Billet invité.
Avant d’avoir pris du champ dans sa retraite Suisse de Rolle, Jean-Luc Godard était connu non seulement pour sa lecture boulimique des faits divers de la presse mais également pour son intérêt pour la création publicitaire, un genre méprisé. Il y voyait dans les deux cas une sorte de miroir du monde.
La dernière publicité de Chrysler, le constructeur automobile américain, lui aurait donné si nécessaire raison. Destinée à être diffusée durant la retransmission télévisée du Super Bowl – la finale du championnat de football américain – ce spot de deux minutes tente de prendre appui sur le déclin industriel de la ville de Detroit, la capitale de l’automobile que les Américains ont surnommé Motor City ou Motown, pour vendre le dernier né de la firme, la Chrysler 200.
« Ce sont les feux les plus chauds qui font l’acier le plus dur. Ajoutez-y le dur travail, la conviction et le savoir-faire qui habitent chacun d’entre nous depuis des générations. C’est ce que nous sommes. C’est notre histoire ». C’est en tout cas ce qu’affirme, sur le décor d’une ville dont le déclin industriel est filmé, une voix off que l’on comprend marquée par les épreuves de la vie.
La passion des Américains pour les records en matière d’argent est satisfaite par cette pub qui aurait coûté six millions de dollars, faisant d’elle la plus chère de l’histoire de la télévision, ce qui n’a pas manqué d’être rendu public à son avantage.
L’AFP a interviewé Jeremy Anwyl, un analyste du marché automobile américain, qui a déclaré : « Nous Américains, nous aimons ce message : on peut essayer de vaincre l’adversité. Les gens ont accroché, en pensant au pays et à la façon dont l’économie s’est relancée après sa débâcle ».
Le directeur général de Chrysler, Sergio Margionne, a résumé ainsi le brief qu’il avait donné aux réalisateurs de la pub : « Ce qu’il y a d’exceptionnel avec ce pays, c’est qu’il a la capacité d’apprendre ».
On a fait beaucoup de cas ces derniers temps de sa renaissance. Le chômage a pourtant atteint au Michigan le taux officiel de 11,7%, contre 9% nationalement. L’industrie automobile américaine employait 1,3 million de salariés en 2000, ils ne sont plus que 700.000. Mais de cela, le spot ne parle pas.
Chrysler a été proche de la disparition et a dû effectuer un dépôt de bilan, recevoir des prêts du gouvernement, subir une restructuration financière et industrielle drastique, puis former une alliance avec Fiat pour survivre. Sa réussite d’aujourd’hui se traduit en profits, mais pas en embauches.
Destiné à vendre son dernier modèle, le spot se termine par la mention « Importé de Detroit ». Qu’importe si la firme a transféré au Mexique et au Canada une part importante de sa production ! Chrysler est aussi une machine à produire de l’idéologie, un produit destiné à vendre aux Américains la croyance en leur rédemption, surtout quand ils sont au fond du panier.
Enjoy America !
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