MISE EN APPLICATION DU PRINCIPE DE LA « LETTRE VOLÉE », par Jacques Seignan

Billet invité

Edgar A. Poe a décrit ce principe dans sa géniale nouvelle « la lettre volée » : pour dissimuler une lettre de la plus haute importance, elle est tout simplement mise en évidence sur un porte-cartes (…) suspendu par un ruban bleu crasseux à un petit bouton de cuivre au-dessus du manteau de la cheminée. Une méthode si subtile ! Bien meilleure méthode que celle des dictatures du passé qui voulaient cacher et opacifier. On se souvient des Kremlinologues réduits à observer le rang des membres du Politburo sur le Mausolée de Lénine. La mise en évidence permet de dire que tout est publié, transparent et sans secret, tout en tenant les gens en complète sidération. Rien n’est caché !

Le flot médiatique est une façon d’utiliser ce principe à très grande échelle. Non seulement une information chasse l’autre mais la quantité des nouvelles devient telle que, sans analyses et hiérarchisation (merci à quelques blogs), on n’y voit que du feu. On peut aussi penser au pickpocket dont tout le talent est de furtivement détourner l’attention de celui dont il va voler le portefeuille. Aujourd’hui, on parle de la retraite du futur ancien patron de PSA. Il y renonce devant un certain énervement public. Elle avait été votée en assemblée des actionnaires en 2010. On pourrait même un peu ironiquement prendre sa défense car son salaire annuel n’est pas un des plus élevés du CAC 40… Il aurait le droit d’être amer car le génialissime ex-patron de Dexia n’a renoncé, lui, qu’à la moitié de sa retraite chapeau. Ces salaires stratosphériques : des chiffres qui sortent du chapeau et qui sont tout aussi vite oubliés ?

Dans son livre sur « la semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial » (Points) –  récit extrêmement flippant ! – Hugues Le Bret rappelle que D. Bouton, PDG de la société Générale lors de cet ‘incident’, gagnait « en salaire fixe 85 SMIC, (…) En variable le double, (…) stocks options : 2750 années de salaire d’un Français moyen ou 5312 vies entières d’un ouvrier chinois ou malgache ». Comme dit la pub : « parce que je le vaux bien » et en effet il fut efficace durant cette semaine. Mieux vaut tard que jamais… Mais qui s’en souvient de cette affaire ?

Les exemples de cette manière d’étouffer les informations sont si nombreux… Un parmi d’autres : le logiciel Louvois pour la paye des militaires français n’a jamais marché. Trop complexe, il est finalement irréparable et donc abandonné aujourd’hui. Qui s’en préoccupait à part les 65.000 militaires et leurs familles qui subissaient des soldes amputées ? Nos brillants informaticiens et technocrates seraient-ils systématiquement paumés par des monstres de complexité ? Les réalités de l’exploitation du gaz de schiste ? On les montre à la télé et puis on oublie. Ne parlons pas de l’incident de Fukushima ! On enlève les barres de combustible de la piscine 4 en espérant que le Dieu des typhons japonais sera gentil.

Ce système qui est en train de faillir dans tous les domaines ne se donne pas la peine de censurer : inutile et archaïque, il suffit de noyer les citoyens en leur montrant tout, en détail, et ne jamais leur donner le temps de penser. Sidération.

« J’y pense et puis j’oublie » disait la chanson…

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