On était pas révoltés. On était désolés, par Stéphane-Samuel Pourtalès

Billet invité.

On ne s’attendait pas à ça, hein, comme « grand tournant ». Le bus des people et tous les gens. Tous ces gens. Le correcteur orthographique souligne « people » en rouge et me propose en correction : « peuple ». Sacré farceur, va. Vous l’avez peut-être remarqué, depuis quelques jours un mot nouveau est apparu dans les journaux. Enfin un mot qui n’était plus guère employé que par les nostalgiques, les forts en voix, et l’extrême-droite : « le peuple français ». Ils montrent des photos de foule et dessous il mettent : « le peuple français ». C’était donc ça. On l’a longtemps cherché.

Cet étonnant silence des manifestants. D’habitude, il faut klaxonner, dire, pancarter, redire, chanter, et le tout le toutim, fumées, musique. Mais là c’était pas la peine. Battre des mains quelquefois. A peine. Pas la peine de dire. Parce qu’on savait. On savait que les autres savaient, et on savait que les autres savaient qu’on savait.

Mais quoi ? J’ai du mal à dire. Je suis sûr que vous comprenez.

On était pas révoltés. On était désolés. Si on avait été révoltés, on aurait brandi des dessins avec le cul à Mahomet. Mais on l’a pas fait. Et le dire, j’ose à peine.

On savait bien qu’il était mort, Charlie-Hebdo. Et peut-être même depuis un certain temps. C’était pas une révolution. C’était un enterrement.

Mais le plus doux enterrement du monde. Plein d’honnêteté et de bon sens. De « premières fois », d’enfants, de respect, de paix. Une oraison humaine sans grimace ni sourire. La seule fois peut-être qu’une foule dit aux puissants, qui pourtant s’agitent, défilent, brandissent, jouent des coudes et des solennités : « On s’en fout. » On s’en fout de vous. On s’en fout même d’être « récupérés ».

Qu’ils sont rares, ceux dont la mort produit la paix. On avait même le droit de faire des blagues sur leurs cadavres. Personne n’était là pour froncer le sourcil. Le fumet de leurs dépouilles, c’était de l’air neuf.

Une sorte de nostalgie pas malheureuse, à tous les étages. On ne connaissait pas ces dessinateurs, mais on les avait connus. On se souvenait. Ça nous avait fait quelque chose. On se moque parfois des sentiments, mais c’est ça qui reste. On avait ri, eu peur, eu bien, eu mal et c’était important. On était là, millions qu’on était, pour dire que c’était important.

Adieu, Charlie-Hebdo. On va s’abonner, ça sera notre pèlerinage. Ça ne sera pas comme avant. Pour nous comme pour vous. Ça sera mieux, sûrement. Grâce aux morts. Ou aux vies, comme on veut. Au ciel de chacun narquois et planants. Ça sera mieux, sûrement.

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