SONT-ILS CAPABLES D’AGIR ENSEMBLE ?, par François Leclerc

Billet invité.

Au sortir du Conseil européen de jeudi dernier, qui a été pour l’essentiel consacré au problème des réfugiés, et a tourné court, rien n’est dans la pratique résolu une fois fait la part des sempiternels effets d’annonce : ni l’accueil des demandeurs d’asile déjà arrivés en Europe, ni l’accord avec la Turquie destiné à endiguer leur exode.

Angela Merkel ne croyait pas si bien dire, à la mi-août, en déclarant que « la thématique de l’asile « pourrait être le prochain projet européen où nous verrions si nous sommes vraiment capables d’agir ensemble », après avoir prédit que « cette question de savoir comment nous agissons avec les migrants (…) va nous occuper bien, bien plus que la Grèce ou la stabilité de l’euro ».

Premier volet, l’accueil des demandeurs d’asile et la sélection de ceux qui y auront potentiellement droit parmi les réfugiés ne sont pas réglés. Le problème d’ensemble n’a pas été pris dans toute sa dimension, sauf par la chancelière qui s’est retrouvée isolée lors du dernier sommet. Remettre sur le tapis la question du déplafonnement du nombre des réfugiés bénéficiant du droit d’asile a eu pour effet de précipiter la fin de la réunion !

En attendant, où « relocaliser » – c’est-à-dire refouler – les recalés, en application de critères de sélection encore à préciser ? Les gouvernements grec et italien craignent d’être sollicités et d’en hériter, afin de procéder à leur hypothétique expulsion vers leur pays d’origine. Pour prendre la dimension du problème, 400.000 réfugiés sont déjà entrés en Grèce depuis le début de l’année et le quota européen est de 160.000 demandeurs d’asile. À noter un ballon d’essai lancé cette semaine via l’hebdomadaire allemand d’information financière Wirtschaftswoche : des mesures du programme du plan de sauvetage en cours pourraient être assouplies en contrepartie d’une implication grecque renforcée… Les deux crises se rejoignent.

La Route des Balkans est devenue la principale voie d’accès à l’Europe, mais elle pourrait être totalement coupée. C’est le sens de la décision que viennent de prendre les autorités hongroises, qui ont fermé et clôturé leur frontière avec la Croatie, après l’avoir fait auparavant avec la Serbie. La seule fragile voie d’accès avec l’Autriche et l’Allemagne est désormais la Slovénie, via la Croatie, dont le gouvernement s’est déclaré prêt à assurer le transit des réfugiés. Car, dans le cas contraire, la Serbie, la Croatie, la Macédoine et la Grèce se retrouveraient avec des dizaines de milliers de réfugiés sur les bras. La mise en place des hot spots destinés à sélectionner les candidats à l’asile dans les île grecques va en effet encore prendre des semaines et le flux de réfugiés ne faiblit pas. Cette opération de sélection qui a commencé rencontre d’ailleurs une difficulté imprévue : beaucoup de réfugiés refusent de demander l’asile en arrivant dans les îles, de peur d’être bloqués en Grèce, ce qui grippe le mécanisme d’enregistrement…

À propos du deuxième volet – le « plan d’actions » avec la Turquie » – les autorités du pays font comme prévu monter les enchères. La seule perspective de devoir supprimer l’obligation des visas pour les citoyens turcs, qui est déjà dans la balance, fait frémir les autorités européennes, mais l’on a rien sans rien ! Elles demandent que le sort des deux millions de réfugiés déjà installés en Turquie et laissés à eux-mêmes soit amélioré, afin qu’ils ne soient pas incités à rejoindre l’Europe. L’objectif est d’obtenir également que le gouvernement turc reprenne les réfugiés refoulés d’Europe et contienne ceux qui vont continuer à entrer en Turquie pour se rendre en Europe, et enfin que le contrôle de la frontière maritime avec la Grèce soit renforcée.

Au sortir de leur sommet, les dirigeants européens avaient fait part de leur « optimisme » à propos d’un accord avec les autorités turques – l’urgence absolue – mais le ministre des affaires étrangères, Feridun Sinirlioglu, les a vite refroidis en évoquant seulement « un projet sur lequel nous travaillons », dont le volet financier est par ailleurs « inacceptable ». Trois milliards d’euros seraient réclamés, pour la seule première année… La réouverture de vagues négociations à propos de l’adhésion de la Turquie, destinées à traîner en longueur, ne suffira pas comme os donné à ronger. En se rendant à Ankara, Angela Merkel va essayer de débloquer la situation, car l’implication de la Turquie est la seule carte à jouer de disponible pour contenir l’afflux des réfugiés.

Est-ce vraiment une surprise ? Les autorités européennes se refusent à prendre à bras le corps l’accueil des réfugiés d’une guerre qui est à leur porte, et à laquelle certaines contribuent. Une femme et trois enfants se sont noyés la nuit dernière en cherchant à rejoindre l’île de Kalymnos pour trouver refuge en Europe.

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