L’euro sombre dans l’escroquerie politique, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Le petit monde de la banque européenne s’excite sur la publication au mois d’octobre des « stress tests » de solvabilité des banques en euro. La polémique enfle entre l’Europe du Sud qui pointe la faible qualité des portefeuilles de crédits à l’économie réelle au Nord, et l’Europe du Nord qui constate l’hypertrophie des portefeuilles de dette publique nationale en Europe du Sud.

Une question cardinale reste sans réponse réelle dans laquelle s’abîme littéralement le système monétaire et financier mondial libertarien. Qu’est-ce que le prix du risque systémique des banques qui ne serait pas lié aux États de droit à l’intérieur desquels est émise la monnaie qui comptabilise les dettes ?

Depuis l’abandon en 1971 de l’étalonnage de la valeur des monnaies par le prix des stocks d’or déposés dans les banques centrales, les parités nationales de la monnaie dépendent des réserves de change comptabilisées dans les zones monétaires étrangères par les banques d’une même zone monétaire. Une même zone monétaire représente une masse de dépôts bancaires dans la même unité monétaire adossée à une masse de crédits à d’autres banques, à des États et à l’économie réelle. Les dépôts des banques étrangères dans une zone monétaire donnée sont les réserves de change des zones monétaires étrangères. Ainsi donc la solvabilité d’une banque dépend de la crédibilité de l’équivalence entre la masse de ses dépôts dus aux résidents et non-résidents et la masse des crédits consentis aux autres banques nationales et étrangères, aux États souverains nationaux et étrangers et à l’économie réelle nationale, zonale et internationale.

Le risque de change envers une zone monétaire, le risque souverain envers des États et le risque de liquidité des emprunteurs réels sont un seul et même risque de crédit. Le seul facteur de distinction entre ces risques est le statut de l’emprunteur — zone monétaire, État ou emprunteur final — qui s’adosse à une base économique et juridique plus ou moins large et plus ou moins solide. Tout banquier qui se pose vraiment la question de l’application de la réglementation Bâle III sait qu’il doit décomposer l’analyse de ses risques d’actif entre le réel et le juridique. Les modèles de risque de nature statistique sont fondés sur la confusion entre la réalité et le droit. Or tout praticien du crédit fait quotidiennement l’expérience d’une réalité non conforme au droit et d’un droit qui ne rend pas la réalité certaine.

Muni de ces observations, il n’est pas difficile de comprendre à quel point les stress tests de la zone euro sont une mascarade politique. Les politiques fondateurs de la monnaie unique ont cru qu’un droit formel communautaire suffisait à créer la réalité d’une unité européenne par la monnaie. Plusieurs États de droit, bien différents mais nullement solidaires par des représentations communes de la loi et de l’ordre public, se sont retrouvés en concurrence pour le crédit en monnaie commune sans avoir les mêmes priorités politiques ni appliquer les mêmes règles de droit dans l’évaluation de leurs obligations légales. Très naturellement et en l’absence de vraie régulation financière, les banques de la zone euro ont pratiqué massivement l’arbitrage réglementaire pour réaliser des plus-values de change maquillées en risque souverain.

Sept ans après la crise des subprimes et après autant d’années de spéculation effrénée sur les primes de risque souverain, la mécanique de pillage financier du crédit public des États est parfaitement rodée. C’est la réglementation-même dite de Bâle III mise en place pour prévenir un nouveau krach des subprimes qui assure une rente aux banques. Comme la couverture réglementaire du risque souverain en fonds propres bancaires est dogmatiquement fixée à 0%, les banques prêtent aux États qui garantissent la BCE qui prêtent aux banques. Les taux reçus sur la dette publique sont supérieurs à 0% et les taux réglés sur les euros empruntés à la BCE sont à zéro : il n’est plus aucune nécessité pour un banquier de la zone euro de prendre le moindre risque dans l’économie réelle. Stricto sensu, la zone euro fonctionne sans monnaie parce que la recette fiscale des États sert à verser la rente des banquiers et de leurs actionnaires non-résidents.

Les débats techniques entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud sur la pertinence des stress tests sont totalement spéculatifs. Ils n’ont d’autre finalité que d’accroître la volatilité des primes de crédit bancaire qui se répercute sur les primes de crédit souverain qui augmentent les bénéfices de la rente fiscale des banques. Les super-champions de la spéculation sur le risque souverain systémique sont les banques allemandes et françaises que les gouvernements allemand et français se refusent absolument à surveiller et à réguler. Les plus initiées sont bien sûr les filiales italiennes du système bancaire en euro qui peuvent apporter des titres italiens à prime élevée pour collatéraliser sans décote leurs emprunts directement négociés avec Mario Draghi. Les filiales allemandes du système bancaire en euro font elles garantir leurs prêts au marché interbancaire en euro par la Bundesbank qui est garantie par le contribuable allemand.

Dans cette vaste escroquerie d’économie politique, la Commission Européenne transforme en directives les revendications du lobby bancaire et distribue des injonctions d’austérité budgétaire pour augmenter le levier fiscal des primes de change bancaire du risque souverain en risque systémique. La zone euro ne contient plus de bien commun et n’a plus d’État et de gouvernements que formels et décoratifs. Comme il n’y a plus de bien commun européen, la matière fiscale s’évapore pour tout le monde.

L’économie réelle n’a plus qu’à se révolter contre les banques et les gouvernements pour hâter la désintégration de la zone euro et peut-être remettre la monnaie et le crédit au service du droit des gens. La monnaie indexée sur le droit des gens signifie un marché monétaire public contrôlé par la démocratie politique dans une chambre de compensation de la liquidité monétaire par des titres de propriété et de responsabilité réelles.

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