Russophilie et Front National

Il ne faut peut être pas aller chercher trop loin quand il s’agit d’expliquer pourquoi une sympathie pour le Front National conduit à la russophilie et pourquoi la russophilie conduit à la sympathie pour le Front National.

Je n’irai pas puiser pour mon explication dans les structures familiales comme le fait l’ami Todd, mais dans les types psychologiques élémentaires, et dire deux mots vite fait de la « personnalité rigide ».

La personnalité rigide aime les explications simples, et mieux encore, les explications simplistes. Le raisonnement paranoïaque n’est pas en-dehors de son champ d’action : plus c’est simple en effet, mieux ça vaut. La personnalité rigide aime les chefs, les meneurs d’homme – sans préjugés idiots d’ailleurs : voyez
l’ascendant qu’eut Margaret Thatcher sur tout ce que le monde compta à une époque en matière de personnalités rigides.

La russophilie est l’image en miroir de l’antiaméricanisme primaire et on pourrait à la limite lui concéder là un bon point en prétendant qu’il trouve son origine dans l’antiaméricanisme raisonné, qui hait lui les guerres injustes menées par la nation en question pour assouvir sa soif d’énergie fossile, sa CIA brutale, sa NSA qui prend bien note de tout ce que je vous dis en ce moment et de la manière dont vous m’écoutez, son École de Chicago sacrifiant de bon cœur son allégeance ténue à la démocratie si
l’ultralibéralisme devait être mis en cause. Hélas, trois fois hélas, ce n’est ni l’annexion d’Hawaï, ni la guerre du Vietnam, ni le renversement de Mossadegh en Iran et d’Allende au Chili, que l’antiaméricanisme primaire déteste, et à la limite, il s’en accommoderait même très bien, non ce qu’il exècre, c’est le laisser aller, le bordel : les pieds sur la table et le ketchup giclé sur le homard.

Oui, d’accord, à une époque, les deux incarnations ultimes de la personnalité rigide : le nazisme et le communisme soviétique, ont envoyé leur peuple respectif se massacrer l’un l’autre d’enthousiasme. Les Russes ont été héroïques à Leningrad, héroïques à Stalingrad, et Berlin n’est pas tombée : Berlin a été rasée, pâté de maison après pâté de maison et pas pendant plusieurs heures : pendant plusieurs semaines. Femmes et enfants surtout, parce que des hommes, il n’en restait plus beaucoup. Les peuples sont héroïques vous savez, tous ! Pour de mauvaises comme pour de bonnes raisons. Pourquoi alors une guerre civile entre les personnalités rigides du nazisme et du communisme soviétique ? Parce que l’un et l’autre étaient hégémoniques : chacun d’eux voulait le monde entier pour lui tout seul : Lebensraum contre
« internationalisme prolétarien communiste ». Sinon ils étaient faits pour tomber un jour d’accord – d’ailleurs ils l’ont fait : le pacte Molotov-Ribbentrop de partage secret de l’Europe entre eux deux ! Mais cela n’a pas duré, la moitié n’était pas assez : ils voulaient chacun tout !

Est-ce à dire qu’il faille abandonner les personnalités rigides à leur triste sort ? Les ignorer nous dans notre campagne intrépide pour un monde meilleur ? Non, parce que nul n’est à l’abri de se transformer lui-même ou elle-même en personnalité rigide, car elle pousse sur le terreau de l’insécurité : c’est la peur qui encourage l’amour de l’explication simpliste, l’amour du Führer et du Petit père des peuples. On les aime pour la raison banale qu’on tremble !

Keynes disait qu’espérer l’unanimité, l’accord de tous sur tout, était une rêve inaccessible, mais que la minimisation du ressentiment elle, ne l’était pas. Il avait raison et c’est pourquoi notre tolérance doit devenir zéro envers l’austérité, la « compétitivité », le pacte « de responsabilité », et autres merdes qui font pousser comme herbe au printemps le ressentiment de ceux que l’on accule à l’abîme. Politiques dont le seul mérite est de satisfaire quelques individus déjà très contents d’eux-mêmes de toute façon, et qui foutent en l’air la vie des gens ordinaires, et qui les font aimer les dictateurs, parce qu’ils leur apparaissent tragiquement comme le dernier rempart contre la déchéance et la mort. Honte à ceux qui, de leur palais doré, sèment suavement la peur, par méchanceté, ou pire encore, par indifférence.

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