DÉMONSTRATIONS PAR L’ABSURDE DE L’ÉLECTRONUCLÉAIRE, par François Leclerc

Billet invité.

Trois arguments de base fondent habituellement la critique de l’électronucléaire. Le premier est que les conséquences potentielles d’une catastrophe sont telles qu’il ne faut tout simplement pas prendre le risque qu’elles surviennent, le « risque nul » n’existant pas. Le second que le coût du mégawatheure (MWh) de l’électronucléaire croît au fur et à mesure des générations successives de réacteurs, de celui du démantèlement des centrales et du stockage de ses déchets, qui ne sont pas établis. Le dernier, moins rencontré, est que cette industrie est l’archétype d’un monde oligopolistique opaque et incontrôlé, à cheval sur le pouvoir politique, industriel et financier.

Fukushima vient de monter que la sécurité était toujours prise en défaut là où on ne l’attendait pas, comme c’est le cas pour le déclenchement des crises financières, les deux mondes étant fortement apparentés à de nombreux égards. Il est beaucoup trop tôt pour mesurer toutes les conséquences radiologiques, sanitaires et environnementales de la catastrophe, mais il est déjà certain que son coût financier, pris en charge par l’État après la nationalisation de Tepco, l’opérateur, va être considérable.

Les réacteurs General Electric de la centrale sont d’un modèle ancien, plaident les partisans de l’électronucléaire, en oubliant de mentionner que par dizaines des réacteurs du même type sont encore en exploitation, notamment aux États-Unis. Mais le coût du fleuron technologique de dernier cri que représente l’EPR en construction à Flamanville (France) crève les plafonds et induit un coût du MWh qui est estimé à plus du double de ce qu’il était escompté en 2005 (plus de 100 euros au lieu de 46). Si la sécurité est à ce prix – les premiers enseignements tirés de Fukushima ont déjà imposé d’apporter des modifications à l’EPR, en dépit de sa modernité – elle devient inabordable car elle impose une très importante hausse du prix de l’énergie aux entreprises comme aux particuliers. L’avantage comparatif du coût de l’électronucléaire par rapport à celui des énergies nouvelles disparait ou est très fortement réduit.

Enfin, la société nucléaire est faite de tromperies, de dissimulations et de connivences entre des acteurs qui y trouvent leur avantage. L’exploration de ce que les Japonais dénomment « le village nucléaire » dévoile la corruption qui sévit dans les milieux scientifiques et les médias, parmi les élus, ainsi que l’investissement des organismes régulateurs. Il faut la force du rejet enregistré dans l’opinion publique japonaise pour s’y opposer et imposer, à deux exceptions près, le maintien de l’arrêt du parc des centrales et susciter un programme de sortie de l’électronucléaire dont la réalisation est menacée.

La dernière ligne de défense de ses défenseurs est connue : elle contribuerait par son développement à la baisse de la production du CO2 et à la lutte contre le réchauffement de l’atmosphère. Mais est-ce vraiment le meilleur moyen d’y parvenir, si c’est au prix des dangers et des conséquences précédemment évoquées ? En n’oubliant pas non plus comment la tentative de diminuer l’émission industrielle de CO2 en créant un marché du carbone s’est soldée en Europe par un retentissant échec que la Commission ne parvient pas à surmonter.

L’industrie électronucléaire symbolise la pire des dérives ; par ses caractéristiques, elle représente à de nombreux égards le modèle précurseur d’un projet plus global de société. Elle offre la vision d’une activité s’octroyant un environnement oligarchique garantissant sa pérennité, comme l’industrie pharmaceutique y est également parvenue.

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FUKUSHIMA, LA FATALITÉ NUCLÉAIRE vient de paraître aux éditions « Osez la République sociale ! » [148 pages – 11 euros.] Vente en ligne ici

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