Billet invité
Obnubilés par la sanction des marchés financiers, les taux obligataires et autres spreads, les dirigeants occidentaux ont désormais les yeux également rivés sur un autre indicateur. Celui qui mesure la croissance, terme auquel ils se cramponnent pour éviter d’employer celui de récession, s’autorisant croissance négative en dernière extrémité.
La plus mauvaise nouvelle est venue hier de Bruxelles, avec la publication des prévisions économique de la Commission. « La croissance s’est arrêtée en Europe et nous pourrions connaître une nouvelle phase de récession », a prévenu Olli Rehn, commissaire aux affaires économiques et monétaires, voulant dire ainsi que nous y entrons. Il y a moins de deux mois, il écartait ce risque d’un revers de main.
Un seul commentaire s’est imposé dans sa bouche : le redressement de l’économie passera par « le retour de la confiance dans la viabilité budgétaire et dans le système financier, par l’accélération des réformes destinées à renforcer le potentiel de croissance de l’Europe ». Une pétition de principe belle comme un camion !
En attendant, les recettes budgétaires fiscales vont baisser en raison de la récession, ainsi que les cotisations aux organismes sociaux et aux fonds de retraite, accentuant l’effort de rigueur destiné à réduire le déficit public, à la faveur de plans qui s’enchaînent sans discontinuité dans tous les pays.
Depuis Honolulu et la tribune du Forum économique Asie-Pacifique, Tim Geithner, secrétaire d’Etat au Trésor américain, a reconnu que « la crise en Europe reste le défi central qui menace la croissance mondiale », en concluant qu’il est « crucial que l’Europe mette rapidement en place un plan solide pour rétablir sa stabilité financière ». Insistant sur la nécessité pour les économies asiatiques de « devoir faire davantage pour stimuler la croissance de leur demande intérieure ».
Ne pouvant venir d’Europe ni des Etats-Unis, la croissance ne peut donc provenir que d’Asie afin de sauver le monde. Du sauvetage de l’Europe, on est donc passé à l’étape supérieure : le sauvetage du monde. Faute de pouvoir s’appuyer en Europe et aux Etats-Unis sur des marchés d’exportation en bonne santé, les deux principales puissances exportatrices asiatiques, Chine et Japon, ne vont pouvoir compter sur leur marché intérieur.
Mais l’on constate que la détérioration de la situation économique mondiale est plus rapide que la reconversion de l’activité économique des pays asiatiques, dont les structures de production sont handicapées par de très fortes inerties. Les rythmes de l’un et de l’autre ne s’accordent pas, et c’est là tout le problème.
Ce qui nous ramène à une Europe entrant en récession alors que la crise de la dette bat son plein. Attendue comme si elle allait tout régler, mais n’aboutissant qu’à une courte rémission sur le marché obligataire, une clarification politique est en passe d’intervenir en Italie et en Grèce, sanctionnée par l’arrivée de deux eurocrates à la tête de gouvernements baptisés d’unité nationale dans les deux pays.
Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, s’en inspire comme modèle pour réclamer un « consensus politique général » sur la ligne stratégique du retour à l’équilibre d’ici 2016. Pas une tête ne doit en effet dépasser dans l’Europe toute entière, comme l’a fait savoir David Cameron, pour qui « ce qui se passe en Italie constitue un avertissement pour chaque pays et chaque gouvernement sans plan crédible pour réduire sa dette ».
Une normalisation d’un genre nouveau est partout en marche, qui a pour but d’assurer vaille que vaille ce remboursement en taillant dans les budgets publics. Tout en créant les bases d’un hypothétique redémarrage économique grâce à des réformes structurelles destinées à notamment diminuer le coût du travail.
Avec la mise en place de gouvernements d’unité nationale, un second volet de l’action politique est en préparation. Mais les projets de reconfiguration de l’Union européenne qui ont fuité avant-hier ont donné lieu à des démentis catégoriques, qui n’ont bien tendu convaincu personne. La perspective d’une Europe à deux vitesses ne réjouit pas ceux qui seraient relégués au rang de membres de seconde zone et il est exclu de reconnaître ne serait-ce que l’existence de plans de restructuration de la zone euro dans le contexte actuel, ce qui condamnerait définitivement sur les marchés les pays qui pourraient avoir vocation à ne pas en faire partie.
Sans attendre que ce processus soit clarifié, la Belgique vient de faire les frais des nouvelles dispositions du Pacte de stabilité renforcé. Des sanctions financières sont évoquées à son encontre, au cas où le pays ne rectifierait pas sa trajectoire afin de réduire comme demandé son déficit.
Si la gestion politique de la crise suit cahin-caha son chemin, sa gestion financière tourne en eau de boudin. La conjoncture aidant, il n’a pas fallu longtemps pour que le directeur général du FESF, Klaus Regling, reconnaisse que l’effet multiplicateur de ses ressources pourrait être inférieur à ce qui était escompté. Les investisseurs risquent de réclamer une couverture de leurs pertes potentielles bien supérieure à celle de 20% qui était prévue, réduisant l’effet de levier envisagé et ne permettant plus de disposer d’une force de frappe d’un millier de milliards d’euros.
D’ici à ce que ce montage soit néanmoins prêt et que le FESF soit opérationnel vers la fin décembre est-il annoncé, celui-ci ne sera par ailleurs pas en mesure d’aider l’Italie, ni quiconque d’autre d’ailleurs, car cela amoindrirait la réserve financière de 250 milliards d’euros dont dispose encore le FESF, agissant à la manière d’un rehausseur de crédit et diminuant encore l’effet levier de son montage assurantiel.
Afin de gérer cette attente, il n’a été trouvé comme seule solution que d’aller emprunter à court terme des fonds sur le marché obligataire, faisant du FESF une banque sans l’être, qui n’aura pas le bénéfice de se présenter aux guichets de la BCE comme ses consœurs.
Pour le reste des financements attendus et indispensables, on en est réduit aux conjectures, tandis que Christine Lagarde poursuit sa tournée de représentante de commerce, arrivant au Japon après avoir frappé à la porte de la Russie et de la Chine sans résultats apparents.
Le décor planté, il n’y a plus d’autre solution que de « remettre la Grèce sur ses rails », comme vient de le déclarer Nicolas Sarkozy, en espérant que le feu s’éteindra ainsi tout seul. Le drame, croit-il, lui convient bien et il est servi.
Il aurait du ajouter à sa liste l’Espagne, car la croissance a été nulle au troisième trimestre selon des chiffres provisoires de l’Institut national de la statistique espagnol, destinés à empirer en devenant définitifs. Ayant évité d’employer le terme de stagnation, pourra-t-il faire de même avec celui de récession ?
L’économie espagnole s’appuie largement sur son marché intérieur, qui est sinistré, la récession mondiale qui s’annonce va lui donner le coup de grâce. La réduction programmée du déficit public va s’en ressentir fortement, risquant de susciter des tensions encore accrues sur le marché obligataire…
Ne reculant devant aucune innovation, la Commission vient de lancer un nouveau concept, celui de « récession douce », par opposition à « récession dure ». L’Allemagne et la France pourraient connaître la première, tandis que l’Italie et l’Espagne subiraient la seconde. Comment, dans ces conditions, ces deux pays pourraient-ils éviter de tomber résolument dans le trou ?
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