« Le côté sombre de la blockchain »
Vlad Zamfir aide le réseau Ethereum à créer un monde où n’importe quel programme peut utiliser une technologie inspirée par le Bitcoin. Et ça le préoccupe un max.
En 2009, Satoshi Nakamoto – quel qu’il ou elle soit – a utilisé une nouvelle invention, appelée la blockchain, pour assurer la maintenance d’une monnaie et d’un logiciel de paiement sur un réseau global décentralisé d’ordinateurs. Il en résulta Bitcoin, une monnaie numérique à l’extension irrépressible. Nous savons désormais qu’une blockchain, dans sa forme générale, peut aussi être utilisée pour faire tourner n’importe quelle autre sorte de logiciel imaginable. Une fois déployés sur une blockchain, les programmes tournent automatiquement, ils sont accessibles à quiconque dispose d’une connexion internet, et ils sont pour ainsi dire imperméables aux contrôles gouvernementaux. Autrement dit, ils sont essentiellement autonomes. Si le mot skynet commençait à se former dans votre cerveau, c’est que vous commencez à saisir le tableau.
Ethereum est un des projets apportant cette technologie aux masses. Il propose une plateforme orientée utilisateur pour déployer tout software sur un réseau blockchain. Vlad Zamfor a œuvré au raffinement des protocoles qui assureront que le réseau Ethereum peut être étendu. La plupart des gens développant ce genre de système sont grisés au-delà du descriptible par le potentiel de rupture de la technologie blockchain : Ils vendent les outils de media sociaux résistants à la censure, les applications de microcrédits automatisées, et la vérification d’identité indépendante du gouvernement, pour citer seulement quelques exemples. Mais, dans ses moments de plus grand doute, Zamfir trouve que la perte résultante du contrôle sociétal a des aspects terrifiants. Il s’est entretenu avec IEEESpectrum sur le potentiel sombre des blockchains publiques, ce qu’il convient de faire afin que la technologie reste un moteur pour le bien social, et pourquoi il pense que les bénéfices dominent les risques.
Morgen E. Pick.
IEEESpectrum : Le but, à ce que je vois, est de faire quelque chose sur quoi il soit aisé de construire. Bien sûr, cela met beaucoup de puissance dans les mains de gens avec autant des bonnes que des mauvaises intentions. Quels genres de mauvaises choses pensez-vous qu’on risque de voir ?
Vlad Zamfir : Parmi les choses qui me viennent immédiatement à l’esprit, il y a les discours de haine, les diffamations, et des choses que nous gérons au travers d’une censure. Il y a aussi une grosse question de vie privée avec les blockchains. Ce n’est pas que vous ne pourriez pas les utiliser anonymement. C’est que quelqu’un pourrait l’utiliser pour faire une application qui est spécialement conçue pour violer votre vie privée, pour faire des brèches dans les bases de données d’information privée.
Avec du logiciel autonome, il sera beaucoup plus dur pour la société de réguler et arrêter ce genre de choses. Dans le monde d’aujourd’hui, il me serait assez difficile d’abriter un serveur qui stocke des tas de données personnelles de gens et les ressort illégalement. Ce serait un défi, pas évident, non ? Tandis que dans le monde que nous essayons de construire, ce ne serait pas du tout un défi. J’ai la donnée une unique fois, je la publie une seule fois. Et puis je pars. Et le serveur la ressortira désormais sur son réseau pour toujours.
Ça me préoccupe beaucoup. Je pense que censurer les discours haineux est véritablement une bonne chose. Je pense qu’empêcher des libelles diffamants de devenir publiables est une bonne chose. Je pense qu’il y a une raison pour que la société demande aux gens de ne pas le faire.
Une très grosse part de tout cela, en ce moment, est toujours un peu de la science-fiction parce que nous n’avons toujours pas de mécanisme d’extension d’échelle du blockchain. Nous n’avons toujours pas de vie privée sur la blockchain. Mais nous travaillons là-dessus très fort.
Plus je fais des progrès sur les blockchains, plus je suis moi-même effrayé.
Spectrum : Et que dire pour les gens animés de bonnes intentions ? Ne devons-nous nous méfier que des mauvais acteurs, ou aussi du potentiel en conséquences négatives non souhaitées ?
V.Z. En ce moment, ce qui est vraiment terrifiant, c’est la façon que pourraient avoir les décideurs politiques d’utiliser cette technologie. Cela pourrait poser de gros gros risques.
Imaginez, si un gouvernement quelque part décidait, qu’à partir de maintenant, c’est le nouveau réseau qui forme le système de propriété foncière et de sa transmission.
Cela serait une chose très dangereuse à faire, parce que vous avez spécifié le système de titres fonciers dans un algorithme qui n’a aucune aptitude pour répondre aux injonctions de la cour hors de ce qui est spécifié dans l’algorithme.
Comme outil politique, la blockchain fournit quelque chose qui est très fiable, et s’exécutera exactement comme on l’aura configuré. Mais elle est aussi potentiellement autonome, ce qui veut dire qu’elle peut survivre à votre gouvernement. Et cela veut aussi dire qu’il y aura des gens coincés par ça, dans votre population.
Chaque semaine maintenant, vous entendez un régulateur de premier plan vanter comment la blockchain pourrait être le futur de la technologie qu’ils utilisent. Et ça file un peu la frousse.
Spectrum : il y a-t-il d’autres développeurs dans votre communauté qui partagent votre souci ?
V.Z. : Généralement, les gens ne se sentent pas responsables. Il y a beaucoup de ressentiment sur la production, sur le fait que nous ne produisons que des outils génériques, et le fait que ce n’est pas à nous de savoir ce que les gens font avec. C’est une justification avec laquelle les gens, en pratique, acceptent le résultat. Mais je doute que ce soit une position qui tienne la route en termes d’éthique.
Spectrum : Vous avez dit dans le passé que Ethereum est conçu pour être dur à contrôler et qu’il n’y a pas grand-chose qu’on puisse faire sur le niveau de protocole pour s’assurer que les gens ne l’utilisent que pour construire des choses positives. Alors que voulez vous que les gens fassent ?
V.Z. : Voyez-vous, rien que d’avoir ces échanges, ça améliore la capacité des gens à faire attention au fait que quelques-unes de ces applications pourraient s’avérer ne pas être éthique. Rien que le fait que les développeurs comprennent que leurs choix sont … ne sont pas juste des choix neutres, je pense que cela fera une énorme différence.
Spectrum : Etant donné que vous entrevoyez autant de retombées négatives, comment justifiez-vous le travail que vous faites [à Ethereum] ?
V.Z. : Il faut un plus par rapport à l’argument de base « hé ho, faisons du blé, hé ho, c’est vraiment intéressant, hé ho, voici un cas de bonne utilisation ». Je pense que si vous vous mêlez d’apporter du soft autonome au monde, il vous faut avoir une sacrément bonne justification. Vous devez dire pourquoi, véritablement, et si nous n’avons pas de justification, nous allons tout droit vers de mauvaises retombées.
Spectrum : OK, alors en quoi est-ce nécessaire ? A quoi ressemble le monde si nous continuons comme avant sans cette sorte de technologie ?
V.Z. Je pense qu’à la base, il y a une quantité phénoménale de failles et de malveillance sur les plateformes légales et soumises à la règlementation. Et étant donné la nature globale des problèmes auxquels nous faisons face, nous avons besoin d’une sorte de plateforme que nous pouvons utiliser sur une base globale pour nous coordonner.
La raison pour laquelle [la gouvernance traditionnelle] n’a pas pu produire un fonctionnement meilleur que ce que nous avons est que les gens finissent par jouer des systèmes pour leur avantage propre. Et cela pourrait être différent [avec notre technologie] parce que c’est un outil… qu’explicitement, par nature, on ne peut pas contrôler. C’est un outil que nous mettons hors de notre juridiction de sorte qu’il nous gouverne [sans le risque d’abus mentionné ci-dessus]. C’est une nouvelle sorte de noyau dur que nous n’avons jamais fait auparavant. La société n’a jamais créé quelque chose qui n’est pas humain pour gouverner la société.
@Pascal 127 milliards pour 60 millions ça fait 2000 par tête de pipe de quoi se payer une bonne bicyclette…