Que sera le revenu universel d’assurance du citoyen ?, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Que sera le revenu universel d’assurance du citoyen ?

Il y a une manière non idéologique et non spéculative de voir le revenu universel qui remplacerait l’actuel ensemble disparate de prestations sociales. Certes, la finalité peut bien être « d’acheter » la paix sociale mais le résultat concret est l’engagement explicite d’un processus de remise à plat économique de la fonction sociale de l’État. L’État ne serait plus posé comme une divinité providentielle qui saupoudre des subsides tombés d’on ne sait où mais comme une entreprise publique objective d’assurance et de consolidation de la solidarité nationale entre les citoyens.

Poser le problème de la « sécurité sociale » sous l’angle du revenu universel minimum d’existence économique, juridique et politique de chaque individu induit une réintégration réciproque de la macro-économie politique par la micro-économie politique. L’économie devient politique à l’échelle de l’individu et la politique devient économique à l’échelle de l’État, et plus seulement à celle des « entreprises » qui par définition ne seraient que privées. L’État redevient providentiel mais plus comme une divinité constitutionnelle ou idéologique : comme une entreprise publique commune de financement de l’existence de chaque citoyen.

Mais il y a beaucoup plus. La fonction sociale de l’État a été, par le mirage de la libéralisation globale du monde, déconnectée de l’organisation sociale et politique du marché du travail. Après la deuxième guerre mondiale, l’Europe a réémergé de ses cendres par des systèmes de droits sociaux généraux et étendus financés par des emprunts illimités en dollar démultipliés par la dévaluation des monnaies européennes. Les droits sociaux ont été opportunément posés par rapport au travail et aux entreprises. Les entreprises ont été redressées et relancées par des commandes massives de reconstruction et d’investissement dans les infrastructures et les services publics.

Par la force des choses et non de la politique, les entreprises publiques et privées ont dans un premier temps employé toute l’offre de travail disponible mais sans se préoccuper des conditions humaines, financières, économiques et technologiques de la croissance durable. Jusque dans les années 80, les performances variables des économies nationales ont été sanctionnées par les dévaluations ou les réévaluations des parités nationales par rapport au dollar ; et par la croissance internationale subreptice illimitée de la masse monétaire en dollar. L’économie libérale s’est financée depuis la deuxième guerre mondiale par l’endettement illimité en dollar. Quand la dette mondiale en dollar est devenue manifestement disproportionnée à la production réelle mondiale, les « eurodollars » ont pris le relai puis l’euro.

La crise interbancaire mondialisée des subprimes a manifesté la déconnexion radicale insurmontable de la finance monétariste libérale avec l’économie réelle des besoins et de l’environnement humains durables. Les parités monétaires totalement bancarisées et privatisées ne reflètent plus du tout les différences réelles de performance économique entre les marchés. Lesquels marchés sont dans les faits nationalement distincts. Mais plus grave et absolument inédit, le capital libéralement coté des entreprises ne mesure plus du tout l’évolution réelle de la productivité du travail en valeur ajoutée, laquelle n’est plus légalement reconnaissable et mesurable par les sociétés politiques.

Le non-système libéral de la monnaie et de la finance, de fait totalement privés, est institué par la suppression des frontières formelles entre les zones monétaires qui irriguent les marchés nationaux. Les États, c’est à dire les lois nationales qui régulent les marchés de l’épargne, du crédit et du travail, n’ont plus aucune prise sur la circulation du capital dans le marché financier privé unifié au-dessus des États. Le crédit bancaire ne finance plus que les biens physiques de consommation artificiellement rentables parce qu’ils sont exportés dans des monnaies sous-évaluées et importés dans des monnaies surévaluées. Les parités de change sont déterminées dans les tréfonds des systèmes de paiement privés dans l’unique but de maximiser le bonus des mercenaires de la finance.

Les systèmes publics d’assurance des droits sociaux ne sont plus finançables du fait du secret bancaire sur des flux internationaux de capitaux totalement privatisés. Le rendement de la TVA s’effondre à cause des paiements délocalisés des importations et la fiscalité du capital disparaît à cause de l’opacité financière structurelle. Les bases fiscales de financement des États fondent comme la calotte glacière artique dans les comptabilités bancaires hors sol. Donc les investissements et les dépenses publics de formation d’une offre de travail adaptée à la demande hyper-sophistiquée et hyper-technique des entreprises ne sont plus financés. L’économie mondiale est entrée dans la décroissance par manque de main d’oeuvre capable de maîtriser la complexité et la diversité des processus de valeur.

Les héros de la finance, les dieux de la politique et les génies de l’informatique sont parfaitement dépassés par la complexité du monde libéral. Il n’y a plus ni frontières, ni limites formelles, ni normes pratiques vraiment communes pour découper la réalité en problèmes solubles. L’anarchie n’est réductible que par la guerre de tous contre tous. La seule solution financière à la pénurie de techniciens de la guerre économique généralisée est la servitude du consommateur à crédit, puis le chômage de masse et enfin l’élimination des inaptes par le « burn out », le terrorisme ou la répression « politique ». A moins que des regroupements de miséreux en colère ne parviennent à mettre quelques têtes élitaires au bout de leurs piques.

Face à la mécanique libérale de dépolitisation de l’économie, le revenu universel d’existence introduit une nouvelle finance possible des droits politiques du citoyen qui est une personne humaine avant de produire et consommer quoique ce soit. Avec un minimum d’honnêteté intellectuelle, il n’est pas difficile de relever que le revenu universel ne peut pas être financé si son bénéficiaire n’a aucune perspective de participer d’une manière ou d’une autre à la production des biens et services essentiels à son existence. D’où il ressort que la question du revenu universel est peut-être politique, juridique et comptable mais radicalement économique, financière et monétaire.

Pour que le système économique puisse effectivement financer un revenu universel si petit soit-il, il est impératif de représenter l’intérêt général sur le marché mondial du capital. Tout simplement parce qu’aucune entreprise privée n’a de raison économique de détourner la moindre fraction de sa valeur ajoutée au bénéfice d’individus qui ne participent pas directement à sa production. Il n’y a bien que la personne morale publique de l’État multinational, national, provincial ou communal qui puisse adresser au marché une demande de réalisation de droits au nom de celui qui n’est pas actuellement productif pour une quelconque bonne raison humaine de jeunesse, de maladie, d’incompétence provisoire ou de vieillesse.

Une fois rétablie l’existence économique de l’intérêt général dans les processus de marché, le seul statut financier qui convienne à la mission d’une personne morale publique est celui d’assureur. La société d’assurance est le seul acteur financier dont la fonction soit de transformer des revenus réels garantis sous des prix, par des contrats, des lois et des calculs économiques de primes d’assurance. La personne morale publique étatique est par essence une coopérative financière mutuelle dont l’ensemble des primes prélevées par la loi fiscale commune sur ses coopérateurs, égale par définition le total des dépenses communes de prévention, de réparation, d’indemnisation réelle et de versements monétaires compensatoires.

Par nature, un impôt est la prime d’assurance proportionnelle à tout capital, qu’une loi politique attribue à chaque citoyen contribuable selon la participation qu’elle lui reconnaît à la production effective de valeur ajoutée mesurée par la communauté. L’impôt est à proprement parler une prime d’assurance publique partiale du salaire qu’une société politique reconnaît devoir verser contre le travail effectif du salarié à sa production mise en vente sur le marché. La TVA, l’impôt sur le revenu des personnes privées et les taxes directes ou indirectes sur le capital sont concrètement des taxations du salaire instantané ou capitalisé selon le prix accordé au travail de son titulaire par les lois politiques du marché.

Pour comptabiliser concrètement une dette sociale d’assurance étatique d’un revenu minimal d’existence, il faut nécessairement dépasser la niaiserie libérale consistant à confondre la réalité servie avec le droit nominal, le prix comptabilisé par le marché avec le prix de l’actif financier véritable, le prix de vente avec le prix de revient, le bénéfice capitalisable avec la rémunération des actionnaires juridiques qui ne sont pas réels. Mettre à plat le revenu universel avec son financement débouche nécessairement sur la délimitation de la nécessité, du droit et de la productivité du travail effectivement vendu et livré.

La monnaie qui rend le prix du travail effectif, exigible, liquide et certain n’est certainement pas émise par la Réserve Fédérale des Etats-Unis, la BCE, la Banque d’Angleterre ou la Banque Nationale de Suisse. Elle n’est pas non plus émise par des banques ou des assureurs privés qui n’ont pour actionnaires que des rentiers dont nul ne sait s’ils travaillent ou ont travaillé réellement ou non. La monnaie qui mesure effectivement le prix livré du travail passé, présent et futur est émise par les nations démocratiques qui définissent les prix justes par la loi, la morale et le travail. Des prix réels en lieu et place d’un rapport de force rhétorique simulé par des chiffres qui ne sont même pas des nombres significatifs d’une réalité véritablement humanisante et humanisée.

Le revenu universel d’existence ne peut rationnellement être versé à quiconque qui ne soit citoyen, donc à des personnes physiques participantes effectives de la personne morale de nations organisées en États de droits par l’égalité morale des personnes. Il est absolument manifeste que les non-citoyens allemands, ou espagnols, ou luxembourgeois ou français de la zone euro ont perdu leur dignité de personne et de citoyen en consommant à vil prix en euro surévalué les productions d’esclaves chinois, bangladais, burkinabés, turques, saxons, andalous ou bretons.

Le revenu universel que pourraient instituer en France les nouveaux élus de 2017 est par essence le prix réel concret restauré de la citoyenneté. Il ne peut pas être financé ni versé si le prix des biens et services n’est pas objectivement complet par la rémunération de tous les facteurs de la valeur. Facteurs que sont le travail mesurable en capital effectivement investi dans la réalité, et le crédit mesurable en droits effectivement servis selon la loi politique de l’égalité des citoyens par le marché réel. Le marché n’est ni réel ni financièrement efficient, si le capital et les revenus, du risque, du crédit et du travail de transformation du capital ne sont pas exhaustivement inventoriés et taxés par des budgets nationaux communs par un même étalonnage des droits du travail passé, présent et futur.

Autrement dit, ce n’est pas de la monnaie, du crédit ou de l’épargne virtuels qui doivent être déposés dans les banques contre paiements, mais bien du travail réellement effectué dans le passé et réellement investi dans le futur. Un salaire n’est pas seulement un nombre au bas d’une fiche de paie mais la rémunération d’un contrat de travail d’un citoyen actionnaire d’entreprises où il a déposé la liquidité passive de son épargne ou alors la liquidité active de la valeur ajoutée future. Valeur ajoutée qu’il a vendue dans un ensemble de tâches et d’objectifs d’un certain travail à une communauté entreprenante constituée, et capitalement responsable.

Le capital d’une entreprise réelle n’a jamais été le prix d’une liquidité sans origine ni matérielle, ni formelle, ni finale, déversée par virement anonyme dans un paradis financier hors sol sans nom ni régulateur du crédit. Le capital réel est une affectation personnelle sociétale délibérée d’un travail d’intelligence de la demande humaine politique, sociale, physique et vitale ; demande adressée à un travail d’offre de biens effectivement transformés en services humanisés par une loi commune. Un vrai prix est nécessairement public et collectif, donc comptabilisé en monnaie émise par la personne morale d’un État solidaire devant d’autres Etats.

Un vrai État n’est pas une fiction juridique gouvernée par des beaux parleurs professionnels mais l’entreprise politique d’une commune identifiable de citoyens collectivement et solidairement responsables par leur travail de la réalité économique légale de la valeur ajoutée livrable contre paiement en monnaie. Le revenu universel d’assurance de l’existence ne pourra pas être mis en œuvre à moins d’une interdiction réelle, opposable à la BCE par un Etat confédéral de l’euro, d’émission de la liquidité au profit d’entreprises qui ne soient pas explicitement adossées à de véritables communautés de travail. Une entreprise n’existe pas sans une communauté de travailleurs solidaires par un même capital de compétences, de savoirs, de transformations et de services.

La nationalisation de l’euro dans une confédération visera la titrisation des normes communes de droit humain au nom de chaque État membre responsable de son interprétation et de sa transformation par une société politique de marché. Toute société politique de quelconque échelle doit être érigée en personne morale d’État, c’est à dire étymologiquement en commune, propriétaire exclusive de son marché par une subdivision locale de l’euro. Tout transfert de liquidité d’un État à l’autre, limitrophe, subordonné ou consolidant, entraine une taxation financière à la source au profit du marché importateur pour garantir la dette vis-à-vis de l’État exportateur. Et au profit du marché exportateur pour provisionner les fonds d’assurances sociales domestiques du citoyen travailleur.

De la ré-étatisation de l’euro, c’est à dire de la déprivatisation de l’émission monétaire contre titres de propriété, il résultera que les banques ne sont plus des usines comptables spéculatives mais des agences juridiques d’adossement des crédits à des contrats de travail nominatifs et à des chaines de valeur déposées, c’est à dire communisées dans des sociétés identifiées et responsables. La transformation de la valeur n’est pas réellement appréciable sans la vérification publique juridique par les banquiers-magistrats des droits, des devoirs, des compétences et des tâches effectifs de travail des personnes physiques.

La subordination des systèmes de paiement non seulement à la livraison vérifiable des biens et services, mais à la réalisation effective de tous les droits du travail investis contre un flux monétaire de liquidité, est la condition pratique sine qua non du revenu universel d’existence des personnes physiques. La raison juridique en est triviale. Il n’y a jamais eu de monnaie réelle hors de l’effectuation des droits personnels qui justifient la comptabilisation d’une dette. Il n’y a jamais eu d’État de droit solvable sans une personne morale souveraine investie par des citoyens vertueux capables d’en contrôler les dépenses et les actes par leurs représentants financièrement responsables.

La perspective d’un revenu minimal garanti du citoyen signale le début de la révolution contre-libérale amorcée contre toute attente par la faillite bancaire et politique des subprimes. Les États ont été désintégrés dans le pillage illimité des ressources fiscales publiques par les oligarchies hors sol. La libre circulation d’un capital anonyme totalement déconnecté des droits et devoirs de la personne a stérilisé les appareils de production. Le capital d’assurance des créances du travail sur la production a été dilapidé par des faux présidents, des faux ministres, des faux banquiers, des faux entrepreneurs, des faux syndicats et des faux députés rémunérés par l’argent des fausses sociétés nommées dans les ordinateurs bancaires.

L’inscription des vrais savoirs, des vraies connaissances, des vraies transactions dans de vrais dépôts bancaires compensables exclusivement dans un marché public européen de la liquidité va en fait susciter un vrai marché du travail. Un marché où le travail d’un véritable entrepreneur est d’identifier la demande des personnes ; d’inventer les produits qui y répondent ; d’organiser physiquement la production ; et de garantir le bon prix de vente qui rémunère effectivement tous les droits investis par les personnes physiques moyennant les personnes morales à l’intérieur des sociétés d’État souverain. Un marché du travail où le salaire n’est pas le droit zombi de consommer le travail d’esclaves mais la rémunération de services démocratiques rendus par les citoyens solvables à leurs concitoyens responsables.

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