Armées : Un SPV quèsaco ?, par Jacques Seignan

Billet invité.

Que de talent ne faut-il pas pour gouverner de nos jours ! Tout ce qui paraissait acquis, se retrouve dépassé par les incroyables progrès que le néolibéralisme nous oblige à faire – et à marche forcée ! Prenons l’exemple de l’Etat et de ses fonctions régaliennes : « en économie, les fonctions régaliennes désignent des tâches que l’État ne doit pas ou ne peut pas déléguer à des sociétés privées ».

Le cas classique est celui de la guerre. Le pouvoir étatique implique ainsi l’usage exclusif de la force armée et on peut dire que c’est une de ses justifications : défendre la souveraineté nationale. On peut bien sûr rêver d’un monde futur où ce genre de question ne se pose plus. Mais il semble bien que l’on soit encore dans une situation dans laquelle des forces obscurantistes sont menaçantes et donc la légitime défense s’avère nécessaire. La France joue un rôle important en première ligne en particulier en Afrique. On peut évidemment discuter des causes et critiquer ces actions mais c’est un fait. L’Italie est aussi en première ligne dans les terribles drames des immigrants en Méditerranée. Or l’Union européenne se défausse de ces problèmes pourtant cruciaux mais maintient des exigences budgétaires « féroces » quel que soient les circonstances. Aucune circonstance d’intérêt européen supérieur ne semble, aux yeux des eurocrates, justifier un  laxisme budgétaire quelconque. C’est typique des systèmes à l’agonie que de se confronter à des apories. Il faut donc trouver des sous – par d’autres moyens, plus « créatifs ».

En France, on sait que les armées finalement seront épargnées d’une saignée en personnel (conséquence de la mobilisation sur le « front » intérieur après les attentats de janvier) mais il y a quand même un risque  décrit précisément dans un excellent article du Monde (22.04.2015) : Hollande pressé d’arbitrer entre Sapin et Le Drian.

« Pour trouver rapidement du cash et éviter la cessation de paiement à l’été, le ministère de la défense a imaginé recourir à des sociétés de projet (« special purpose vehicle », SPV) ». La Défense nationale en cessation de paiement… mais le monde est si paisible en 2015.

Le SPV : entrons alors dans l’imagination financière (et débridée) au pouvoir : « Le mécanisme se veut simple : au lieu que les équipements soient achetés par l’Etat, c’est une SPV qui en fait l’acquisition puis les loue aux armées. Seraient concernés dans un premier temps trois frégates multimissions (FREMM) et quatre avions de transport stratégique A400M. Ces sociétés de projet, montées pour l’heure avec des capitaux publics, seraient abondées à hauteur de 2,2 milliards d’euros par l’Agence des participations de l’Etat (APE). »

Eh oui, vous avez bien lu ! Un hallucinant tour de magie ! Les avions, les frégates, l’armée les loue ! A qui ? au profit de qui ? Mais enfin on ne va pas parler de ces détails, soyons modernes. L’article précise que ça coince entres les deux amis de F. Hollande, M. Le Drian qui veut le matériel rapidement mais ne peut payer et M. Sapin qui n’est pas convaincu que cette solution sophistiquée ne sera pas comptée par Bruxelles comme une dette supplémentaire ce qui serait absolument inadmissible : allons-nous ajouter des contrariétés de ce genre aux valeureux combattants anti-Syriza ? On verra bien mais il est probable que cette solution curieuse passera car derrière cette idée soufflée au président, il y a notre grand magicien en chef, le subtil innovateur pour décoincer notre vieux pays : Monsieur Macron lui-même, l’indispensable banquier d’affaire aux capacités hors du commun :

« M. Macron, lui, était déjà un ardent promoteur des SPV à l’Elysée avant d’être nommé à Bercy. Il intègre dans son projet de loi sur la croissance et l’activité, lors de la première lecture à l’Assemblée nationale, un article qui lève les obstacles juridiques à leur création ». Il faut vraiment admirer les anticipations législatives de ce maître : « plus néolibéraliste, y a pas » nous dit Zébu. L’amusant est de voir que des réflexes régaliens existent à droite et que la dite « gauche socialiste » est en porte-à-faux idéologique : « Les parlementaires se montrent eux-mêmes divisés sur ce dispositif. Ils redoutent de voir les intérêts patrimoniaux et financiers de l’Etat, dans le domaine sensible de la défense, passer entre les mains d’opérateurs semi-privés. A terme, un montage privé serait en outre exorbitant : la seule ingénierie des SPV coûterait autour de 600 millions d’euros selon les informations du Monde. Bruno Retailleau, le président du groupe UMP du Sénat, réclame ainsi des engagements fermes de la part de l’exécutif sur les 31,4 milliards de budget prévus pour la défense en 2015 ». On est en effet bien loin de l’armée de l’An II.

Une conclusion : pour vous aider face à la Troïka, surtout n’oubliez de mettre un Macron dans votre gouvernement.

Une proposition : faites connaître autour de vous ces opérations masquées par leur complexité au défi du bon sens, faites savoir à tous où nous en sommes arrivés pour « se tenir dans les clous » imposés par les Traités et le ridicule de nos dirigeants éclatera au grand jour. Pour eux, du ridicule mais pas de honte car des gens qui ont trahi leurs promesses électorales à ce point sont définitivement immunisés contre ce sentiment – de plus il y aura de bons avenir professionnels pour certains au CV enrichi –, mais au moins leur impéritie et leur stupidité dogmatique seront dévoilées aux yeux des citoyens !

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