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IMAGINE, demain le monde, le numéro 111 est aujourd’hui en librairie. Ma chronique pour le N° 110.
Gloire aux Générations futures !
Quand j’étais petit, dans les années cinquante, les grands nous expliquaient qu’ils n’avaient qu’un seul souci : se sacrifier pour les générations futures.
C’était très beau et rien que d’y penser, les larmes me montent encore aux yeux !
J’ai cessé d’être petit il y a longtemps et les choses ont bien changé depuis : non seulement il n’est plus question de se sacrifier pour les générations futures mais il est demandé à celles-ci de se sacrifier pour nous, et quand je dis « demandé », c’est bien entendu une façon de parler : nous faisons en sorte qu’elles se sacrifient pour nous, de manière anticipée, sans leur demander leur avis.
En réalité, tout ceci ne date pas d’hier. Pensons au logement par exemple. Lord Adair Turner, patron jusqu’en 2013 de la Financial Services Authority, le régulateur des marchés financiers au Royaume-Uni, fit à l’époque la liste des fonctions inutiles, voire nocives, de la finance. Il prit tout le monde au dépourvu en mentionnant en bonne place le prêt au logement, lequel représente au Royaume-Uni 65% des crédits accordés. Il expliquait que depuis le XIXe siècle, chaque génération avait revendu le parc immobilier à la génération suivante à un prix outrageusement gonflé. La justification offerte à cela ? « C’est que le prix de la terre grimpe inexorablement, mon bon Monsieur ! Que peut-on y faire ? » Le résultat ? Les jeunes ménages empruntaient autrefois pour une période de cinq ans en vue de se loger, puis ce fut dix ans, puis quinze… Et maintenant, à combien sommes-nous ? Vous êtes sûr ? Ah zut ! Cela veut dire qu’on dépasse désormais la longueur d’une génération ! C’est très gênant tout ça : cela veut dire que non seulement ça coûte de plus en plus cher mais aussi qu’on repasse la patate chaude des dettes à la génération suivante !
Et les pensions ? À l’époque où le régime des pensions fut mis en place, les gens tombaient comme des mouches peu de temps après avoir pris leur retraite. Le système ne revenait pas très cher. Cela marchait bien. Ensuite, les progrès de la médecine firent merveille ; le baby-boom de l’après-guerre gonfla lui la taille de toute une génération. Du coup aujourd’hui les jeunes en nombre réduit (ceux qui occupent les emplois peu nombreux que les robots et les algorithmes leur ont laissé) bossent dur pour payer les pensions des retraités.
Mille sabords, personne n’avait donc pensé à cela ! Que peut-on faire ?
Mais si bien sûr, « on » y avait pensé : « on » n’était pas à ce point stupide ! Mais nous étions naïfs : nous pensions que les robots et les logiciels collaboreraient avec nous, augmentant notre productivité, de telle sorte que chaque travailleur soit la source d’une richesse toujours plus considérable. Nul n’avait envisagé que les robots et les algorithmes nous remplaceraient purement et simplement, réduisant la grand masse d’entre nous au chômage, en quête d’un boulot allant en se raréfiant, alors que la productivité des machines contribuerait simplement à faire grossir les dividendes que les entreprises distribuent à leurs actionnaires, ainsi que les bonus faramineux de leurs dirigeants.
Autrement dit, dans notre candeur typique des années cinquante, nous imaginions que la mécanisation, que l’informatisation, bénéficieraient à tout le monde. Nous avions négligé que notre système économique, c’est le capitalisme.
Et voilà pourquoi votre fille est muette : voilà pourquoi un nombre très réduit de travailleurs entretiendront des masses de pensionnés vivant à leurs dépens : parce que la machine a cessé de nous aider et se contente maintenant de nous remplacer, et qu’elle rapporte exclusivement à ceux qui la détiennent et la contrôlent.
Un dernier mot pour terminer, sur le nucléaire. Les générations futures seront, à l’image de nous-mêmes, super-intelligentes. Nous sommes même confiants qu’elles seront beaucoup plus intelligentes que nous puisqu’elles trouveront le moyen de traiter les déchets nucléaires que nous accumulons et dont la dégradation naturelle prend des centaines, voire des milliers d’années. Bonne chance à vous, les petits Einsteins du futur : nous savons que nous pouvons compter sur vous !
Ô vous, Générations futures ! Nous vivons à vos crochets aujourd’hui et nous vous léguons une poubelle explosive très chère à entretenir, tout en vous privant des moyens de vivre de votre travail. Non, ne nous remerciez pas : c’est avec un très grand plaisir !
Signé : Aprèsmoi Ledéluge
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