LES BANQUES EUROPÉENNES VUES DES ÉTATS-UNIS, par François Leclerc

Billet invité.

Les banques européennes font à nouveau parler d’elles, et ce n’est pas fini. Le pansement apposé in extremis sur la banque Monte dei Paschi di Siena (MPS) ne clôt pas le sujet, il l’ouvre. Les banques laissées hors du périmètre adopté pour le test de résistance mené par l’Autorité des banques européenne (ABE) sont dans un piteux état, en particulier les établissements chypriotes, grecs et portugais, ainsi que certaines banques régionales allemandes. Mais ce n’est rien à côté de ce que l’on pressent.

Tout le système bancaire italien est atteint : ses besoins en recapitalisation dépassent de loin les montants qui ont été mobilisés pour sauver MPS. Pour y parvenir, des bras auraient été tordus. Du temps a été tout au plus gagné. Ne pouvant compter sur la réplication de ce schéma, Unicredit en a tiré les leçons et s’est engagée dans la vente de ses principaux actifs, afin de se recapitaliser. Mais ce n’est pas tout.

Les tests de l’ABE ont certes mis en évidence les mauvaises performances d’autres banques, notamment de l’Allied Irish Bank et de la Raiffeisen en Autriche, mais il y a plus préoccupant. En collaboration avec la Stern School of Business, l’école de commerce de l’Université de New York et l’Université de Lausanne, l’institut allemand de recherches économiques ZEW a appliqué aux 51 banques dont l’ABE avait testé la résistance, les critères utilisés par la Fed pour les banques américaines. Il en ressort que « les banques européennes ne disposent pas des fonds suffisants pour compenser les pertes attendues en cas de nouvelle crise financière ».

Ensemble, celles-ci afficheraient un déficit de fonds propres de 123 milliards d’euros. Viennent en tête la Deutsche Bank (19 milliards d’euros), la Société Générale (13 milliards) et BNP Paribas (10 milliards). Certes, ces deux dernières banques ont des capitalisations boursières supérieures à ces montants, mais ce n’est pas le cas pour la Deutsche Bank. Se référant au caractère « officiel » du test de l’ABE, comme s’il mettait fin à toute discussion, la Deutsche a immédiatement nié un tel besoin aigu de capitaux. Qui la contredira, car son sauvetage est hors de portée et son effondrement impensable en raison de ses conséquences ?

Il est toutefois troublant de constater que l’application d’une méthodologie validée par la Fed – qui s’est acheté une conduite après avoir beaucoup péché – puisse donner de tels résultats discordants. Les études américaines prennent en compte une hypothèse de valorisation des actifs sur le marché tandis que les européennes privilégient leur valeur au bilan. Les uns mesurent l’effet de levier exprimant le rapport entre les fonds propres et la taille du bilan, les autres la valeur pondérée par le risque des actifs bancaires. L’optique américaine élimine les présentations avantageuses.

Appliqués aux banques européennes, les critères américains mettent en évidence des besoins de recapitalisation importants et soulignent la faiblesse de toujours du système bancaire européen : sa sous-capitalisation. Stephen G. Cecchetti, ancien conseiller de la Banque des règlements internationaux, et Kermit Schoenholtz, professeur à l’Université de New York, font le point à ce sujet.

La publication de ces analyses reflète la bagarre qui s’est engagée à propos des nouvelles contraintes que le Comité de Bâle voudrait faire adopter. Elles n’impliquent pas uniquement un nouveau renforcement des fonds propres, mais également les règles présidant à la classification des actifs bancaires entre trading book et banking book, ainsi que l’utilisation des modèles fait maison des banques pour le calcul de leurs actifs pondéré du risque. On touche au vif du sujet  !

Une étude avait été menée en novembre 2015 par trois cadres du FMI. Ils avaient montré le poids des prêts non performants dans les bilans bancaires européens, et suggéré des mesures. En premier lieu de durcir la supervision des banques, puis d’homogénéiser les réglementations sur les faillites en procédant à des réformes structurelles ad hoc, enfin de développer un marché des actifs en détresse. Rien n’a été fait, au profit du bon vieux déni.

Le Centre de recherches économiques et politiques (CEPR) de Washington s’est depuis penché sur le même sujet des prêts non performants, et il y a vu la conséquence directe de l’absence de croissance économique, voire de la récession dans le cas de l’Italie où des centaines de petites et moyennes entreprises se sont effondrées, incapables de rembourser leurs emprunts. Ce qui est à mettre en relation étroite avec la politique de restriction budgétaire qui reste la norme. Somme toute, une partie significative des problèmes qui pèsent sur les banques européennes est à attribuer à un choix dogmatique de nature politique. Là, ce n’est plus du simple déni mais de l’irresponsabilité caractérisée ! Car la taille du bilan des mégabanques européennes rend impossible toute opération vérité.

Voilà ce que l’ABE et la BCE ne reconnaîtront jamais.

 

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