Billet invité.
Les débats en cours peuvent se résumer à la même sempiternelle interrogation : qui va bien pouvoir rembourser la dette, comment et quand ? De nombreuses manières de l’aborder tournent autour du pot. Certaines sont récusées, d’autres ne fonctionnent pas.
Les discussions se sont déportées sur les euro-obligations et la mutualisation de la dette par les États. Une manière de la rendre supportable afin d’en étaler le remboursement en la faisant rouler, car l’austérité budgétaire telle qu’elle est pratiquée renvoie à la récession et ne permet pas de le faire.
Sous cette forme, les Allemands se refusent catégoriquement à toute mutualisation, après l’avoir acceptée – et contenue autant que possible – quand il a fallu construire des pare-feu : Fonds de stabilité financière, ou prochainement Mécanisme européen de stabilité. A contrario, effrayés de l’accumulation des créances européennes au bilan de la Bundesbank, ils ont au moins obtenu de la BCE un régime dérogatoire au fonctionnement de l’Eurosystème pour les banques centrales nationales (BCN), au premier rang desquelles figure la leur. En matière de collatéral, chacun devient maître chez soi. Le fonctionnement de la monnaie unique a donc déjà subi un sérieux et discret accroc à cette occasion.
Chassez la mutualisation, elle revient au galop ! En émergeant sous encore une autre forme, soutenue par la BCE et l’Institute of International Finance qui préconisent la mise sur pied d’urgence d’un fonds européen de garantie des dépôts, afin d’éviter des retraits massifs qui déborderaient des pays en crise aigüe. On verra le sort qui lui sera réservé.
Mais si d’autres partages font également débat, celui du risque souverain a été pratiquement réglé, sauf dans le cas de l’Espagne et l’Italie dont les banques ont acheté la dette publique émise par leur Etat afin de tenter de stopper la descente dans l’abime de leur pays. La BCE et les BCN ont récupéré ces actifs devenus à risque à la faveur des injections de liquidités, les banques s’en délestant en les mettant en pension (ce qui fait désormais de l’Eurosystème leur propriétaire).
A noter qu’en cas de pépin et de dépréciation, l’Eurosystème n’aura que deux issues : se tourner vers les Etats actionnaires pour se recapitaliser ou éponger les dettes en fabriquant du papier. Ne pouvant plus se protéger, comme cela a été le cas lors de la restructuration de la dette grecque, car il est devenu le principal détenteur de la dette souveraine porteuse de risque… Mais ces deux solutions seraient d’identiques horreurs pour le gouvernement allemand…
La question se corse lorsqu’il est question de soutenir financièrement les banques directement sur fonds publics, comme envisagé en Espagne (ce qui ouvrirait la voie à l’Irlande et au Portugal, qui n’attendent que cela). Refusée quand il s’agit pour de la dette publique d’en généraliser l’emploi, la mutualisation ne le serait pas pour la dette privée…
Dans tous les domaines, une mutualisation s’impose pour gagner du temps. Faute de celle-ci, la crise européenne de la dette ne peut que s’amplifier.
Une autre option est en cours d’examen pour amortir la dette, qui pour une fois ne reposerait pas sur son transfert du privé au public. En mettant au point un mécanisme permettant un sauvetage des banques et ne reposant pas sur les finances publiques, vu leur état et les problèmes politiques que cela poserait. La Commission et son commissaire Michel Barnier peinent actuellement à la tâche et tentent d’avancer sur ce dossier, encouragés par la BCE après avoir plongé dans un marais plein de crocodiles. Mais ils se heurtent en plus à une grosse difficulté.
En effet, une fois admis que les actionnaires seront en première ligne pour, si nécessaire, éponger les pertes d’une banque, impliquer aussi ses créanciers dans l’opération ne sera pas superflu, en raison du volume des engagements des banques et de leur faible niveau de capitalisation. Mais mettre ces créanciers à contribution pose toutefois un gros problème, car ce sont eux-mêmes souvent des banques ! Au lieu de les préserver de la contagion créée par la chute de la banque, on aboutirait finalement à les contaminer par un autre biais… Au mieux, on déplacerait les pertes, par exemple vers les assureurs dans le cas de l’Espagne, déjà vulnérables en raison de leur détention de la dette souveraine. Tout le monde se tient par la barbichette !
Afin de contourner cet écueil, les experts s’interrogent sur le seuil de déclenchement d’une telle procédure de sauvetage, qui devrait intervenir le plus tôt possible, afin que le trou financier soit le moins profond possible et la peine la plus légère. Ce qui élargirait le nombre d’établissements bancaires en bénéficiant et augmenterait en conséquence la peine pour leurs créanciers…
Que faire, alors si les États ne peuvent pas continuer à prendre en charge le fardeau et si le système financier présente un tel degré de fragilité qu’il ne le peut pas non plus ? Il ne reste plus alors logiquement qu’une solution : ne pas rembourser la dette et restructurer non plus celle-ci mais le système financier une fois pour toutes. CQFD.
L’autre versant du plan A’ qui peine à se concrétiser n’est pas plus glorieux. La machine à fabriquer de la dette est cassée et rechercher une hypothétique croissance en optimisant le coût du travail est une impasse. Non seulement parce que cette compétition au moins-disant avec les pays émergents – puis avec ceux qui derrière attendent leur heure – est sans espoir, mais parce que cela induira, faute de crédit, une baisse de la consommation et révélera une crise de surproduction auparavant masquée par celui-ci. Lancer un programme de grands travaux et d’investissements structurels ne produira que des effets à long terme, si c’est le cas. Car l’exemple du Japon, qui a expérimenté cette solution, a montré qu’elle n’en était pas une.
De fil en aiguille, ce sont la nature même de la croissance et un autre partage, celui de la richesse, qui apparaissent comme les clés de la situation. Deux profondes reconsidérations dérangeantes, décidément.
Dans l’immédiat, Charles Dallara, directeur général de l’Institute of International Finance, fait campagne contre la sortie de la Grèce et propose de lui accorder 10 milliards d’euros en supplément. Faute de quoi la BCE deviendrait selon lui « insolvable », le montant de ses pertes devenant le double de ses fonds propres. Stuart Gulliver, le patron de la mégabanque HSBC, espère que va être prise la décision de mettre sur pied « une forme de TARP européen », du nom du programme américain de renflouement des banques. Lucas Papadémos, l’ex-premier ministre grec annonce que, faute de liquidités, la Grèce ne pourra pas tenir au-delà du 20 juin si les versements des prêts accordés sont interrompus.
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