L’actualité de la crise : LE REBOND SE PRÉCISE, par François Leclerc

Billet invité

Les éléments d’un rebondissement de la crise du système financier sont en train d’être réunis. Sans même qu’il soit donné aux banques le temps de reprendre leur sarabande et d’en précipiter une nouvelle. Ou que la crise de l’immobilier commercial américain ait eu le temps d’éclater.

L’analyse qui prévoyait que les États, ayant les yeux plus gros que le ventre, ne pourraient pas digérer le financement de la crise est en train de se vérifier. Cela a commencé en Europe, laquelle a dans un premier temps tenu la vedette, et se poursuit maintenant aux États-Unis, sous des formes et dans un contexte différent.

En Europe, les banques sont au bout d’une pente glissante, celle de la première restructuration d’une dette souveraine. Manuel González-Páramo, l’un des dirigeants de la BCE, a solennellement averti qu’un tel épisode aurait des effets systémiques pires sur les marchés que n’en a eu la faillite de Lehman Brothers, dans l’espoir fou de l’empêcher.

Les démentis se multiplient mais les rumeurs vont bon train, le gouvernement grec étant suspecté de préparer en douce une restructuration de velours, qui consisterait à négocier avec ses créanciers un rallongement de deux ans du plan de remboursement de la dette afin d’étaler le paiement. Une solution suscitant le scepticisme des analystes, convaincus qu’il est trop tard pour procéder ainsi et qu’il va falloir tailler plus profond.

Les banques grecques et les caisses de retraite, qui possèdent environ un tiers de la dette grecque, seraient au premier chef précipitées dans l’abîme, ce qui impliquerait un sauvetage dont l’État n’a pas les moyens, le chien se mordant le bout de la queue. Des hypothèses sont donc évoquées, envisageant d’autres financements faisant appel à la BCE et au Fonds de soutien financier européen, ce qui impliquerait dans les deux cas des revirements déchirants.

Fort opportunément, la Banque des règlements internationaux (BRI) vient par ailleurs de révéler une forte baisse, depuis le début de l’année, de l’exposition des banques allemandes, britanniques et françaises, qui ont réduit leurs engagements dans les secteurs public et privé de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne. L’addition sera de ce côté moins douloureuse, tout du moins tant qu’il ne s’agira que de la dette grecque.

Le choc de sa restructuration n’en sera pas moins rude pour ces établissements financiers, d’autant qu’il sera inévitablement le signal d’autres qui lui succéderont. C’est dans ce contexte que se poursuivent discrètement les stress tests des banques, dont on sait qu’ils ne prennent pas en compte ce risque de restructuration.

Celui-ci impliquera néanmoins que les établissements financiers se renforcent financièrement. D’importantes levées de fonds ont déjà eu lieu ces derniers temps, d’après Morgan Stanley qui a fait le point à ce sujet. D’autres tout aussi importantes seront inévitables. Une réunion vient d’avoir lieu sous les auspices de la BCE, réunissant dans le cadre d’une mission de bons offices des émetteurs de covered bonds (obligations sécurisées) et des investisseurs, ces derniers entendant obtenir les meilleures conditions de transparence pour y souscrire, car il faut s’attendre à des émissions massives, les émetteurs cherchant à conserver des marges de manœuvre.

L’échec des plans de sauvetage en cours d’exécution, la tentative de conclure celui destiné au Portugal avant la prochaine réunion de l’Ecofin de la mi-mai (avant les échéances de juin que le Portugal ne pourra pas sans cela honorer) laisse les États démunis, sans plan de rechange, devant une nouvelle fois bricoler dans un domaine où ils ont juré de ne jamais aller.

Tout ce fragile édifice va être prochainement mis à rude épreuve, les banques européennes revenant au premier plan de l’actualité, ce dont elles se passeraient bien. Cela va d’autant plus être le cas qu’elles vont devoir faire face à une autre menace, avec leurs consœurs américaines.

Les Américains sont en train de rejoindre les Européens, affrontant eux-aussi, mais à leur manière, la crise de leur dette publique. On a entendu le coup de canon qu’a tiré l’agence Standard & Poor’s à propos d’une éventuelle baisse de la note AAA de la dette américaine. De manière moins spectaculaire, les commentateurs s’interrogent gravement sur la manière dont va se comporter le marché obligataire lorsque le programme d’achat de bons du Trésor US va s’arrêter, en juin prochain. Le tout non sans forte incidence sur le dollar.

Matthew Zames, le président du Comité consultatif du Trésor pour les questions d’emprunt (TBAC), vient d’écrire une très éloquente lettre au secrétaire au Trésor, Timothy Geithner : « Les risques qu’un défaut de paiement [des États-Unis] ferait peser à long terme sont si élevés que tout retard dans le relèvement du plafond de la dette est susceptible d’avoir des conséquences négatives sur les marchés bien avant que ledit défaut ne se produise réellement. »

Il poursuit ce courrier en avertissant que « les conséquences d’un abaissement de la cote de solvabilité seraient considérables, et pourraient faire monter d’un point de pourcentage les taux d’intérêt [consentis par le Trésor sur ses emprunts] pour chaque baisse de la note d’un cran ». Enfin, il met en garde contre un défaut de paiement, même limité, lequel « pourrait déclencher une autre crise financière, après celle de 2007-2009, dont le monde ne s’est pas remis ».

Précision importante, ce comité regroupe la fine fleur des investisseurs américains dans la dette US : mégabanques et fonds d’investissement. Son président n’a toutefois pas explicité dans sa lettre toutes les inquiétudes de ses mandants, en parlant du risque d’une nouvelle crise financière sans en décrire le mécanisme.

Celui-ci est fort simple et toucherait tous les grands établissements financiers mondiaux. Les bons du Trésor jouent un rôle particulier dans le système financier international, utilisés comme collatéraux pour garantir des emprunts, étant jusqu’à maintenant considérés sans risque. Un accroissement des taux de ceux-ci, auquel correspondrait une baisse de leur valeur, impliquerait des désendettements précipités ou d’importants appels de marge une fois les dévalorisations de ces collatéraux effectuées, auxquels les banques devraient alors faire face. Or, le dollar est entré dans un engrenage baissier prononcé, qui a déjà pour effet une augmentation des taux.

Les Américains vont devoir faire face à une mécanique différente de celle en vigueur en Europe, qui n’en est pas moins redoutable et concerne la planète financière, étant donné le rôle du dollar.

La finance va se trouver placée dans une situation inédite : les actifs sans risque que représentaient les obligations américaines, point d’appui de tout le système financier, vont cesser de l’être, sans qu’aucune solution de remplacement ne soit envisageable. L’Euro connaissant également une crise profonde et le Yuan chinois étant loin d’être prêt à jouer le nouveau rôle qui l’attend.

Le système monétaire international ne peut connaître d’évolution qu’à chaud, les Américains s’opposant à toute évolution même progressive de ses bases actuelles. Il va donc connaître de forts soubresauts. La guerre des monnaies, qui n’a pas cessé depuis que la Fed a relancé la planche à billets, va encore s’amplifier. Suscitant de nouvelles mesures de défense des pays émergents, qui subissent un afflux déstabilisateur de capitaux à la recherche de forts rendements. Contribuant chez eux à la montée d’une inflation et à la constitution de bulles d’actifs boursiers et immobiliers.

A l’arrivée, la crise du système financier s’exporte dans les pays émergents qui étaient censés relancer la croissance et l’économie mondiale.

Ne perdant jamais le nord, les mégabanques américaines viennent d’obtenir que les swaps de change bénéficient d’une exemption, dans le cadre de l’application de la loi Dodd-Frank. Le trading de ces produits dérivés ne sera pas dans l’obligation d’utiliser les nouvelles chambres de compensation destinées à lever le brouillard opaque qui enveloppe ce marché. La spéculation sur les marchés monétaires a de beaux jours devant elle, dans le contexte des secousses qui s’annoncent sur ceux-ci, ne pouvant en retour que les amplifier.

On ne dira jamais assez la contribution du système financier à la bonne marche de l’économie.

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