RÉPONSE À LA RÉPONSE (L’interprétation tendancieuse d’un écheveau difficilement démêlable, par Bertrand Rouziès-Léonardi), par Cédric Mas

Billet invité.

Ton analyse, Bertrand, ne me convient pas, même après ton éclairante réponse pour deux raisons :

1) L’écotaxe contestée aujourd’hui n’a rien d’écologique et ne correspond pas au principe pollueur/payeur puisque c’est le consommateur final (ou le producteur trop faible pour résister aux pressions de la distribution) qui paie.

Le pauvre que tu cites va la payer cette taxe, pas le transporteur ni les plus gros pollueurs (l’exemple des containers ou des transports aériens est éloquents de ce double discours : écotaxe pour les routes départementales et nouvel aéroport à Nantes).

Il nous appartient de dépasser les habillages marketing donnés par le pouvoir pour faire passer en force les projets les plus délirants, alors qu’il y a tant de réformes indispensables qui sont enterrées. Or le détail de la mesure montre qu’il n’en est rien : elle n’a d’écologique que le nom, « lavant à côté de la tache » et laissant les pollueurs sans surcoût, et les bonnes volontés sans solutions alternatives. Je t’invite à jeter un oeil sur les sites officiels, c’est rapide.

Une illustration avec ces deux questions (dont les réponses sont aporétiques) :

à quoi sert cette écotaxe ?

« L’écotaxe vise à instaurer un cercle vertueux : dans une logique écologique, c’est un signal prix pour inciter à modifier les comportements en faveur de modes de transport plus durables ; elle permet aussi de faire payer l’usage des routes par l’utilisateur réel, tout en dégageant des recettes pour financer les infrastructures de transport, notamment le rail et le transport fluvial (…). »

qui va la payer ?

« L’écotaxe est payée par les transporteurs routiers, mais sera répercutée sur les chargeurs, c’est-à-dire ceux qui commandent la prestation de transports. En effet, les transporteurs routiers pourront augmenter leurs prix de transport, de façon à ce que l’écotaxe pèse sur les clients. C’est ce mécanisme de majoration forfaitaire du prix de la prestation de transport qui a été présenté en février 2013 au Parlement. Il a été adopté définitivement le 24 avril 2013 (…). »

C’est donc un signal prix pour amener les routiers (seuls pollueurs visés) à modifier leurs comportements en choisissant d’autres modes de transport qui seront financés grâce à son produit (ce qui est déjà un gag quand on connaît les délais de réalisations d’infrastructures lourdes). Mais ce signal prix étant répercuté sur les chargeurs qui eux-même l’intégreront dans leurs prix d’achat ou de vente, il n’aura que peu d’effet vertueux, effet vertueux encore réduit par les nombreuses exemptions et abattements, et le fait que les autoroutes à péage ne sont pas concernées (en pratique les transporteurs vont donc reporter leurs trajets sur les autoroutes à péages, pour le plus grand bonheur des exploitants privés, et le plus grand malheur de tous ceux qui n’ont pas la « chance » de payer pour rouler).

2) Le mouvement qui agit contre l’écotaxe est si large qu’il ne peut selon moi être amalgamé artificiellement avec d’autres mouvements corporatistes (pigeons, plumés, tondus, clubs de foot etc…).

Il est évident qu’il faut fustiger la « révolte fiscale » montée par la droite pour se racheter une virginité (bien aidée par le désastre socialiste). Mais ce que je me suis humblement permis de signaler c’est que les « bonnets rouges » sont loin d’être l’exemple ou le symbole le plus pertinent pour cela.

En conclusion, ton billet condamne un mouvement (en le comparant défavorablement à d’autres) sans se poser la question de sa légitimité, au prétexte que certains cherchent à lui plaquer un discours réducteur (pour info le MEDEF était d’accord avec l’écotaxe dès lors qu’il y avait l’abattement breton de 50 %), et cela renforce, sans que tu le veuilles j’en suis sûr, la récupération que les ultra-libéraux veulent en faire.

Être contre un nouvel impôt inique (même repeint en vert) dans le contexte de la France hollandiste de 2013 n’est pas nécessairement être contre l’impôt citoyen, fondement du pacte républicain. Il serait vraiment dommage que l’on ne garde de cet épisode que ce que veulent y voir les libertariens.

Que serait devenu le mouvement de 1789 contre le nouvel impôt royal demandé aux Etats généraux si on n’y avait vu qu’un rejet de bourgeois nantis de toute participation financière à la collectivité ?

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