Emporté par la foule…, par Pascal

Billet invité.

Cette anecdote entendue un jour : à la libération de Paris, alors que le Général De Gaulle, depuis un balcon surplombant une place, se faisait ovationner par une foule heureuse et en liesse, un de ses conseillers le félicita (en voici l’esprit, ce n’est pas une citation) : « Mon Général, cette foule tout entière qui vous acclame, c’est vraiment magnifique. Le peuple français est avec vous. » Et le Grand Charles de répondre à peu près ceci : « Vous savez, mon ami, il y a quelques temps à cet endroit, c’étaient les mêmes qui acclamaient Pétain ».

Je me souviendrai toujours d’un soir Gare de Lyon à Paris, tous les panneaux d’affichages étaient éteints. Il devait être un peu après 17h et sur l’esplanade devant les quais. La foule s’amassait, s’amassait au rythme des métros qui se vidaient. Il y avait au moins un millier de personnes fatiguées de leur journée qui n’aspiraient qu’à une chose : monter dans leur train de banlieue pour rentrer chez eux. Mais impossible, rien ne s’affichait. La masse semblait enfler à l’excès. Dans les bureaux qui surplombaient l’esplanade, un gars en chemise regardait ce spectacle, certainement comme tous les jours. Seulement, d’habitude personne ne le voyait, mais ce jour-là, il était soumis au regard de la foule inquiète. Je pense qu’il ne s’en rendait pas compte. À un moment, il a souri ou rigolé sûrement d’une blague d’un copain dans le bureau. Mais la foule, dans son corps vivant, a perçu ce rire comme une moquerie. Une puissante rumeur est montée de cette masse surchauffée par ce soir d’été. Je me suis dit : si quelqu’un trouve un pavé ou quelque chose à lancer, il y a droit. Juste à ce moment là, les panneaux d’affichages se sont mis tous en même temps à cliqueter et à afficher la destination de leur train. Le monstrueux corps social se dégonfla rapidement et se répandit en un flot d’individus le long des quais. Il aurait suffi de quelques secondes de plus… Que serait-il arrivé ?

Oui, la foule est un fantastique corps social auquel on se sent appartenir en se fondant parmi des centaines d’individus mus dans un même élan. Mais qui a la maîtrise de ce corps sans tête ? Pour la provocation, histoire de faire un peu son Charlie, on m’avait dit un jour : le QI d’une foule est inversement proportionnel au nombre de participants.

La symbolique de ce peuple rassemblé est très puissante et fascinante mais quel était le lien qui unissait ces individus dimanche dernier : l’affirmation de certaines valeurs ? le refus de la terreur ? le besoin de communier, de remettre un peu de sens dans une société sans boussole et sans capitaine ?

La question qui survint tout de suite après fut la même dans toutes les têtes (je présume) : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? »

L’État très vite a dit : « Je m’occupe de tout, ne vous inquiétez pas ! Nouvelles lois, nouvelles procédures policières et de renseignement… » Et le peuple de témoigner dans les sondages sa satisfaction des politiques. On l’a échappé belle ! Imaginons un instant que le peuple décide de prendre les choses en main ? C’en était fini de la Vème République et qu’est-ce que le peuple aurait mis à la place ? La Démocratie athénienne ? La République de Weimar ?

Les processus spontanés (ou presque) des foules ont la beauté des Printemps Arabes mais sont aussi les prémices de temps incertains sans assurance d’aboutir à une paix sociale. La beauté des choses n’exclut pas nécessairement leur dangerosité.

Non : les marchés financiers sont incapables de s’autoréguler. Et le peuple alors ? Pareil ! Il faut sortir des cadres actuels dit Paul Jorion mais rien de souhaitable ne se fera sans cadre. Il faut se donner le temps, le courage et la patience de construire de nouveaux cadres. Alors peut-être saurons-nous trouver un nouvel équilibre, un nouvel ordre social (même ces mots des fois me font peur !) ou disons une nouvelle construction sociale. Cela ne se fera pas dans la rue et il y aura beaucoup de résistance au changement.

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