L’actualité de la crise : QUI A FAIT LE COUP ? par François Leclerc

Billet invité.

A peine reprise, la respiration était en ce début de week-end suspendue à deux échéances : comme à l’habitude l’ouverture dans la nuit de dimanche à lundi des marchés asiatiques, puis européens et nord-américains lundi, et ensuite la rencontre de mardi entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy.

Mais il a fallu que de Sydney, en Australie, Robert Zoellick – le président de la Banque Mondiale – lance un pavé dans la mare en estimant publiquement que l’économie mondiale était entrée dans « une phase nouvelle et plus dangereuse », faisant référence en particulier à la zone euro, qui pourrait être « le défi le plus important ». Encore un week-end de foutu  !

On sent donc comme une atmosphère de fin de règne, au terme de cette semaine qui a fait des bourses le baromètre affolé d’une dépression annonçant la tempête. Qui va cette fois-ci faire le coup et menacer le système financier ? Nul ne le sait, et c’est bien là le problème. L’ennemi n’est pas identifié, il n’y a rien de plus angoissant, les financiers sont pris à leur propre piège, victimes de l’opacité du système qu’ils ont construit.

L’aversion au risque, comme disent les spécialistes qui ne veulent pas parler de danger, la recherche d’un refuge pour y trouver protection, ont donné lieu à des transferts financiers impressionnants. Une fuite effrénée des marchés boursiers en direction des fonds monétaires, et accessoirement du marché obligataire. Les taux des dettes encore considérées comme les plus sûres – car tout est relatif, surtout s’agissant de la dette américaine – baissent en conséquence. Signe également d’un avis de tempête.

Vecteurs identifiés de la propagation systémique de la crise, points faibles du système en raison de leur exposition à une dette souveraine très malmenée, les mégabanques sont au centre de l’attention et voient leur valeur en bourse chuter brutalement, les déséquilibrant. Si le cas de la Société Générale est en pointe, ce n’est pas sans raison, car la banque est connue pour être très active sur le marchés des dérivés (renflouée à ce titre par la Fed, lorsque AIG s’écroulait) ; elle risquerait d’entraîner d’autres mégabanques outre-Atlantique si elle venait à s’écrouler.

Afin de stabiliser la situation, les banques centrales sont montées comme d’habitude au créneau. La Fed en s’engageant à maintenir pendant deux ans son taux à zéro ou presque, et la BCE en achetant des obligations espagnoles et italiennes. Exprimant chacune à sa manière une détermination un peu forcée, pour ne pas dire un engagement limité. Avec le danger de ne rien contenir à l’arrivée.

La Fed devrait en effet se faire violence, dans le contexte politique actuel, pour entamer un nouveau round d’achat de la dette américaine (le précédent n’ayant par ailleurs pas été spécialement couronné de succès), et la BCE n’attend que de passer au plus vite le bâton témoin au Fonds de stabilité financière (FESF). Les limites de leur intervention sont ainsi tracées par elles-mêmes.

Dans le cas de la BCE, le passage de relais au FESF s’apparente à une course d’obstacle, dont le plus important de loin est à Berlin. Un deal serait toujours possible sur le papier, sur le mode de celui qui avait présidé à la création de l’euro en échange de garanties de discipline budgétaire données à l’Allemagne, ainsi que d’indépendance de la BCE. Aujourd’hui, il s’agirait d’échanger un degré de plus de mutualisation de la dette publique européenne contre encore plus de rigueur fiscale, mais assortie de contraintes très renforcées. A ce prix seul, l’Allemagne pourrait évoluer.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Encore plus lorsque certains se prennent à rêver en suggérant que la BCE garantisse la dette publique, solution radicalement opposée à ce qu’elle entend obtenir. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir du totalement se déjuger en achetant la dette italienne et espagnole, n’ayant pas le choix. Dans l’immédiat, elle est inconfortablement assise entre deux chaises.

Elargir le propos hors de ces contingences immédiates semble nécessaire pour saisir la nature du rebondissement de la crise que nous connaissons. Tout se passe comme si le jeu de toujours qui consiste à rouler la dette à court terme pour financer des engagements à long terme devient très hasardeux lorsque les sous-jacents ou contreparties apportés n’offrent plus les mêmes garanties. Lorsque la dette souveraine n’est plus un incontestable point d’appui. Et que la baisse de sa valeur sur le second marché a des effets dévastateurs sur le banking book des banques, sans attendre même qu’un ou plusieurs Etats fassent défaut. Ceci au moment où les mêmes banques européennes doivent se refinancer à très grande échelle dans les deux ans à venir.

Ce sont les soubassements même du système financier qui donnent de dangereux signes de faiblesse. Voilà d’où vient cette fois-ci le coup.

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