Parler à une femme pour aller bien, par Marie-Paule Nougaret

Billet invité.

Réponse à Timiota, Games of ThOrMones, ou la réciprocité depuis Shakespeare. En hommage à Chantal Bismuth.

Rappelons que l’ocytocine est surtout le pendant de l’adrénaline, dont les effets, en situation tendue (stress) varient suivant la dose circulante, de calmants à excitants avec polarisation vers l’action, changement de rythme cardiaque, préparation des muscles mais d’abord tranquillité, avant le combat ou la fuite : fight or flight.

Jusqu’aux années 90, on croyait l’ocytocine réservée au moment de l’accouchement. Cette hormone élève le seuil de la douleur (on a moins mal) et de la peur (on a confiance).

On a d’abord découvert que des opiacés interne (endorphines) atténuaient aussi la douleur. Leur sécrétion augmente dans le cerveau tout au long de la grossesse. Leur absence après la séparation, post partum, peut causer une dépression, surtout en cas d’impossibilité d’allaiter (ce qui ferait remonter le taux) ou de manque affectif.

Car en effet les opiums internes participent du système dit de « récompense », dans les relations d’attachement. Expérience classique de la mère poule et des poussins, qu’on lui arrache : ils piaillent fort. On les rend à leur mère, ils se taisent. Avant de les réunir à leur mère, on les traite à la naloxone, le produit qu’on emploie pour bloquer l’action de l’héroïne, dans les overdoses. Vous pouvez les rendre à leur mère, ces poussins là crient tout autant.  <http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/7443737>

Voilà pourquoi les toxicos (et certains patients sous opiacés à vie), se montrent si affables. Les infirmières les redoutent dans les services hospitaliers, pour l’ambiance qu’ils instaurent (quand ils ne piquent pas dans la pharmacie).

Le professeur Chantal Bismuth, toxicologue extraordinaire, qui vient de décéder < http://www.samu-de-france.fr/documents/actus/129/803/sudf_cp_150423_bismuth.pdf> , a sauvé des milliers personnes au bord de la mort, en overdose à l’Hôpital Fernand Widal : quelques 200 par an pour Paris dans les années 80 et 90, quand je l’ai interviewée. Aussi sincères ou attachants soient-ils, les junkies n’ont pas besoin de bonnes relations, disait-elle, il ne faut pas trop y compter : « ils s’injectent ce qu’ils devraient se fabriquer ».

Vers 1992 on s’est aperçu que le pic d’ocytocine remplaçait celui d’adrénaline chez les femmes. On avait évité d’en analyser le sang, lors de la découverte de l’adrénaline, de crainte de se perdre dans la complexité du cycle féminin d’hormones. On pensait qu’elles produisaient de l’adrénaline en situation d’épreuve, elles aussi. Mais leur sang froid se construit autrement.

En fait, tous les contacts physiques et psychiques « non agressifs » : paroles <http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/early/2010/05/06/rspb.2010.0567.short?rss=1&ssource=mfc> ou caresses, accroissent la sécrétion d’ocytocine, y compris chez les hommes, bien qu’en proportion beaucoup plus faible.

Du point de vue de l’évolution, on l’a interprété ainsi : attaque sur la tribu, les hommes affutent les armes, préparent le combat, en concentration extrême, tandis que ces dames s’ouvrent, parlent et s’organisent, même avec les plus antipathiques (dont elles n’ont pas peur) pour protéger leurs sœurs enceintes et les enfants. Ça semble une caricature, guère davantage toutefois que la théorie du gène égoïste de Dawkins (nous sommes agis entièrement par l’instinct de reproduction) qui règne officiellement.

Peu à peu on a compris que les femmes avaient grand besoin de ces contacts physiques et psychiques doux, autrement dit d’ocytocine, et pouvaient en souffrir dans un milieu trop masculin.

Aujourd’hui on sait l’ocytocine l’un des précurseurs biochimiques de la sérotonine, très nécessaire à l’équilibre mental, donc à l’immunité et la santé, des hommes, des femmes et des enfants. Quand on a moins mal et moins peur, on évite de se replier sur soi, on retrouve l’ouverture qui guérit.

On en est même à soigner l’autisme ou le syndrome d’Asperger par vaporisation d’ocytocine dans le nez, vers le nerf olfactif et le cerveau.

Cela aurait conduit le chef du département de psychiatrie de l’Université de Stanford à prononcer ces mots dans une fameuse conférence : « ce qu’un homme peut faire de mieux, pour sa santé,  c’est de parler avec sa femme ».  <http://www.nature.com/nature/journal/v435/n7042/abs/nature03701.html>. Mais je n’ai pas retrouvé la source de la citation (peut être devrais-je chercher à le contacter).

Ce qui renvoie aussi à l’ère brillante des salons de Paris, tenus par des femmes, L’âge de la Conversation, selon Benedetta Craveri, dont le livre du même titre reparaît en poche. Craveri l’attribue cet épisode magnifique au désir féminin de policer les guerriers après la liquidation de l’amour courtois, et de toute une civilisation lettrée, dans l’annexion du midi de la Gaule par l’Église catholique et les rois francs.

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Litterature/L-Age-de-la-conversation

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