Billet invité.
Gramsci disait que la crise, c’est un monde qui meurt tandis que le nouveau n’est pas encore né. C’est dans une période comme celle-ci que nous vivons. Pour comprendre, cela fait bientôt sept ans que je me nourris ici d’avis, de constats et de débats. Intellectuellement, c’est passionnant. Les analyses livrées sur le blog de Paul Jorion ont beaucoup contribué à ma prise de conscience. Le cercle de ceux qui savent s’élargissant, j’étais convaincu que toute cette manne finirait par percoler dans la foule des citoyens électeurs, et par ricochet, influencerait nos dirigeants. Tragiquement peu, en réalité !
Devant ce constat amplement partagé, les actions concrètes pour le changement se font de plus en plus nombreuses dans des domaines très divers, qu’elles soient lancées par des ONG ou des citoyens ordinaires. Un peu comme si l’utopie de John Holloway (Change The World Without Taking Power, 2002) pouvait devenir réalité ! Il y prétend notamment que les brèches dans le système capitaliste proviendront d’initiatives locales, dès maintenant. Lancé en mars 2013 en Belgique, le projet d’une nouvelle banque éthique sous forme coopérative, NewB, rentre dans cette mouvance en visant à influencer positivement les pratiques bancaires. Mais Luc Coene, le gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, n’a pas vraiment fait mystère de ses réticences. Lors d’une interview en octobre dernier, il a affirmé qu’il y avait trop de petites banques en Belgique. Il lui suffit de laisser le dossier de demande d’agréation dormir tranquillement dans le bas de la pile pour ne pas devoir notifier un refus. Car les initiateurs du projet jouent maintenant contre la montre, tandis que leurs adversaires mesurent tranquillement l’assèchement progressif des liquidités de NewB. La finance durable n’ayant rien de commun avec le maraîchage bio à l’échelle locale, il faudra trouver autre chose !
Pour tenter de faire sauter le verrou, différentes pistes ont déjà été évoquées sur ce blog, dont la constitution d’un parti politique ou des pétitions, sans compter d’innombrables propositions de modifications des institutions et des lois. « Il serait temps de faire quelque chose » est sans conteste l’affirmation la plus répandue. Dès qu’il s’agit d’avancer une proposition plus concrète, les avis divergent.
La suggestion de Paul Jorion de créer un tribunal d’opinion (Troïka : Il va peut-être falloir s’en occuper nous-mêmes !), suite au documentaire « Puissante et incontrôlée : la Troïka », a provoqué beaucoup de réactions en sens divers (252 !). Une bonne dizaine d’intervenants s’est montrée clairement favorable, les autres ont émis des doutes et des réticences ou se sont égarés, souvent de façon intéressante mais éloignée de la question posée. Je crains que cette proposition ne sente déjà le sapin… Si ce devait être le cas, dommage.
Quelle que soit l’action qui pourrait être entreprise, elle devrait au moins avoir pour effet majeur de braquer une lumière crue sur les pratiques des membres de la Troïka et de les transformer ainsi en lapins affolés dans les phares. Ces gens-là n’aiment pas la clarté, tout comme les fonctionnaires européens qui nous acheminent en douce vers un Pacte Transatlantique qui servira de cercueil à ce qui nous reste de démocratie. Bien orientée, la lumière peut aider à faire avorter les projets destructeurs et à découvrir le visage des responsables de pratiques singulièrement malhonnêtes.
Outre l’établissement des responsabilités dans ce désastre, la publicité ainsi aidée par la technique du projecteur sert aussi à l’information publique. J’ai été sidéré par les trente dernières minutes du documentaire sur la Troïka. Je ne savais pas, ou du moins je ne me rendais pas compte. L’information que j’avais déjà, c’était par exemple : « Une banque portugaise a été liquidée dans l’urgence pour une somme dérisoire, afin, selon la Troïka, de limiter au plus vite les pertes ultérieures ». La réalité, c’est : « La fille du président angolais a acquis la banque portugaise pour un dixième de son prix, tandis que le gouvernement portugais a conservé les actifs toxiques dans une bad bank ». La première information provoque un haussement de sourcils désabusé. Par contre, la froide réalité déclenche un mouvement de colère, du moins chez les citoyens qui disposent d’une certaine culture financière. Quant aux autres, nombreux, ils n’ont toujours aucune idée de ce qui se passe. Comment en serait-il autrement ? Le documentaire est passé en semaine en fin de soirée et les vues sur Internet n’ont pas dépassé quelques centaines, soit bien moins que les gaudrioles vidéo de n’importe quel chat de gouttière sur YouTube.
Nous disposons actuellement d’informations comme jamais auparavant et Internet permet d’élargir l’audience. Une action ciblée tel qu’un tribunal d’opinion peut servir de démultiplicateur, tout en pointant les responsabilités. Ce n’est probablement pas la seule option. Dans tous les cas, nous devrons rapidement plonger les mains dans le cambouis, afin de dépasser « l’activisme du clavier » qui nous donne l’illusion de l’action. Dans le cas contraire, notre futur est déjà tout tracé « pour notre bien ».
La proposition que je souhaiterais faire passer est la suivante : que ceux parmi les lecteurs de ce blog qui ont une suggestion précise ou un projet concret d’action puissent en faire part dans un cadre précis, sur ce blog ou en dehors de lui.
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