Projet de loi sur le renseignement, ou le retour de Fouché, par Roberto Boulant

Billet invité.

La question s’impose d’elle-même. Pourquoi faire un Patriot Act  à la française, alors que nous avons maintenant suffisamment de recul pour analyser les résultats donnés par le modèle originel américain ? À sa nocivité envers les libertés individuelles – selon la formule connue depuis les Césars, qui veut que la loi d’exception devienne la norme -, s’ajoute un coût financier exorbitant pour une efficacité dérisoire dans la lutte anti-terroriste. Sans oublier le b.a.-ba du renseignement, qui enseigne qu’il ne sert à rien de collecter des milliards d’informations à chaque instant… si vous n’avez pas des millions d’analystes pour les interpréter. En d’autres termes, la quantité nuit ici gravement à la qualité et au travail d’enquête.

Inutile bien entendu, d’espérer une réponse étayée et circonstanciée de la part du gouvernement. Face à l’ensemble de tous les acteurs de la société civile, qu’ils appartiennent à la sphère juridique, à celle de l’internet, ou tout simplement aux associations de défense des droits de l’homme, et qui s’inquiètent et protestent contre ce projet de loi liberticide, Manuel Valls répond dédaigneusement : phantasmes et faux procès que tout cela. Autrement dit, circulez braves gens ! La chambre d’enregistrement, pardon l’Assemblée Nationale, validera. Aucun débat sincère, juste la (énième) confirmation que sous la cinquième République, le Législatif est de fait aux ordres de l’Exécutif.

En l’absence de tout dialogue sincère, nous sommes donc condamnés à imaginer les réponses plausibles à la question posée.

Mais si le brouillard de guerre du gouvernement, nous oblige à chercher par nous-mêmes la réponse, au moins pouvons-nous constater les faits :

–  Une autorisation judiciaire remplacée par une autorisation administrative. On imagine fort bien un fonctionnaire dire non à ceux dont dépend sa carrière…

–  L’installation sur les réseaux des fournisseurs d’accès à internet, de véritables boites noires dotées d’algorithmes classés secret défense, et opérés par des services de l’État (par nature, il est impossible pour la justice d’obtenir des informations classées ‘secret défense’. La déclassification étant au bon vouloir de… l’Exécutif).

–  L’autorisation de divers moyens massifs de captation des échanges électroniques. Cela sans discernement, d’où la métaphore de ‘pêche au chalut’.

–  Des modalités de contrôle non précisées (délais de stockage, destruction), mais rendus de toute façon de manière aléatoire, par la nature même de données électroniques  pouvant être dupliquées, distribuées et échangées à l’infini.

–  Des champs d’application extrêmement vagues, susceptibles de faire rentrer journalistes, syndicalistes et mobilisations citoyennes… dans la catégorie des terroristes potentiels.

Sans exagération, il est donc permis de parler de projet de loi liberticide.

Et le rideau de se lever sur le champ de ruine qu’est devenue la cinquième République :

  • Des citoyens transparents aux yeux d’un état opaque.
  • Des politiciens professionnels au service de leur carrière.
  • Une seule politique possible : TINA.

Bien sûr, pour enrober le tout du voile d’une légitimité depuis longtemps évaporée, on songera alors à introduire le vote obligatoire.

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