LES COCHONS DE PAYEURS SONT TOUJOURS DE CORVÉE, par François Leclerc

Billet invité.

Les récents sauvetages des banques italiennes vont faire supporter par les contribuables 24 milliards d’euros d’aide, selon un décompte du Wall Street Journal. Quelles que soient les contorsions dont font preuve les autorités dans la justification de leurs choix, le moins que l’on puisse dire est que leur image n’en sort pas une fois de plus renforcée, l’Union bancaire dont ils se sont prévalus comme d’une grande réussite ayant comme principale mission de les protéger.

Au profit de recapitalisations par précaution ou de liquidations, les modalités de résolution de l’Union bancaire n’ont pas été appliquées en Italie, avec le blanc-seing de la BCE et de la Commission. En Espagne, à contrario, le sauvetage de Banco Popular est présenté comme un exemple, mais il faut toujours regarder dans les petits coins sombres en cette matière. Il a par exemple été calculé que la fusion de Bankia et de Banco Mare Nostrum (BMN), qui est intervenue auparavant, allait avoir comme incidence 1,7 milliards d’euros de pertes pour le fonds de restructuration des banques espagnoles (FROB) financé par l’État, au titre seul de 2016.

Consciente du mauvais effet des sauvetages italiens, pour lesquels 17 milliards de fonds publics ont été mobilisés sous une forme ou sous une autre, la Commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager a répliqué : « je ne vois pas d’impact sur l’Union bancaire en tant que telle. Nous sommes tous dans un processus d’apprentissage des nuances et comment ces règles fonctionnent ». Puis elle a tenté une pauvre défense en faisant valoir que chaque pays de l’Union européenne avait dans le domaine bancaire « une histoire, des structures et un niveau de concentration différents » et que la réglementation de l’Union bancaire n’avait pas réponse à tout, car « nous sommes tous dans un processus d’apprentissage des nuances et de comment ces règles fonctionnent ». Pour un peu, elle lancerait que les exceptions confirment les règles…

Danièle Nouy, qui préside le Single Supervisory Mechanism (SMS) abrité par la BCE, s’est prévalue du test formellement réussi de Banco Popular, mais son adjointe Sabine Lautenschläger a fait valoir que l’Union bancaire « était un projet à long terme », et que « il fallait reconnaître qu’il restait à faire ». Entretemps, la Commission a donné son feu vert à la restructuration de la banque Monte dei Paschi di Siena, et autorisé définitivement une aide publique d’un montant de 5,4 milliards d’euros…

La pléiade des autorités placées au chevet du système bancaire européen a encore beaucoup de pain sur la planche. Dans le cas de l’Italie, le sort de 40 milliards de prêts non performants (NPL) a été réglé, mais cela laisse encore en suspens celui de 320 milliards d’euros de titres classés dans cette même catégorie. Et dans d’autres pays, comme la Grèce et le Portugal, les banques contribuent à cette montagne d’actifs toxiques que nul ne sait comment traiter.

Les miettes sont trop grosses pour être glissées sous le tapis, ouvrant un concours aux solutions. Andrea Enria, le président de l’Autorité bancaire européenne (EBA), préconise la création d’une bad bank européenne dont le fonctionnement éluderait toute mutualisation des pertes. Mais si Klaus Regling du MES l’a suivi, ce n’a pas été le cas de Wolfgang Schäuble qui n’en a pas voulu, au prétexte que rien ne doit soulager l’effort produit pas chaque pays pour soulager sa peine.

Le Portugal étant l’un des pays dont le système bancaire est particulièrement affecté par les NPL, il n’est pas surprenant que le Portugais Vitor Constâncio, le vice-président de la BCE, soutienne la création d’une bad bank, cette fois-ci nationale. Mais le mécanisme de la bad bank rencontre une grosse difficulté en raison de la dissymétrie de l’information sur le marché des NPL : le vendeur a plus d’éléments d’information sur la qualité des titres que l’acheteur. Et cela fait obstacle à leur vente, les titres restant finalement sur les bras de la bad bank aux frais de ses actionnaires et garants, où l’État n’est pas le moindre des partenaires quand il n’est pas l’unique.

Au jeu de comment s’en débarrasser, la titrisation figure inévitablement. Mais les investisseurs sont échaudés et les efforts destinés à les rassurer en projetant de créer un label de certification de leur qualité n’ont pas jusqu’à maintenant produit de résultats tangibles : le marché de la titrisation souffre de la même asymétrie de l’information.

Une dernière proposition hétérodoxe a pour auteur Yves Mersch, un membre de la Commission exécutive de la BCE, qui vient tout juste de la défendre. Elle repose sur l’acceptation comme collatéral par celle-ci de titres ABS (Asset-Backed Securities) fournis par les banques. Ces titres résulteraient de la titrisation des NPL, une fois créé un registre procurant toutes les informations nécessaires sur leurs sous-jacents afin de supprimer cette asymétrie paralysante. Pour aller droit au but, avec Yves Mersch ce serait à la BCE d’endosser les pertes.

On croit comprendre, toutes solutions inopérantes confondues, que ces pertes ne peuvent être assumées que par les États ou la BCE, dont ceux-ci sont les actionnaires via les banques centrales nationales (BCN). Jamais par le système financier lui-même. Une belle asymétrie de traitement.

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