Reconstruire un discours politique, par Michel Leis

Billet invité.

Je viens de participer pendant quelques semaines à l’aventure « Tout Autre Chose » en Belgique avant de claquer la porte. L’objectif était de fédérer des partis et des citoyens derrière une bannière commune. La demande est là ! 15 000 signatures en quelques semaines du côté francophone, à l’échelle de la Belgique, c’est une performance.

Retour d’expérience ? Il a fallu des semaines pour définir une plateforme (minimum) commune : certes, toutes les personnes qui partagent un certain nombre de valeurs peuvent signer à deux mains, mais c’est bien parce que le texte est pour l’essentiel un consensus mou autour de quelques valeurs.

Deuxième retour d’expérience : c’est un terrain pour des enjeux de pouvoir où quelques personnes et organisations essayent d’imposer à tout le monde leur vision. Il se crée des circuits parallèles où se mènent des discussions hors des outils collaboratifs mis en place. Les réunions entérinent des points de vue construits ailleurs, sans réelle possibilité de discussion. Sans doute une question de culture puisque Hart boven Hardn l’aile flamande du mouvement semble avoir plus de succès…

Cette aventure me rappelle un excellent sketch des Guignols, il y a longtemps (ils avaient alors un œil acéré sur certains travers de notre société) avec une discussion sans fin du programme des écologistes où les courants les plus divers (écologie et parachutisme si je me rappelle bien ! … ) réclamaient la parole pour défendre leur point de vue.

À mon sens, il y a trois points qu’il faut absolument surmonter pour reconstruire un discours politique :

Nous nous opposons à une oligarchie dont le modèle n’est pas le libéralisme. Tout le fatras sur le marché que leur concoctent des économistes à la petite semaine (mais non dénué de récompense) c’est juste un moyen et une justification a posteriori. La place de ces oligarques dans la société, leur rémunération, l’appropriation des profits, l’accumulation du patrimoine qui en résulte, ils le doivent à leurs qualités propres (dans la réalité, pour beaucoup d’entre eux, à leur naissance), c’est leur « story telling ». L’idéologie n’est pas le libéralisme, c’est le darwinisme. Ils se voient comme des mâles et des femelles dominants, qui ont une conscience de groupe aiguë, qui agissent par opportunités, les replis, quand il y en a, sont tactiques. Surtout, ils n’ont pas besoin de longs conciliabules pour se comprendre, pour créer un consensus autour de leurs intérêts, ils sont d’une efficacité redoutable. La grande force de leur « story telling », comme l’évoquait Paul Jorion, c’est de distribuer des miettes et de montrer quelques exemples, positifs (la réussite d’un individu) ou négatifs (la déchéance sociale), qui laisse croire que nous prenons part au grand jeu. La réalité statistique est évidemment bien moins glorieuse, mais elle est tout à fait cohérente avec une idéologie darwinienne.

Pour ceux qui tentent de s’opposer à la folie actuelle, un ensemble de valeurs ne font pas une idéologie. La grande force de la gauche et des mouvements sociaux du 19e, c’est un référentiel idéologique commun. Quand Marx s’impose face aux utopies sociales du milieu du 19e, il crée un point d’ancrage fort. Des courants concurrents (dans leur interprétation de la parole de Marx) peuvent passer des alliances ponctuelles d’autant plus facilement. Marx n’apporte pas seulement une idéologie, il apporte une efficacité. Après, on peut s’inscrire dans les querelles d’écoles sur la pensée marxiste, on peut discuter de ce qu’elle a apporté ou pas, des échecs lors du passage à la pratique, reste que l’absence d’un référentiel commun est un manque. En ce sens, l’enterrement en grande pompe de l’URSS exprime le soulagement des tenants d’un monde darwinien qui voient s’effondrer un référentiel idéologique concurrent.

Face à cette efficacité organisationnelle de l’oligarchie dominante, la vision de la démocratie qui construit un programme à partir des apports de ces citoyens me semble aujourd’hui inopérante. Elle conduit au mieux à un système de plus petits communs dénominateurs qui n’ont que peu de poids face à la parole des nombreux experts au service de l’oligarchie dominante. Le discours sonne creux, il n’est pas cohérent, il n’est pas en mesure de changer les rapports de forces qui devraient être l’enjeu essentiel de la politique (je ne rêve pas ici d’une victoire révolutionnaire par KO où une oligarchie remplace une autre oligarchie). La démocratie n’est pas (plus ?) une méthode, c’est un cadre qu’il faut construire et qui doit défendre chacun contre la prédation d’autrui, permettre aux individus de s’exprimer et de s’épanouir sans être dans un système de rapports de forces permanent, et enfin d’exprimer à intervalle régulier des choix collectifs dans un débat public éclairé, avec des politiques qui reflètent réellement les choix effectués.

Rentrer dans le jeu politique en fonction des impératifs tactiques ne nous conduira pas à grand-chose. Il faut renverser les perspectives, faire émerger des programmes pour discuter sur le fond et permettre de fédérer ensuite autour d’un discours fort. Le blog de Paul Jorion pourrait être la vitrine de programmes structurés qui pourraient changer la nature du débat… À condition que les partis, les organisations, pourquoi pas des petits groupes d’individus s’attellent pour de bon à la tâche au lieu de se complaire dans des jeux de pouvoir.

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  5. @gaston Pour vous détendre, profitez d’un séjour en montagne: https://bulletindescommunes.net/phenomene-rare-la-neige-fait-son-retour-dans-les-alpes-en-plein-mois-de-juillet/

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