L’actualité de la crise : LE NOYAU DUR DES IRRÉDUCTIBLES, par François Leclerc

Billet invité.

Sans manier l’emphase, un épisode important de l’Histoire se fait sous nos yeux, nous emportant nous ne savons pas où. La Crise – qui mérite également sa majuscule – dévoile progressivement les contradictions auxquelles le capitalisme financier se heurte, après avoir implosé. Sans que celui-ci ne parvienne à dénicher sa porte de secours, ni qu’une perspective suffisamment affirmée et partagée n’indique une autre voie pouvant s’y substituer.

La Crise n’emprunte pas des parcours identiques en Europe, aux USA et aux Japon, mais tous ont en commun de ne déboucher sur rien. Les Européens ne savent pas comment démêler le nœud financier qu’ils ont serré en liant très étroitement leur dette publique et privée. Les Américains menacent de rejoindre le Japon dans la trappe à liquidité – quand l’augmentation de la masse monétaire par les banques centrales ne génère plus de relance économique – dont ce dernier ne parvient pas à sortir depuis plus d’une décennie.

Vient s’ajouter, dans le monde nouveau des puissances émergentes, la montée de la bulle financière et de l’inflation chinoise, toujours pas maîtrisées malgré les efforts, aux effets sociaux inquiétants, résultant des énormes injections de liquidité destinées à suppléer à la diminution de la croissance et demande occidentales.

Le monde est en crise : cet énoncé devenu banal, auquel on s’accoutume, va finir par accréditer que ce nouveau mode d’existence est la règle avec laquelle il faut désormais vivre. C’est bien là le danger.

L’Europe en est actuellement le catalyseur le plus en pointe. Elément faible du dispositif non seulement en raison des imperfections et limites de son union, mais aussi de l’exacerbation de la lutte pour l’accès au capital, cette denrée qui s’y révèle relativement peu disponible alors que les besoins de ses secteurs privés et publics sont immenses. C’est là où se concentrent les tensions, arrivé le moment où il va falloir régler l’addition. Là où l’Histoire à nouveau se forge, bien que la région semble être condamnée au déclin, dans un rôle de victime consentante toute trouvée.

Après avoir longuement tergiversé, divisées et se raccrochant à des plans aussi vite dépassés que mis en place, les autorités européennes vont se rabattre sur le plus petit dénominateur commun afin de tenter de faire front. Accouchant péniblement, et dans ses très grandes lignes uniquement, d’un nouveau dispositif de stabilisation financière qu’ils vont devoir affûter. Il devrait y être ajouté monétaire, pour ne pas se voiler la face comme elles l’affectionnent.

Comme toujours en Europe, cela a commencé par une interrogation institutionnelle, à propos de la révision nécessaire des Traités qui l’engagent et à modifier. Une procédure simplifiée, heureusement trouvée, permettra de faire l’économie d’un débat général et de consultations – dans les parlements ou les pays – qui ne pourraient être affrontés sans dommages et intérêts.

D’une voix assourdie et avec d’infinies précautions, la terrible hypothèse d’un partage de l’addition est désormais évoquée, afin que les fonds publics ne soient pas seuls mis à contribution, nous y voilà ! Non sans remous et réactions de la part de ceux qui prédisent que c’est folie et contribuent ainsi à attiser le feu sacré qu’alimentent les marchés.

Devançant une nouvelle réunion européenne, dont l’objectif est de décider du lancement de ce nouveau dispositif pour 2013, Jürgen Stark – l’un des six membres du directoire de la BCE – vient de déployer sa bannière afin de regrouper derrière elle les tenants de la plus stricte orthodoxie, afin de faire barrage aux hérétiques.

« C’est aux responsables politiques de régler la crise de la dette souveraine et non pas à la banque centrale » débute-t-il à l’occasion d’une interview au quotidien grec To Vima, dont le texte anglais a été communiqué à l’avance aux agences de presse afin de lui donner le maximum de retentissement. Rejetant les suggestions selon lesquelles la BCE devrait élargir sa mission, Jürgen Stark réplique : « Ce que vous demandez, c’est une plus forte inflation. (….) Nous avons le mandat clair de maintenir la stabilité des prix. Demander la poursuite d’autres objectifs, serait trop charger la barque de la BCE ».

Les faucons freinent autant qu’ils le peuvent la logique les entraînant à davantage intervenir sur le marché des obligations d’Etat. « Nous n’avons pas la responsabilité de la politique fiscale » rétorque-t-il pour y faire obstacle, oubliant que son président ne cesse d’intervenir à ce propos. A Madrid, ce dernier déclarait vendredi dernier : « Dans tous les pays, les réformes structurelles sont essentielles, non seulement pour consolider la position financière mais aussi pour élever le potentiel de croissance ».

Sur l’autre sujet brûlant du moment, la résorption de la dette publique – car la simple existence de la dette privée semble pour lui impensable – Jürgen Stark se réfugie derrière des « standards internationaux », en ces temps où rien pourtant ne fonctionne plus en accord avec eux. « Il est important de souligner, si l’on considère la participation des créanciers du secteur privé, que celle-ci devrait être en ligne avec les standards internationaux généralement admis, et en particulier avec ceux du FMI » répond-il. Cette ligne de défense apparaissant bien fragile, surtout si l’on se rappelle que d’importants membres de la BCE, l’Autrichien Ewald Nowotny et l’Allemand Axel Weber, ont la semaine dernière exprimé la nécessité d’une telle participation. Le ver est dans le fruit à la BCE.

Pour parfaire dans l’intransigeance, le gardien du temple s’oppose à toute perspective d’émission d’euro-obligations, qui a des partisans puissants malgré le veto franco-allemand. « Baisser artificiellement les taux d’intérêt découragerait les gouvernements [de réduire leurs déficits], et doit être proscrit (…) Les euro-obligations ne régleront pas les problèmes structuraux auxquels font face quelques pays ». On ne saurait mieux occulter la réalité de l’étroite interconnection de la dette publique et privée globale.

Puis, il critique le compromis franco-allemand ayant abouti à ce que d’éventuels pénalités des fautifs soient « semi-automatiques », au lieu de l’être totalement. Enfin, il assène pour conclure que si la « gouvernance économique » était rigoureuse et les règles à suivre suffisamment dures, il ne serait même pas nécessaire de disposer d’un mécanisme permanente de sauvetage.

Cette édifiante interview illustre la rigidité absolue et la totale absence de réalisme avec lesquelles la crise européenne est appréhendée. Non sans rapport avec la poursuite des paris financiers par les mégabanques, ainsi qu’avec leur refus déterminé de toute nouvelle règle les bridant ou imposant des coussins financiers de protection plus étoffés.

Parmi ses nombreuses merveilles, la Crise aura révélé l’existence d’un camp des durs, prêts à tout sauf à affronter leur déchéance, qui voient dans les pays émergents et l’ouverture accrue de leurs marchés financiers de nouveaux terrains de jeu. Attendant également l’élargissement du marché du carbone sous les auspices de la Banque Mondiale, suite à la conférence de Cancun qui vient de se conclure. Pour progressivement déserter les gisements en voie d’épuisement et moins facilement exploitables des marchés occidentaux de la dette.

Cet irréductible et puissant noyau là ne bénéficie plus de la stricte opacité et discrétion qu’il affectionne. Condition nécessaire, mais pas encore suffisante, pour qu’apparaisse une dynamique qui contrarie la sienne.

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