Billet invité.
Sans même attendre que l’Espagne soit à son tour dans l’obligation de demander l’aide financière de l’Europe, ni même que le Portugal ait pu parvenir à négocier son propre plan de sauvetage, dans des conditions politiques très scabreuses, l’édifice déjà bien fragile de la stabilisation financière menace désormais de s’écrouler tout seul.
Le taux obligataire grec à 10 ans a atteint ce jeudi 13,13% – du jamais vu – dans l’attente d’une restructuration de dette négociée considérée comme inévitable, étant donné la mission impossible exigée des Grecs. Le taux à deux ans était ce jour de 17,44%.
Le gouvernement grec ne parvient pas à être dans les clous de son plan de sauvetage, la diminution de ses dépenses n’étant pas suffisante, contrecarrée par une baisse des recettes budgétaires là où une hausse serait nécessaire, en raison notamment d’une très forte récession (baisse de 4,5% du PIB en 2010). En conséquence, un plan triennal va être présenté, qui va devoir procéder à de nouvelles coupes budgétaires. 23 milliards d’économies budgétaires vont être recherchées d’ici 2015.
Le gouvernement étudie également la création d’une société de financement de la construction et de la rénovation du réseau autoroutier d’ici 2014, qui pourrait bénéficier de la titrisation des recettes des péages durant la durée des concessions, prévue pour plusieurs décennies. Selon ce plan, ce montage miracle devrait également dégager de quoi contribuer à la diminution du déficit public, en remplaçant des dettes obligataires par des avances sur recettes. Un montant de 20 milliards d’euros est déjà évoqué, mais on sait que l’une des formes de protestation des Grecs est la grève des péages routiers…
Dans une interview à Die Welt, Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des finances, a pour la première fois envisagé la restructuration de la dette publique grecque – sur des bases volontaires et non pas obligatoires – une éventualité dont Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, a encore dernièrement refusé de tout simplement en discuter. Le gouvernement grec, le FMI et la Commission de Bruxelles ont pour leur part une fois de plus renouvelé des déclarations refusant cette perspective. Mais les marchés sont beaucoup moins péremptoires, car ils doutent que la Grèce puisse assurer le service d’une dette qui va dépasser 152% du PIB fin 2011 et qui est actuellement estimée à 340 milliards d’euros.
Comme si les mots avaient encore à ce stade un quelconque pouvoir, Lorenzo Bini Smaghi, membre du directoire de la BCE, a prononcé une solennelle mise en garde, estimant qu’une telle restructuration entraînerait la faillite d’une grande partie du système bancaire grec (il est resté discret à propos des banques européennes), mettant « l’économie à genoux » (comme si elle était encore debout), le tout ayant « des effets dévastateurs sur la cohésion sociale et la tenue du système démocratique » (dont ils sont actuellement préservés, si on le comprend bien).
La Grèce pourra-t-elle revenir comme prévu sur le marché et voler à nouveau de ses propres ailes, au vu de la dégradation que continuent d’enregistrer ses taux obligataires ? Une opération de restructuration négociée ne sera-t-elle pas nécessaire, une fois par ailleurs reconnu comme inévitable de pérenniser un sauvetage, qui deviendra alors permanent, avant d’être élargi à d’autres pays dans la même situation ? Exactement le contraire de ce que veut le gouvernement allemand, mais comment l’éviter sauf à accepter l’éclatement de la zone euro ? Entre deux maux, il va falloir choisir le moindre.
La BCE risque fort de devoir aussi manger son chapeau, qui craint l’effet boule de neige sur le système bancaire européen. Ainsi que Herman van Rompuy, le président de l’Union européenne, qui vient de remporter la palme en déclarant à Athènes : « Je n’ai aucun doute que la zone euro sortira plus forte et unie de cette crise ».
L’hypothèse d’un simple rééchelonnement de la dette grecque est considéré par les gens qui savent compter comme insuffisant ; on parle d’une décote de l’ordre d’au moins 40 à 50%, afin que la dette devienne soutenable. Les banques européennes n’en sortiront pas indemnes.
En attendant, les Portugais sont sommés d’aller à Canossa et d’avaliser de « très strictes » conditions à leur aide financière, qui vont les précipiter à leur tour dans une profonde récession. Celle vers laquelle les Irlandais se dirigent, dont ils sont déjà bien proches. Mais il n’est pas exclu que les Finlandais bloquent le processus, leur parlement ayant ce pouvoir et le résultat prévisible des élections de dimanche prochain renforçant cette éventualité.
Cette course d’obstacle est sans fin, à suivre également les débats du Bundestag allemand, qui élève les uns après les autres de nouveaux obstacles au fonctionnement du futur MES, prévu pour 2013, c’est à dire dans une éternité ! Faisant de ce point de vue preuve d’une double cécité. On assiste à une véritable révolte en son sein, qui gagne progressivement du terrain.
Le douloureux sujet des banques revient à la surface et s’impose après avoir été enterré. C’est avant tout du montant de sa dette privée que le Portugal souffre, tout comme l’Irlande et l’Espagne; il ne va plus pouvoir longtemps être possible de continuer à faire l’autruche.
La stratégie de règlement des faux frais de la crise financière sur fonds public craque de partout. Combien de temps la panique enregistrée sur le marché obligataire va-t-elle mettre pour atteindre l’Espagne ?
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