« ILS ONT CARICATURÉ NOS DISCOURS RADICAUX », par Pierre-Yves Dambrine

Billet invité, en réponse au billet d’Un Belge

Pour une fois je ne suis pas tout à fait d’accord avec Un Belge. De même pour ce qui concerne le fait que « chacun vaquait tranquillement à ses occupations » pour Paul Jorion, parce que l’on pense qu’il y a toujours quelqu’un quelque part pour résoudre le problème, il y a sans doute encore une autre explication possible. J’inverserais les termes de la proposition d’Un Belge. Je pense que beaucoup de choses nous touchent et que nous ne nous sentons pas (assez) concernés précisément à cause de cette complexité du monde et du sentiment d’impuissance et de honte qu’elle provoque. L’expérience quotidienne de la misère dans toute sa nudité est insupportable. Il faut des circonstances particulières pour que la révolte, l’indignation trouve un canal ad hoc pour se faire entendre et le cas échéant susciter une action. Il a fallu par exemple la présence de cette chômeuse face à Jean-François Copé dans une émission de télévision pour que la précarité prenne un visage et puisse exprimer sa colère, trouve un écho dans la société. En ce qui concerne le lointain, il en va de même : il faut que le rayon médiatique qui balaie 24 heures sur 24 la planète passe à l’endroit où il se produit quelque chose de grave ou ses zones d’ombre au bon moment, sinon il faudra repasser…

Nous sommes touchés mais cela n’embraye pas sur une réflexion suffisamment aboutie pour engendrer l’action. Il y a comme un chaînon manquant entre émotion et raison qui bloque l’agir.

Écoutez un peu le groupe IAM et son titre très fort, « La fin de leur monde », il me semble très emblématique de la sensibilité de notre époque. C’est un sentiment de révolte qui manifeste de façon évidente la phllia. La philia, cette disposition humaine à la solidarité sans laquelle il ne peut y avoir de civilisation digne de ce nom.

Les dimensions politique, religieuse, économique, médiatique, écologique, sociale, sont clairement identifiées. Et tout cela fait « leur monde », qui est en réalité aussi le nôtre, celui que nous subissons. Seulement ces différents aspects entretiennent encore des relations très confuses dans la représentation du monde chez la plupart de nos contemporains. À l’exception notable de ceux qui grandissent dans les ghettos de nos banlieues, et font du rap, qui vivent ou ont vécu à l’échelle locale une pression redoublée qui exacerbe leur sensibilité à l’égard des inégalités et des discriminations qui sont le lot de presque toutes les sociétés aujourd’hui à la surface du globe. Ce n’est pas un hasard si le rap est aujourd’hui un des révélateurs les plus puissants de l’état de notre société. Et d’autres encore, appartenant à des catégories sociales les plus diverses, pour d’autres raisons qui tiennent à leurs parcours de vie spécifiques, qui souvent les ont mis en porte-à-faux à différents endroits de l’organisation sociale.

Une des paroles, mais il y a beaucoup de pépites dans ce texte de rap, dit : « Ils ont caricaturé nos discours radicaux ».

Résumons : il existe un certain nombre de nos contemporains pleinement conscients de la dimension globale des maux de l’humanité et qui déjà agissent. Écrire ici ou dans les autres blogs, dans les journaux en ligne, est déjà un premier pas dans l’action ; gardons à l’esprit que relativement peu de personnes (rapporté à l’ensemble de la population) ont ce réflexe d’exprimer des points de vue construits sur l’Internet. Et puis il y a toute la multitude qui ressent des choses plus ou moins confusément, mais demeure léthargique pour la raison que je donnais plus haut, mais qui néanmoins se tient à l’écoute du monde et de ceux qui disent des choses éclairantes.

L’Internet abolit la distance entre le proche et le lointain. Cela accroît notre sentiment d’impuissance car bien qu’en communication avec le lointain, nous ne pouvons rien faire d’immédiat qui puisse remédier aux situations. Mais aussi, pour peu que soit fortement atténué le grand matraquage, pilonnage de nos pauvres corps transis par le système médiatique, à la faveur de quelque évènement révélateur conjugué au retournement de certains opérateurs médiatiques, la caricature de « nos discours radicaux » pourrait toucher à sa fin, se cristallisant alors une nouvelle représentation du monde à une échelle tout à fait inédite. Il y a peut-être des signes avant-coureurs encourageants, comme le fait que le combat et les révélations d’un homme au départ isolé comme Snowden aient pu trouver un écho favorable dans la plupart des médias. Bref, pour ce qui nous occupe ici, il se pourrait que les propositions défendues sur le blog et initiées par Paul Jorion se retrouvent soudainement faire les unes des journaux.

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