L’actualité de la crise : ORGANISER OU SUBIR, par François Leclerc

Billet invité

La simultanéité de la crise de la dette en Europe et aux États-Unis est spectaculaire, mais elle n’est pas étonnante. Dans les jours qui viennent, des solutions de fortune permettront-elles d’éviter que la crise financière bascule et rentre dans son second acte, le premier ayant débuté avec la dégringolade de Lehman Brothers ? Si des ouvertures sont finalement trouvées, quel répit donneront-elles ? Si ce n’est pas le cas – soit aux États-Unis, soit en Europe, pour ne pas adopter le pire scénario selon lequel les deux plongeraient ensemble – que peut-il en résulter ? Autant de questions et pas de réponses…

L’énormité de ce qui surviendrait défie toute description et conduit les esprits avisés à se rassurer en pensant que le pire n’est jamais sûr. Qu’ici et là les négociateurs parviendront au final à s’entendre, parce que tout simplement ce n’est pas pensable autrement. Ces mêmes esprits se réfugient en attendant à des niveaux d’analyse insatisfaisants, s’appuyant sur les personnalités des intervenants, ou bien les jeux politiques, ou encore les conflits d’intérêts entre pays.

Ces réalités sont pourtant subalternes, car nous sommes en train d’assister en direct à une nouvelle phase de l’implosion du système financier. Un système qui reposait sur la fabrication d’une nouvelle marchandise : la dette, celle des particuliers comme celle des entreprises et des États. Il fallait la produire, mais le constat s’impose : il n’est plus possible de l’honorer. Le gigantesque échafaudage qu’elle représente ne trouve plus son équilibre, ceux qui l’on bâti en venant à s’attaquer à son principal point d’appui. Le système mettant en cause les États, garants en dernier ressort de son bon fonctionnement, sciant la branche sur lequel il est assis.

Dans les pays émergents, où tout se fait très vite dans une société dont la base reste figée, des bulles financières, notamment immobilières, ont gonflé outre mesure en très peu de temps. L’accès des classes moyennes aux produits de la consommation de masse occidentale repose largement sur le crédit aux particuliers, qui enfle lui aussi. Tout cela a un air de déjà vu. Le système reproduit là ce qu’il ne peut plus poursuivre ailleurs. Ces bulles devront un jour ou l’autre, elles aussi, crever. Le système financier y a engagé un remake de son film qui vient pourtant de mal tourner.

La crise financière actuelle se manifeste donc par une crise de l’endettement, et dans un second temps du désendettement. Cette délicate opération rencontre d’énormes difficultés, comme on peut le constater, car il n’y a pas de marche arrière de prévue par le constructeur de ce moteur et chacun veut se défausser sur l’autre. Il n’y a à cette échelle ni tribunal de commerce, ni règlement financier, ni procédure de liquidation judiciaire.

Plus exposés sur le devant de la scène, les États n’y parviennent pas. En premier lieu parce que les gouvernements ne peuvent s’appuyer ni sur une croissance économique qui améliorerait leurs comptes, ni sur une inflation prohibée par le système, car elle ferait fondre la valeur de ses actifs. En second, car cela suppose des atteintes au financement du Welfare State, dans tous ses compartiments, dont ils craignent le retour de flamme.

La Fed fournit un magnifique exemple d’une machine qui tourne à vide. Elle a financé la dette américaine par deux programmes successifs d’achats obligataires directs, et continue de le faire suivant d’autres modalités à un niveau plus modeste, mais tout cela en pure perte du point de vue économique et de l’emploi, avec pour seul effet d’alimenter le système financier. Comme les résultats des mégabanques américaines vont le montrer, sans même pouvoir éviter une baisse du rendement de leurs activités financières sur les marchés des taux, de change et des matières premières (à l’exception de JP Morgan).

La réalité est que si les banques centrales peuvent s’accrocher vaille que vaille à leur mission de lutte contre l’inflation, les instruments dont elles disposent ne leur permettent pas de relancer la machine économique. Pouvant encore prétendre défendre les intérêts du système financier, elles ne peuvent venir au secours des États, bien qu’appartenant au même monde.

De la même manière que la distinction dette publique-dette privée est en train de perdre tout son sens, tellement les deux fonctionnent suivant le principe des vases communicants (mais dans un seul sens), celle qui prétend distinguer les États et les banques centrales des établissements privés finit par ne pas en avoir davantage. Pour paraphraser les dirigeants chinois : « un système, deux entités ».

Avançant plus masqué et se réfugiant dans son opacité, le système financier n’y parvient pas non plus, quoique bénéficiant du transfert de sa dette vers les États (notamment la dette publique retournée à ses émetteurs européens). Aux États-Unis, la Fed, Fannie Mae et Freddie Mac jouent les amortisseurs et tentent de lentement la digérer, tandis qu’en Europe, la BCE veut accentuer le mouvement en refusant de continuer à faire de même.

Les États sont censés procéder à leur désendettement avec un lance-pierre pour que les banques puissent étaler le leur dans le temps. Il est accordé aux unes ce qui est refusé aux autres. Principe dont une autre application spectaculaire a été relevée quand on compare le coût que les premiers doivent accepter pour se financer et ceux dont les secondes bénéficient via les banques centrales. Expression même du transfert privé-public qui s’opère à la faveur du douloureux désendettement en cours.

Lorsque l’on explore les arcanes de la méthodologie des stress tests européens ou de la réglementation du Comité de Bâle, ou bien encore lorsque l’on plonge dans la loi de régulation financière Dodd-Frank et ses prolongements réglementaires qui tardent à venir, bloqués par les banques, on entre dans un monde dont la complexité n’a de pair que les ouvertures qu’il laisse béantes. Le déficit public est calculé au centime près, les résultats d’un établissement financier résultent de chinoiseries sans fin.

Les Européens sont pris au piège de leur stratégie de gestion de la dette privée-publique. Ne voulant, en premier lieu, reconnaître que la première de ses composantes, puis en tentant de la circonvenir aux pays de sa zone monétaire, élégamment dénommés les PIGS (PIIGS si l’on y ajoute l’Italie), inspirés dans doute par l’idée qu’ils ne voulaient pas être les cochons de payeurs. Toutes les formules possibles et imaginables sont depuis des semaines discutées, afin de trouver le modèle miracle qui permettrait de partager le fardeau du financement de la dette grecque entre les États et les établissements financiers.

Pourquoi ces interminables palabres n’aboutissent-elles pas ? Parce qu’il ne s’agit pas de la Grèce, mais de l’Europe toute entière, et que le problème continue d’être pris par le petit bout de la lorgnette. A ce jeu, la zone euro est aujourd’hui menacée d’éclatement – à court terme – comme elle ne l’a jamais été.

Les Américains sont pris dans une autre nasse. Parvenus au bout de leur chemin, ils ne peuvent plus financer leurs splendeurs et doivent étaler leurs misères. Devant descendre du podium, ils voudraient au moins ne pas louper une marche. Tentés par la fuite en avant et la poursuite d’un rêve qui va pourtant s’arrêter, aiguillonnés par leurs vieux démons porteurs de dangereuses aventures. A ce jeu, ce n’est pas d’une marche qu’ils risquent de dégringoler, mais d’entraîner une seconde fois le système financier dans leur chute.

Les échéances sont désormais à très court terme. Le 21 juillet – dans trois jours – un sommet européen doit boucler le second plan de sauvetage de la Grèce. Le 2 août au plus tard – dans deux semaines – les Américains vont faire face à un défaut sur leur dette s’ils ne parviennent pas à un accord sur son relèvement au Congrès. Si des accommodements sont in extremis trouvés avec le ciel, on sait par avance dans les deux cas que cela sera reculer pour mieux sauter.

Éponger toute cette dette dont le remboursement se révèle impossible est la seule solution, mais il faut le mettre en musique et en assumer les conséquences. Il est clair que cela serait d’une autre portée que cette inflation dont le système ne veut pas et dans laquelle il sera peut-être de toute façon entraîné. S’engager dans cette réduction ordonnée, c’est réduire la taille d’un monde financier hypertrophié, dont le poids même le fait tomber. Un bon début pour la remise à plat que cela induira.

Somme toute, il y a le choix entre deux solutions : tailler dans la finance ou laisser l’inflation y procéder dans le plus grand désordre. Organiser ou subir.

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