Le bancor, par Dominique Temple

Billet invité.

La monnaie de réciprocité peut-elle rééquilibrer les échanges entre balances commerciales excédentaires et déficitaires : oui, si elle est accompagnée d’une taxation progressive et symétrique des excédents et des déficits.

Keynes observe qu’en 1929 les États-Unis ont jugulé leur crise interne en rapatriant les emprunts consentis à l’Allemagne. L’Allemagne s’effondre et se voue à Hitler. La solution inverse aurait-elle conduit à des conclusions inverses : la paix au lieu de la guerre ? Ou bien on laisse au plus fort le droit d’imposer sa loi au plus faible (les États-Unis rapatrient leurs avoirs pour combattre chez eux les effets de la crise économique du système capitaliste, quitte à provoquer la récession dans les pays débiteurs), ou bien on substitue à cette concurrence aveugle un principe nouveau qui impose au plus fort de résoudre la crise économique sans la reporter sur le plus faible.

Keynes propose, en tant que représentant de l’Angleterre lors de la préparation des accords de Bretton Woods, la création d’une monnaie supranationale (le bancor) qui serve à rétablir l’équilibre entre les balances commerciales des nations. Elle sera émise par une chambre de compensation internationale qui aura le droit, chaque fois que les économies des nations connaîtront des déséquilibres graves, de réajuster la parité de leurs monnaies, en temps ordinaires fixe. La non-convertibilité du bancor en monnaie d’échange interdit à la partie dominante d’accumuler ses profits : elle doit réinvestir ses bancors dans les pays qui ont besoin de financements.

Cette proposition est contraire au principe de libre-échange ; elle est l’expression du principe énoncé par Aristote, et selon lequel le prix des transactions doit être fixé en fonction du besoin du plus démuni au nom de la valeur cardinale de la réciprocité. Keynes choisit la Paix comme valeur exemplaire, comme Aristote choisissait la Justice. La Paix est issue de la relativisation des forces jusqu’à ce que les conditions de la guerre soient neutralisées. Mais comme Aristote, Keynes part des conditions d’émergence de la valeur de référence qui permet aux hommes de se dire humains.

Deux options sont alors possibles : ou bien les pays qui s’accordent pour créer une monnaie de réciprocité (le bancor) agissent simultanément par bienveillance les uns vis-à-vis des autres, et tous deviennent responsables de la Paix ; ou bien ils ne s’accordent pas les uns les autres, et dès lors Keynes propose de taxer les bancors excédentaires des uns par un intérêt progressivement dissuasif, et de façon symétrique, de taxer les dettes en bancors des pays déficitaires. Ce mécanisme peut s’appeler réciprocité symétrique !

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