LE TEMPS, CET ALLIÉ SI PRÉCIEUX ET TANT RECHERCHÉ, par François Leclerc

Billet invité.

Les réactions allemandes au pré-accord conclu entre le SPD, la CDU et la CSU ne laissent aucun doute : rien n’est encore joué. Le pays a besoin d’un changement que ses dirigeants politiques ne parviennent pas à instaurer, et il n’est pas le seul. Même le recours à la formule éprouvée de la Grande coalition est loin d’être garantie.

Devenu clé de sa formation, le SPD est tiraillé entre ceux qui voudraient voir levées les dernières barrières faisant obstacle à l’approfondissement de la politique entamée par Gerard Schröder, et ceux qui parmi ses membres réclament exactement le contraire. Pour ne pas parler des dirigeants ministrables qui jouent perso.

Les réactions enregistrées dans la Ruhr et en Rhénanie-du Nord-Westphalie – qui représentent plus d’un quart des délégués au prochain congrès – ne laissent sur ce point guère d’équivoque, un tournant à gauche est réclamé par la base socialiste-démocrate pour prendre ses distances du marais centriste d’Angela Merkel. La Frankfurter Allgemeine Zeitung fait état d’une majorité massive opposée à la coalition parmi les membres actifs et les délégués du SPD. Deux fédérations locales du SPD, celle de Saxe-Anhalt et celle de Berlin, ont déjà exprimé leur hostilité à l’accord. Les jeunes du SPD, les « Jusos » (jeunesses socialistes), sont aussi opposés à une nouvelle coalition et Kevin Kühnert, leur chef, fait campagne à travers le pays.

Dans ces conditions, sur quelle corde les partisans de l’accord vont-ils pouvoir jouer pour l’emporter ? La peur du pire ! Dans le cas de nouvelles élections, un sondage de l’Insa crédite le SPD de 18,5% des votes, en baisse de 2% par rapport à celles qui viennent de se tenir. Le parti en sortirait encore plus fragilisé et serait encore moins en mesure d’assurer la protection des intérêts de ses adhérents qui la réclament. Pour faire bonne mesure et afin d’emporter l’adhésion des indécis, circule l’idée d’un accord de gouvernement de deux ans impliquant une renégociation à mi-mandat.

A ce stade des négociations et dans l’attente de la décision du Congrès extraordinaire du SPD, il est fait état d’un climat consensuel à propos de la réforme de la zone euro et de la réponse à apporter aux propositions d’Emmanuel Macron. Celui-ci a pris les devants en les découpant en tranches afin de repousser les plus délicates à la fin.

Mais l’achèvement de l’Union bancaire figure dans la première de celles-ci, qui implique la constitution d’un fonds transfrontalier de soutien des dépôts, pour lequel il va falloir trouver une solution. Un phasage, cette solution miracle, repoussera ce qui dérange au plus tard possible, n’en doutons pas !

Cela renvoie à la question maudite des prêts non performants (NPL), et tout spécialement à ceux qui figurent massivement aux bilans des banques italiennes. Pour avoir été trop longtemps ignorée, la question représente désormais véritable casse-tête.

Les élections italiennes vont se tenir dans un mois et demi, et s’élève du pays un ressentiment général qui s’exprime envers la Commission et la nouvelle règle du bail-in qui fait supporter les pertes aux actionnaires. Elle a comme conséquence que de nombreux petits actionnaires italiens en sont les premières victimes. Si jamais le Mouvement des Cinq étoiles devait conquérir la première place, de sérieuses turbulences seraient particulièrement garanties…

Circonstance aggravante, la croissance n’est pas suffisante pour prétendre résorber progressivement le stock des NPL via la création d’une bad bank afin de contourner le problème. Il ne reste plus en magasin qu’une troisième voie, déjà utilisée, celle d’une recapitalisation par précaution des banques, qui combine une appréciation des pertes potentielles s’appuyant sur des données de marché avec l’apport de fonds publics pour les éponger, en contradiction avec l’esprit et la lettre du bail-in réglementaire que, dans son rôle, la Commission défend mordicus.

Pour compliquer le tout, aucune solution pérenne n’est envisageable en dehors d’une consolidation de l’ensemble du système bancaire italien qui est particulièrement morcelé. Mais comment celle-ci peut-elle intervenir tant que les bilans bancaires n’ont pas été allégés de leurs NPL ? Pour faire comprendre l’enjeu, risquons l’image d’un noyau de pêche bloqué dans la trachée artère après avoir malencontreusement voulu l’avaler, et de ses effets sur la fonction respiratoire  !

De la solution trouvée dépendra la suite des opérations. La refondation de la zone euro qui s’en suivra nécessitera une approche aussi inventive et précautionneuse, dispensant des effets tout aussi aléatoires ! Il y en a pour des années encore de faux-semblants…

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