« Imprime-moi une maison. » Avenir ou illusion ?, par Stéphane Gaufrès

Billet invité.

D’après le Khaleej Times, « Son altesse Shaikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum, vice-président et premier ministre des Émirats arabes unis, et émir de Dubaï, a lancé officiellement le projet « Dubai 3D Printing Strategy », qui prévoit que 25% des bâtiments neufs à Dubaï seront imprimés en 3D, d’ici à 2030. »

Dubaï a demandé à la société chinoise Winsun de construire un prototype à usage de bureaux, imprimé en 3D tant pour la structure que pour la décoration intérieure et le mobilier. Winsun fait l’actualité de l’impression en 3D pour les bâtiments depuis 2014, avec la réalisation de bâtiments expérimentaux (petites maisons, immeuble, villa), mais les promesses de réduction des coûts et de viabilité commerciale du processus, mis en avant par l’entreprise, n’ont pas encore été tenues.

Le projet lancé à Dubaï s’inscrit dans la lignée des initiatives institutionnelles concernant l’impression 3D en général : America Makes (USA), Additive Roadmap Developpement Project (Afrique du Sud), Manufacturing Technology Centre (Royaume Uni), Printing Lab (Australie), Soutien aux FabLabs via FrenchTech en France etc… L’impression 3D semble avoir séduit les décideurs politiques parfois plus avant que les acteurs du marché, peut-être à cause de la fascination qu’elle exerce sur le grand public, et des beaux effets d’annonce qu’elle permet. Dans le secteur du bâtiment, cette technique n’est efficace pour l’instant que pour la fabrication d’éléments décoratifs à la demande, pour des opérations de standing élevé.

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La technique de Winsun, souvent présentée comme « l’impression de maisons en 3D » est en fait un processus de préfabrication en usine d’éléments qui seront ensuite transportés et montés sur site. La technologie du mur alvéolaire (image ci-dessus) produit des éléments plus légers à transporter, mais sans évolution notable par rapport à toutes les techniques du même type commercialisées depuis des décennies (pré-dalles, pré-murs) et dont on connaît sur le bout des doigts les avantages et les inconvénients selon le type de chantier, et notamment le type d’engin de levage disponible, la portée, les performance demandées, etc.

D’autres initiatives, plus ambitieuses mais encore moins opérationnelles, promettraient d’imprimer sur site l’intégralité du bâtiment. (Khoshnevis en Californie, MX3D aux Pays-Bas, Skanska en Suède, Neir Oxman au M.I.T., Université de Nantes en France…)

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Le bâtiment peut-il rejoindre la courbe exponentielle de « singularité » technologique observable dans les secteurs de haute technologie ?

Considérons l’évolution du gramophone à l’iPhone SE, sur cent ans, et celle de la maison à … la maison. Plaquer la croissance exponentielle des hautes technologies aux autres secteurs de production est un peu rapide, et ne tient pas compte du facteur énergie, qui est le facteur limitant d’utilisation de la machine dans les secteurs « lourds ». Un logement ne se miniaturise pas. Un vêtement, ou une portion de nourriture non plus. Tout ce qui est lié au corps humain ne peut changer d’échelle par le progrès technique, et la consommation en énergie pour sa production ne peut être améliorée que par fractions réduites.

Le secteur du bâtiment a déjà « raté » en grande partie la deuxième révolution industrielle, et même si beaucoup d’efforts ont été faits pour l’industrialiser, notamment dans les années 60/70, (par exemple par Jean Prouvé), les résultats n’ont jamais été à la hauteur des promesses, et ont été cantonnés à des portions de bâtiments réduites (salle de bains d’hôtels, ou parties de façades en ossature bois).

Il n’y a bien sûr pas « d’impossibilité technique » à ce qu’un robot construise une maison, mais le coût de production et de transport des matériaux est tellement élevé dans le prix final, qu’il conditionne lui-même le processus de mise en oeuvre.

De manière générale, on peut observer que le travail physique robotisé hors industrie est très en retard sur le travail intellectuel informatisé. Quel que soit le secteur, les seuls robots physiques rentables à ce jour sont ceux qui officient dans une chaîne industrielle, à un poste fixe et pour un travail relativement répétitif.

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Le projet SiSpis de Siemens (ci-dessus) présente une réelle avancée à ce sujet, en tentant de faire travailler des « araignées », imprimantes 3D sur pattes qui se coordonnent entre elles pour la réalisation d’un objet ou d’une structure, chacune imprimant un matériau spécifique. Les araignées modélisent en direct l’environnement qui les entoure, et développent des stratégies collaboratives entre elles. Il s’agit là d’un remplacement plus tangible de l’ouvrier, et qui semble promis à un meilleur avenir que les projets d’imprimantes « géantes » pour les bâtiments, qui sont de simplistes extrapolations des imprimantes à objets pour le monde de la construction. Mais une fois de plus, la question du quantitatif n’est pas traitée en amont : les araignées sont petites, construisent à l’aide de matériaux très chers, qui ne sont pas adaptés aux énormes quantités nécessaires pour ériger un bâtiment.

La même erreur est présente dans le projet de l’IRCCyN à l’université de Nantes, qui a mis au monde un robot capable d’imprimer en 3D un petit abri. L’équipe précise : « Il faut imaginer que, lors d’une catastrophe, le robot sera expédié par bateau en même temps que les containers de matière première et les moyens humains des secours. Sur place, à la demande, fonction de la taille souhaitée, en 20 à 30 mn, un habitat d’urgence pourra être réalisé et utilisé pendant plusieurs mois en attendant une reconstruction plus pérenne ». Il ne faudra pas oublier dans le container l’ingénieur de maintenance du robot (et ses outils), le groupe électrogène pour le faire fonctionner, et son essence, et le matériau de base qu’imprime la machine : du polyuréthane, habituellement utilisé comme isolant de haute performance, un des produits les plus chers utilisés dans le bâtiment. La tente a de beaux jours devant elle.

L’imprimante à maison qui serait rentable est celle qui utiliserait moins d’énergie, immobiliserait moins de capital, et se servirait de matériaux moins coûteux au mètre cube que les matériaux traditionnels. Dans les projets actuels d’imprimantes pour le bâtiment, ces paramètres ne sont jamais pris en compte qu’en note de bas de page, et c’est certainement ce qui cantonnera cette technique à des secteurs restreints du monde du bâtiment, contrairement à ce qu’assurent ses promoteurs.

Les contradictions que fait apparaître l’usage de l’ultra-progressisme technophile dans le secteur de la construction, reflètent la limite que les apôtres de la singularité technologique ne veulent pas voir : celle de la mesure de l’homme, et sa traduction chiffrée en termes de quantité d’énergie. Aucun homme n’a jamais été remplacé par une machine, mais par l’énergie consommée et restituée « intelligemment » par une machine. Et personne n’en a fait le bilan en terme d’efficacité purement énergétique et environnementale.

Il n’est pas sûr que la Matrice, finalement, ne choisisse pour accomplir son dessein des « robots »… humains ! Qui peuvent quand même convaincre les programmes-décideurs de leur validité dans le nouveau système, grâce à leur millénaire expérience de l’asservissement au service d’un pouvoir parfois encore plus abstrait qu’un logiciel…

BambooÉchafaudage en bambou d’une tour à Hong-Kong.

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