BCE – elles le sont en raison de la dette souveraine qu’elles ont en portefeuille, toujours susceptible d’une décote en dépit de l’activation probable du plan de sauvetage, qui n’en prévoit pas. Enfin, elles ont subi des baisses en bourse, touchant indifféremment les valeurs financières, sans faire le détail. Aujourd’hui vendredi, le marché présenté comme serein est dans l’attentisme, suivant l’expression consacrée, les financières souvent encore à la baisse.

La crise des banques européennes va-t-elle être stoppée par le sauvetage de la Grèce ? Rien n’est moins sûr, car elles vont être désormais sous une triple menace : celle qu’un nouveau point faible de la zone euro soit pris dans une tourmente identique, celle d’une décote des obligations grecques, qui pourra ultérieurement s’imposer, celle d’une décote d’autres obligations à la faveur d’une extension de la crise à un autre pays et d’un plan de sauvetage l’impliquant.

La prochaine réunion de la BCE, prévue jeudi prochain à Lisbonne, est donc attendue avec beaucoup d’attention. L’un des enjeux est que celle-ci continue d’accepter en pension la dette souveraine de pays dont la notation continuerait à baisser, l’obligeant à revoir à nouveau le plancher qu’elle a fixé dans ce domaine. Pouvant aboutir à une situation où la BCE en viendrait à accepter systématiquement en pension la dette souveraine de la zone euro, ce qui reviendrait à totalement détourner – sinon dans la lettre tout au moins dans l’esprit – ses propres statuts et l’interdiction qui lui est faite de financer directement la dette des Etats.

Les chefs d’Etat et de gouvernement, qui devront encore entériner le 7 ou 8 mai prochains le plan de sauvetage de la Grèce à l’unanimité, ne s’en tireront pas à si bon compte. Non sans de grandes difficultés, ils ont fait de mauvais choix auxquels ils vont être confrontés. D’abord en plaçant la barre beaucoup trop haut pour le gouvernement grec. Combien de temps sera-t-il possible de ne pas le reconnaître ? Ensuite, en choisissant de protéger leurs banques sans se soucier du montant exorbitant de l’addition qu’ils veulent faire payer aux grecs. Les Allemands faisant preuve de plus d’intelligence politique en associant tout de même leurs banques au sauvetage.

Si l’on considère la Grèce, la tâche du gouvernement serait facilitée s’il pouvait laisser entrevoir aux Grecs une lumière au bout du tunnel. Des financements européens auraient pu lui permettre de lancer un programme d’investissement dans des activités génératrices d’une future croissance. Ce n’est pas le cas. Le plus probable est que le pays va s’enfoncer dans la récession, vu ce qui est exigé de lui.

Si l’on envisage la zone euro, une réflexion devrait être au plus vite engagée sur un mécanisme de sauvetage global afin d’éviter d’aborder par étapes une crise concernant toute la zone car mettant en cause l’euro, ce qui est le meilleur moyen d’augmenter son coût final. Le montant minimum qui circule à ce propos est de 500 à 600 milliards d’euros, une enveloppe dont la couverture ne peut pas être le résultat d’une nouvelle improvisation, ni la reconduction élargie du dispositif actuel.

La mutualisation de la dette européenne, sous une forme ou sous une autre, est la seule solution si les gouvernements veulent éviter ce qui sera sinon, au mieux, un long dérapage non contrôlé. Poser le préalable d’une politique économique commune, d’une Europe fiscale ainsi que sociale est un luxe qui n’est même pas envisageable, faute de temps et d’accord politique. Faute, également, d’un leadership européen qui fait totalement défaut, au vu de ce que la génération actuelle des femmes et des hommes politiques européens est capable de produire.

Sortir de la tendance déflationniste dans laquelle l’Europe se trouve, et va continuer de s’enfoncer en application du vide stratégique actuel, ne se réglera pas par l’opération du Saint Esprit. Cela suppose de prendre en compte la dimension sociale de la crise, et non pas de s’en tenir à des paramètres économiques et financiers désincarnés, qui masqueront l’accroissement des inégalités sociales et de la précarité ainsi que le déclassement d’une partie des classes moyennes.

Les dernières statistiques d’Eurostat viennent de sortir, qui font état pour mars d’un chômage au dessus de la barre des 10% au sein de la zone euro. Il s’agit évidemment d’une moyenne, calculée sur la base des chiffres officiels fournis par les gouvernements. L’augmentation du nombre de chômeurs, qui se poursuit, pourrait simplement croître moins vite, est-il pronostiqué. Mais la publication de cette statistique est éclipsée par les nouvelles se voulant apaisantes de la détente des taux obligataires, de la baisse du coût des CDS sur la dette. Comme pour la brasse papillon, on sort la tête de l’eau avant de la replonger.

Le syndrome grec va désormais hanter l’Europe.

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