Merci à Germain Le Cabellec pour cette masterisation du flux vidéo « live » de la Gaîté Lyrique.
Remarque technique : à 16min 45sec, une saute technique s’est produite sur le flux vidéo de la Gaîté Lyrique, indépendante de leur volonté (cf. la transcription ci-après pour le contenu « non diffusé »).
Transcription de l’intervention de Paul Jorion, « Procureur défendant les générations futures »
[« Greed is Good ».] Ces propos de Michael Douglas dans « Wall Street », c’est un montage ; c’est un montage de propos qui ont véritablement été tenus. Ils ont été tenus par Carl Icahn, ils ont été tenus par Milton Friedman, ils ont été tenus par Ivan Boesky*. Ils ont simplement été mis ensemble par la personne qui a rédigé le scénario de ce film.
Générations futures. Ah, quelle belle utopie.
– SAUTE TECHNIQUE DU FLUX VIDEO. Au cours de cette saute technique, Paul Jorion pose en fin d’introduction la grave question suivante : « La vraie question qu’on devrait se poser, c’est plutôt de savoir s’il y aura vraiment des générations futures. » –
On a l’habitude de dire le capital-qui-grossit-de-lui-même, Marx disait « C’est faux ; c’est une impression ; ce n’est pas comme cela… » Le capitalisme, lui, croit que c’est quelque chose qui grossit de lui-même. Il ne voit pas les gens qui travaillent en coulisse pour que de l’argent soit produit à partir de la richesse qui a été produite.
Mais le capital, c’est surtout quelque chose qui manque. Et parce qu’il manque, et qu’il faut le demander, il faut le rémunérer et quand on le rémunère il faut créer une richesse supplémentaire, une nouvelle richesse, pour payer celui qui aura subit cet énorme dommage de devoir prêter de l’argent qu’il avait déjà en trop. Pour produire ces intérêts il faut les trouver quelque part — les intérêts ne sont pas déjà dans le système. Il faut produire cette richesse supplémentaire. Mais alors qu’est-ce que nous faisons ? Eh bien, nous faisons des trous pour chercher les choses qui nous intéressent, et nous construisons des grandes… des grands tas de débris, de rejets, qui sont là, à côté, et nous cherchons, nous prenons les ressources qui nous sont nécessaires : c’est du pétrole, ce sont des terres rares, ce sont des métaux précieux. Et il y en a en quantité limitée. Alors le capitalisme a vécu sur ce pillage.
Il faut le dire, le capitalisme vivait pas mal jusqu’au milieu du XIXème siècle et il a voulu quelque chose en plus. Il a voulu « quelque chose en plus » : la spéculation. C’est à dire pouvoir organiser des paris entre tous ces gens qui sont là, dont l’un va perdre et l’autre va gagner et celui qui perd se tourne vers le contribuable et il lui dit « Ah, j’ai perdu de l’argent, c’est vraiment très très triste. Est-ce que vous pouvez faire quelque chose ? Si vous ne faites rien, je ferme l’usine et un certain nombre d’emplois bien entendu. Je suis « systémique », c’est à dire que si ça s’écroule, bah tout vient avec et vos pauvres emplois aussi et puis… on vous demandera de payer de toute manière !»
Vous savez que en 2009, quand vous et moi avons sauvé ce système parce qu’il était devenu très très abimé – c’était devenu « corium » comme on dit… vous savez, Fukushima, du corium… C’est à dire une masse informe.
Nous avions avancé l’argent mais nous avions donné de l’argent aux banques en particulier pour « se sauver », pas pour « nous sauver tous » et vous savez… les banques savaient tout de suite ce qu’il fallait faire avec cet argent là : on a augmenté les bonus, on a augmenté les salaires, on a utilisé une partie de l’argent pour faire de la propagande contre les contribuables qui avaient prêté de l’argent. «Si en plus, ils ont le culot de se plaindre…»
Nous détruisons la planète. Le capitalisme, dans les calculs qu’il fait, ne prend pas ça en compte. Ce n’est pas pris en compte. Dans le PIB, ce n’est pas pris en compte. Ce que la planète nous offre, c’est « gratuit ». Voilà, comme ça… C’est un cadeau qu’elle nous fait. On a même pas besoin d’être reconnaissant. « Oui, bien sûr, bah au bout d’un moment, on a tout épuisé !»
Pourquoi la spéculation a été permise – c’est très intéressant – ? C’est Jules Ferry qui a levé l’interdiction de la spéculation. La spéculation a été interdite en France, jusqu’en 1885. La même année où il permet la spéculation, où il abroge ces lois, il lance le colonialisme. Il lance la colonisation du monde. Parce que les deux vont ensemble. Le pillage de la planète et la spéculation, ça va ensemble. L’un n’est pas possible sans l’autre. Alors qu’est-ce qu’il se passe maintenant ? On est quand même arrivé au bout. On parle de pic pétrolier. La Chine, au XIXème siècle, on est allé l’empêcher d’aller faire sa révolution industrielle à ce moment là, alors elle la fait maintenant. Vous voyez les vidéos avec la pollution à Pékin… on ne voit plus rien. On ne voit plus rien. On ne peut pas vivre là dedans. Le taux de pollution à Pékin, dans ces nuages que l’on voit quelque fois, c’est 27 fois la dose qui est tolérée selon les règlements internationaux. Est-ce que ça va pouvoir durer ? On ne sait pas…
Alors, que s’est-il passé ?
En 2008, le système s’effondre. On met des gens ensemble, et on dit « qu’est-ce qu’il faut faire pour le sauver ? Qu’est-ce qu’il faut faire pour qu’il n’y aie pas une crise comme en 2008 qui puisse se reproduire ?» Alors la S.C.C. aux Etats-Unis – la commission chargée de la régulation des marchés boursiers – travaille 5 ans, pour trouver les règles ; pour trouver ce qu’il faudrait faire pour empêcher qu’une crise, comme celle de 200 8, puisse se reproduire. On passe au vote. Le représentant de l’industrie financière met son veto. « Une crise comme celle de 200 8, on sait comment l’empêcher…
– Ah… mais le monde bancaire n’est pas d’accord !
– Ah… c’est vraiment dommage.»
On veut réguler le marché du pétrole, parce que le pétrole, on doit le réguler, bien entendu, on doit le règlementer. Parce qu’il y en a de moins en moins, parce que ça va coûter de plus en plus cher. On se réunit. On dit « voilà, il faudrait quand même qu’on règlemente cela, que ça ne soit pas simplement soumis à la spéculation. » Il y a deux compagnies qui sont là : BP et Total. Elles disent « Bah, non. Ça nous reviendrait trop cher. » Il y a quelqu’un qui nous représente tous. C’est l’agence internationale pour l’énergie. Qu’est-ce qu’elle fait alors qu’elle nous représente tous ? Elle se range du côté de Total et de BP et quand ces derniers disent « Si on nous impose des règles, nous refuserons de communiquer l’information relative à notre énergie », qu’est-ce que vous pouvez faire… ? Rien ne se passe.
La CFTC aux Etats-Unis – l’agence fédérale indépendante chargée de la régulation du marché sur les commodités, Commodity Futures Trading Commission – veut empêcher que les marchés… — Sur les marchés de l’or à terme, tous les jours, on négocie 7 fois la quantité d’or disponible. « Est-ce que c’est vraiment nécessaire de négocier 7 fois la quantité d’or disponible ?
– Ah, mais non, mais ça fait monter les prix ! Et ceux qui ont spéculé à la hausse gagnent de l’argent. Et ça fait baisser les prix. Et ceux qui ont spéculé à la baisse gagnent de l’argent. »
Quand tout s’effondre bien entendu, on passe l’ardoise et on nous demande de s’occuper de ça. Alors la CFTC a dit « il faudrait règlementer sur le nombre de gens qui sont actifs sur les marchés de ce type là », parce qu’il y a aussi les marchés de l’alimentation bien entendu, qui provoquent des manifestations de la faim, quand accidentellement le prix du blé monte trop haut et que les gens ne peuvent plus acheter de pain. La CFTC a dit « il faudrait règlement le nombre de gens qui spéculent simplement, qui ne savent pas prendre livraison d’un produit quelconque, qui ne savent pas le livrer non plus, il faut les empêcher d’être là, simplement, pour modifier les prix. » La CFTC promulgue des règles. L’industrie dépose plainte, devant un tribunal et trouve immédiatement – on est aux Etats-Unis, les jugent son élus – un juge qui décide et détermine que la décision de la CFTC est illégale. Ca se passait en 2011. C’est bloqué depuis.
Alors, tous ces braves gens qui ont vu le système s’écrouler en 2008… On se dit «ces gens aiment ce système. Ils veulent le faire survivre. » Qu’est-ce qu’ils font ? Ils font la pire des choses : ils essayent de le garder tel quel, dans l’état où il ne pouvait pas marcher, où il ne pouvait pas fonctionner.
Jean-Maxence Granier a fait une étude en 2009. Il a interrogé un certain nombre de personnes – il m’a interrogé moi, en particulier – et il nous classé : les gens qui pensent que ce système va survivre (1) ; ceux qui pensent qu’on peut reconstituer ce système tel quel (2) ; ceux qui pensent qu’il faudrait faire des modifications assez dramatiques pour qu’il survive (3) ; et ceux qui pensent que ça ne marchera pas (4). Il y a une catégorie : celle de refaire le système à l’identique (2). Jean-Maxence Granier n’a trouvé personne pour la défendre. Quel a été la solution qui a été adoptée par nos gouvernements ? Etats-Unis… toute l’Europe occidentale, par nos politiques ? Faire la solution que personne n’a recommandée. Alors qu’est-ce qu’il se passe ?
On est 5 ans plus tard. Jacques Attali était dans la 2ème catégorie, où il disait « on va pouvoir garder le système tel quel, par des modifications assez dramatiques, mais on pourra toujours parler de capitalisme ». On m’avait demandé à moi, moi je disais « il faudra changer le système. Il y a des choses qu’il faudra changer absolument. (3ème catégorie)»
5 ans plus tard, le blocage a été total du côté de l’industrie financière. M. Attali est passé de la catégorie à celle où j’étais à l’époque (3ème catégorie). Et moi, je suis passé de la catégorie disant « en faisant de gros efforts, on va pouvoir changer ce système » à la dernière catégorie, celle qui dit « non, on ne va pas pouvoir le sauver » (4ème et dernière catégorie).
Nous avons fait preuve de bonne volonté pendant 5 ans, mais ce système ne va pas survivre.
Alors…je conclu…
Je conclus simplement par la question que j’avais posée au départ [« Y aura-t-il vraiment des générations futures ? », NDT – Note du transcripteur].
Ce système est un système moribond. Le système ne va pas pouvoir survivre. C’est dangereux. Il y a sur la surface de la terre 492 centrales nucléaires. Vous avez vu ce qu’il se passe avec les centrales nucléaires, même maintenant, au pic de notre maîtrise technologique … Il y a quand même des Tchernobyl, il y a quand même des Three Mile Island, il y a quand même des Fukushima. Dans un monde qui va entrer dans une phase de transition de type « Fin de l’Empire romain » nous allons nous retrouver avec 492 centrales nucléaires à l’abandon. Vous savez, moi je n’habite pas très loin de Brennilis, en Bretagne. Depuis 1965 on se gratte la tête à se demander comment on va faire pour démanteler cette centrale nucléaire. 492 centrales nucléaires à l’abandon, dans des zones industrielles – c’est pas dans les déserts qu’elles sont – c’est dire que si on entretiens pas ça, de la manière dont on le fait maintenant, et même… – parce que j’avais fait un calcul, des accidents comme celui là, comme Fukushima, comme Tchernobyl, un simple calcul montre qu’un accident sérieux va se produire tous les 15 ans. Alors, pensez à ce qu’il va se passer quand plus personne ne s’occupera de cela.
La question qu’il faut se poser : le capitalisme aura-t-il la décence de mourir avant qu’il n’ait entraîné dans sa perte notre espèce ?
Merci.
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*Ivan Boesky : Dans la vidéo, Paul Jorion dit « Carl Boesky » ; il s’agit d’une erreur.
Réponse de la bergère au berger.