Billet invité.
Si l’on ne craignait d’employer des images mortifères, l’expression creuser sa propre tombe serait assez appropriée pour qualifier les conséquences de la nouvelle valse-hésitation des autorités européennes. Plus les enchères montent entre elles, plus les solutions à leurs petits problèmes s’éloignent et risquent d’être onéreuses, ose-t-on pronostiquer. Les analystes financiers au fait de la chose le disent eux-mêmes : renflouer les banques coûterait moins cher que les Etats, mais c’est le chemin inverse qui a été choisi.
Lors du précédent épisode, nous avions laissé celles-ci écartelées à propos de la Grèce et de la réponse à apporter à l’impasse financière dans laquelle le pays a été plongé par son brillant plan de sauvetage. Sauf miracle – que l’on attend de pied ferme, mais le mouchoir humide – elles le sont toujours autant. Selon Die Welt, qui n’est pas spécialement un titre de la presse à sensation, l’Allemagne, le FMI et la Commission seraient prêts à une restructuration, refusée avec toujours autant de véhémence par la BCE qui mène la chasse en tête du peloton. Les démentis n’ont depuis pas cessé de pleuvoir, accréditant ce qu’ils niaient, si l’on veut en croire une expérience jamais démentie. Mais le feuilleton n’est pas terminé.
Sur ces entrefaites, de nouvelles banques ont dans un subit et incontrôlé accès de transparence rendu publique leur exposition à la dette grecque, affectant à leur tour de pouvoir supporter sa décote, certes calculée chichement, bien que pas de gaieté de coeur. Le Crédit Agricole français est du nombre, ainsi que la banque franco-belge Dexia. Cette dernière assure vaillamment pouvoir tenir le choc, même s’il devait s’étendre à la dette portugaise, précise-t-elle prévoyante ; la première garantit qu’elle était également en mesure de le faire, tout en glissant sur la situation de sa filiale grecque, Emporiki. La transparence a ses limites.
Après la BNP Paribas et la Société Générale, ce sont pratiquement toutes les places fortes bancaires françaises qui se sont déclarées prêtes à subir les affres de ce que le gouvernement français, à l’abri derrière la statue du commandeur de la BCE, cherche à tout prix à éviter. Allez comprendre ! Savent-elles qu’elles n’ont rien à craindre et qu’elles peuvent s’avancer ainsi ?
Comment en effet interpréter cette obstination, qui ne rencontre que l’incompréhension des marchés, eux-mêmes convaincus – et le faisant savoir – que passer l’éponge en partie sur l’ardoise est inévitable ?
Savoir qui possède la dette grecque pourrait-il nous éclairer ? Un pointage réalisé par le Financial Times n’y parvient pas. S’il est confirmé que près d’un tiers des 330 milliards d’euros de celle-ci est indirectement détenu ou garanti par des fonds publics (notamment par la BCE et le FMI), ce sont les banques grecques qui en détiennent environ 22%, suivies à raison de 11% par les banques des autres pays européens toutes réunies, une paille en effet. Environ 27% – ce qui représente tout de même de l’ordre de 90 milliards d’euros – restent dans la nature. Détenus par des assurances, des fonds d’investissement et de pension, ou des assurances vie.
La dette est donc disséminée. Nous rappelant que cet exercice – tout comme la promotion de l’accession à la propriété par le crédit – a aussi pour objet de mettre dans le bain le plus possible de bons citoyens, afin de les enfermer dans une logique de solidarité avec le système financier. Car une restructuration de la dette frappe les petits rentiers, comme l’inflation, c’est bien connu ! Plus significatif, la dette grecque est déjà largement sous garantie publique, nous y reviendrons.
Quant aux banques, certes elles seraient frappées, mais elles ne mourraient pas toutes ! Les plus grandes ayant eu la ressource de s’assurer sur le marché des CDS, sans que l’on connaisse les émetteurs de ces titres garantissant d’éventuels sinistres. A la faveur de quels jeux financiers ce nouvel échafaudage a-t-il été bâti ? L’impénétrable shadow banking a ses incontestables petites utilités.
Plus l’on avance, plus les questions se multiplient, les réponses ne se bousculant pas. La finance serait-elle une affaire d’initiés, pour en poser encore une autre ?
Que peuvent donc craindre avec tant d’angoisse, enfin, ceux qui ne veulent pas entendre parler de cette catastrophe que d’autres prennent à la légère ?
En premier lieu un effet domino, car comment éviter que ce qui aurait été admis pour la Grèce ne le soit pas aussi pour les autres pays de la zone des tempêtes ? L’addition finissant pas être lourde pour le système bancaire européen, la décote grecque ne valant pas solde de tout compte.
En second, que soit perturbé le processus entamé de transfert des banques aux Etats de la dette publique des pays de la zone des tempêtes, via le fonds de solidarité, la BCE et la FMI. Alors qu’il est un montage de rêve pour les protéger, obligeant par ricochet les Etats à résipiscence. Laissant par ailleurs aux banques le temps de se faire rembourser de leur dette souveraine lorsqu’elle arrive à maturité.
En dernier, que les banques rechignent déjà à gravir la pente devant laquelle Bâle III les a placées, en vue d’accroître leurs ratios de fonds propres et améliorer leur liquidité. Et que charger la barque, s’il leur fallait en plus déprécier des actifs en raison de décotes de la dette, n’aurait pas pour seule conséquence d’accroître cette pente; cela diminuerait aussi leur rentabilité, déjà mise à mal.
Mais ne faut-il pas chercher encore un autre motif d’inquiétude chez nos chefs d’Etat et de gouvernement ? Ne fuient-ils pas tout simplement la perspective de devoir assumer devant l’opinion publique un nouveau renflouement des banques ? Il leur est incontestablement plus aisé d’utiliser le prétexte d’un déficit public intenable issu de la gestion dispendieuse de l’Etat (dont il faut réduire le périmètre), ou des effets regrettables mais imparables de l’évolution de la pyramide des âges, que de se porter une fois de plus au secours des banques. En omettant de mentionner que la dette fautive, ce sont elles qui en sont à l’origine.
En attendant, la tempête ne faiblit pas et sa zone s’élargit. Quelles sont à ce propos les dernières nouvelles outre-Pyrénées ? Tout à sa quête dans l’urgence de financements privés pour ses caisses d’épargne sinistrées par le lent éclatement de la gigantesque bulle immobilière, le gouvernement espagnol envisage de parquer de plus en plus d’actifs pourris dans des bad banks placées sous l’aile protectrice de la Banque d’Espagne. Une manière de rendre les jeunes promises plus attrayantes et de différer – mais jusqu’à quand ? – leur renflouement sur fonds publics.
Les jeux d’écriture les plus arrangeants et les tours de passe passe n’ont jamais été de bonne politique. Reporter ses rendez-vous ne les empêche pas de vous attendre au tournant.
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