LE TEMPS QU’IL FAIT LE 9 FÉVRIER 2018 / LA BOURSE – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 9 février 2018 / La Bourse. Merci à Catherine Cappuyns et Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le vendredi 9 février 2018 et aujourd’hui, je vais vous parler de la Bourse parce qu’il se passe des choses importantes à la Bourse depuis le début de la semaine. Les Bourses baissent dans le monde entier par à-coups. C’est toujours comme ça, c’est toujours en dents de scie. C’est très rare que les prix baissent de jour en jour sans que rien d’autre ne se passe, qu’il n’y ait pas de remontée. Non, ça se fait toujours en dents de scie. Ça remonte quelque peu parce qu’il y a des gens qui imaginent qu’on a atteint le fond et que c’est intéressant de racheter à ces prix-là et puis, ça va repartir à la baisse.

Alors, en séance, vous avez dû voir ça, il y a deux possibilités : ou bien ça ouvre à la baisse et ça continue de baisser pendant toute la séance, ou bien, comme en Asie durant la nuit dernière – c’est-à-dire le vendredi 9 février pour les pays asiatiques – ça a ouvert, ça a décroché vraiment en ouverture et puis, ça a continué à stagner. Mais, le résultat, vous l’avez vu, c’est quand même des pertes importantes : -3 %, -4 % sur les marchés asiatiques.

Alors, pourquoi ça baisse ? Eh bien, il y a plusieurs explications possibles et elles jouent sans doute toutes d’une certaine manière. Mais tout ça est relié aux obligations. Et ça, on l’avait dit. Tout le monde l’avait dit depuis pas mal de temps : il y aura un krach obligataire au moment où les taux vont remonter.

Alors, j’expliquais… parce que ça fait longtemps que sur le blog je n’ai pas parlé de ça heureusement pour nous, on peut le dire, du point de vue de l’économie en général. Comment est-ce que ça fonctionne ? Le fonctionnement, c’est le suivant : il y a des gens qui prêtent de l’argent, ce sont les investisseurs. Ils prêtent de l’argent à ceux qui émettent des obligations – ça a des noms divers – mais enfin bon, voilà ! Ce sont des emprunts qui sont émis avec un certain taux. Par exemple, je ne sais pas, disons du 2,5 %. Alors, quand on dit que les taux montent, on passe, par exemple à du 3 %. Pourquoi est-ce qu’il y a un problème du point de vue des investisseurs ? Eh bien, le mécanisme est très simple. On va vous dire dans des bouquins, etc. : « Eh bien c’est normal quand l’un monte, l’autre descend ». Oui, mais je vais quand même vous expliquer pourquoi.

Parce que vous possédez des obligations qui vous rapportent du 2,5 % et maintenant, on vous dit : « maintenant les taux sont à du 3 % ». C’est-à-dire que si vous achetez une obligation demain, vous aurez du 3 %. Alors, qu’est-ce qui va se passer avec vos obligations à 2,5 % ? Eh bien, elles rapporteront moins que celles qui sont émises maintenant. Il serait plus intéressant, pour vous, en fait, de revendre celles qui étaient à du 2,5 % pour obtenir du 3 %. Ça paraît [logique]. Mais une obligation maintenant à du 2,5 % qui est en concurrence avec d’autres obligations qui sont émises maintenant, à du 3 %, ça vaut moins ! Ça vaut moins parce que ça rapporte moins. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien, on répercute dans le prix de vente le fait que ça rapporte moins. Et alors si votre obligation, si vos obligations sont toutes, je ne sais pas, à 1.000€ – ce n’est pas un chiffre raisonnable, mais enfin disons à 1.000€ – eh bien, celles qui sont à 2,5 % alors que maintenant les taux sont à du 3 %, elles vaudront, je ne sais pas, 985€. Donc, ça baisse ! Et les gens qui ont de gros portefeuilles, perdent beaucoup d’argent.

Alors, si vous regardez, par exemple, un titre sur le Wall Street Journal, ce matin, les gros investisseurs se débarrassent de leurs obligations à long terme. Pourquoi est-ce qu’on commence par le long terme ? Eh bien, parce que sur une plus longue période, bien entendu, vous aurez du 2,5 % au lieu du 3 %. Alors, il vaut mieux se débarrasser de celles qui sont les plus longues et ce sont celles, aussi, où l’impact est le plus important sur leur prix parce que ça va être des années pendant lesquelles vous recevrez du 2,5 % au lieu du 3 %. Voilà !

Et, en ce moment, les gros investisseurs, les gros fonds de pension américains, les grosses boites, la grande brasserie, j’oublie son nom [InBev], mais celle qui a consolidé l’ensemble des brasseries internationalement, pratiquement. Celle qui fait de la Leffe si vous voyez ce que je veux dire, a vendu des obligations en grandes quantités, hier, parce qu’il vaut mieux le faire maintenant.

Alors, ces gens-là, tous ces gens-là perdent de l’argent. Ils perdent de l’argent ! Et… il faut que j’explique maintenant un tout petit peu pourquoi les taux montent et pourquoi les taux peuvent monter. Et, là, il y a plusieurs explications possibles. Elles se combinent en général quand les [taux] montent. Il y en a qui sont plus importantes que d’autres, etc. Et surtout, en ce moment, il y a une raison principale qui a déclenché le début de la crise. Et vous vous en doutiez, bien entendu, c’est ma tête de turc habituelle qui va être l’explication de ce qui s’est passé. C’est bien entendu Monsieur Trump qui a fait une erreur. Enfin bon !

Dans l’ordre, pourquoi est-ce que les taux montent ? Les taux peuvent monter quand l’économie va mieux. Pourquoi est-ce que les taux peuvent monter quand l’économie va mieux ? Pour la raison que je vous expliquais : que la Bourse c’est, en fait, un système à la part, c’est un système comme le métayage autrefois. C’est un système où on reçoit des parts sur la richesse qui est créée. Quand la richesse qui est créée est plus importante, eh bien, celui qui a gagné davantage, peut en donner davantage à ceux qui lui ont prêté de l’argent. Donc, quand l’économie va mieux, les taux d’intérêt peuvent monter parce que ceux qui produisent de la richesse supplémentaire sont plus riches et peuvent partager davantage avec les autres. C’est la raison principale – et c’est la plus saine – pour laquelle les taux peuvent monter. Bon !

Alors, il y a une autre raison pour laquelle les taux peuvent monter. Et là, au contraire, ce n’est pas une bonne raison, c’est une raison plutôt dramatique. C’est parce que, quand vous prêtez et que vous savez que votre emprunteur n’est pas tout à fait fiable, vous allez lui demander un taux plus élevé. Pourquoi ? Parce que – vous allez le faire intuitivement ou vous allez le faire délibérément – vous introduisez une prime de risque dans le taux que vous exigez. Vous allez essayer de constituer une cagnotte au cas où la personne ne payerait pas les intérêts ou, au cas où elle ne rembourserait pas finalement l’argent qu’on lui a prêté. Donc, vous allez demander des taux plus élevés, non pas parce que les choses vont mieux, mais parce qu’elles vont plus mal. Parce que vous introduisez une prime de risque à l’intérieur du taux que vous exigez.

Alors, il y a une troisième raison pour laquelle les taux peuvent augmenter – dont on parle beaucoup et dont on a dit beaucoup que ça avait joué ces jours-ci – c’est le fait que les salaires augmentent. Alors pourquoi le fait que les salaires augmentent conduirait au fait que les taux augmentent ? Eh bien là, c’est parce que ceux qui prêtent veulent tenir compte du fait que l’argent vaudra peut-être moins à l’avenir qu’il ne vaut maintenant. Voilà ! Vous prêtez une certaine somme mais si elle perd de la valeur, cette somme, parce qu’il y a inflation, à ce moment-là, eh bien, vous perdez de l’argent aussi. Alors, si vous savez que l’inflation se profile à l’horizon, vous allez demander là aussi un taux plus élevé. Et dans nos pays où quand on augmente les salaires, les bonus des dirigeants et les dividendes donnés aux gens qui prêtent de l’argent ne baissent pas parce que c’est considéré comme incompressible. Si vous ne comprenez pas ça, lisez mon livre Penser tout haut l’économie avec Keynes parce que j’explique ça de manière bien détaillée et d’une manière qu’on ne trouve pas, à ma connaissance, dans d’autres livres. Alors, une raison pour lesquelles les taux peuvent augmenter : anticipation de l’inflation. On peut considérer que si les salaires augmentent, le prix des marchandises augmentera, l’inflation augmentera, l’argent perdra de la valeur et par conséquent : anticipation de l’inflation, les prêteurs demandent des taux plus élevés.

Quatrième raison pour laquelle les taux peuvent monter. Et là, c’est là qu’on rejoint notre cher ami Monsieur Trump, parce que vous le savez sans doute, Monsieur Trump a fait baisser de manière dramatique les taxes, les impôts sur les entreprises, et sur les gens qui sont les plus riches, etc. Alors on dit : « C’est formidable », parce qu’on pense à la théorie du ruissellement : plus les riches sont riches, plus les autres vont l’être automatiquement puisque les riches vont dépenser leur argent. Mais, dans ce cas-ci, qu’est ce qui se passe ? Les gens réfléchissent aussi à la chose suivante : que si l’État a moins de rentrées, il va devoir emprunter davantage. Et si l’État emprunte davantage, il va se retrouver en concurrence avec les autres personnes qui demandent de l’argent, qui veulent [emprunter] de l’argent [auprès des prêteurs]. Et, par conséquent, les emprunteurs, voyant que l’État emprunte davantage et que l’État est un peu pris à la gorge, on va lui demander des taux d’intérêt plus élevés.

Tous ces éléments jouent : la peur, qui conduit à une prime de risque du crédit, le fait que ça aille un peu mieux dans l’économie, le fait que les salariés vont demander peut-être plus d’argent. Mais surtout, dans ce cas-ci, les conséquences du fait qu’on a baissé les impôts de manière considérable aux États-Unis, que l’État américain va devoir emprunter davantage et que, comme il est en concurrence avec d’autres et qu’il va demander des sommes importantes, les taux vont monter. Voilà !

Alors, c’est ça la difficulté du capitalisme que j’ai mentionnée en 2009 et que je répète depuis, c’est qu’une crise obligataire va avoir lieu nécessairement, que les choses aillent mieux parce que les taux augmentent dans ce cas-là ou parce qu’elles aillent plus mal, parce que dans ce cas-là, la prime de risque va augmenter aussi, et donc nous sommes coincés en fait dans une stagnation dont on ne peut pas sortir parce que si les choses s’arrangent, en fait elles vont aller de plus en plus mal, et si les choses vont de plus en plus mal, elles restent de plus en plus mal et donc ça ne va pas. Donc, le système capitaliste s’est mis dans un coin, il a peint la pièce mais il a oublié qu’il fallait peindre en se réservant d’être près d’une porte de sortie au moment où on a fini de peindre par terre. Alors, il est dans le coin, il ne sait pas trop quoi faire, il ne sait pas comment réfléchir à faire la suite aux épisodes suivants. Et c’est pour ça que dès 2009, quand j’ai vu qu’on injectait des sommes absolument considérables dans l’économie – alors que le ruissellement n’était plus possible parce qu’il n’y avait pas de demande suffisante du point de vue de la population – et que donc on ne peut pas mettre tout l’argent gagné par les riches, on ne peut pas mettre tout dans l’économie et que du coup on le met dans des fonds spéculatifs qui vont donc aller spéculer, c’est-à-dire vont créer du risque systémique et vont rendre le système de plus en plus fragile. Voilà où on en est. Petite explication donc. Vous pouvez trouver ça dans toutes mes vieux bouquins, « L’implosion », « La crise du capitalisme américain », « Misère de la pensée économique » et ainsi de suite, « Le capitalisme à l’agonie ». Mais là un petit résumé, pour vous expliquer pourquoi c’est en train de tomber.

Alors, j’ai vu à 9 heures, on a dit : « Oui, ça repart, les marchés européens n’ont pas ouvert en grande baisse ». Quand j’ai regardé juste avant de commencer à dire ceci, la baisse était déjà plus considérable. Je vais aller voir. De toute manière je vous tiens au courant parce que la Bourse c’est important. C’est un mécanisme qui nous permet justement de mettre à l’échelle du monde entier un grand système « à la part ». À ceux qui disent : « Il faudrait la fermer », j’ai déjà répondu que dans ce cas-là, les gens iraient vendre leurs actions sur eBay. Je ne vois pas l’intérêt de ne pas le faire à la Bourse après tout. Surtout que maintenant c’est tout à fait automatisé. Ma critique porte sur le fait que la Bourse, les prix, changent un million de fois par seconde. Il n’y a aucune nécessité parce qu’en fait le prix – le cours de l’action – reflète la bonne santé ou la mauvaise santé d’une entreprise. Ça reflète le fait que le prix [de l’action] monte ou descend, mais aussi le fait que des dividendes seront versées un jour. C’est un mécanisme qui dans le cadre d’un capitalisme où les gens sont propriétaires et où tout l’argent n’est pas au bon endroit – c’est un système qui est adapté aux circonstances. Ça ne veut pas dire que – vous le savez – que je ne remets pas en question, moi personnellement, le cadre dans son ensemble – mais sinon, à part ça, le mécanisme est bon à l’intérieur du fonctionnement général : ça permet à ceux qui ont de l’argent de le prêter à des entreprises qui peuvent l’utiliser à des choses utiles. Alors, parfois elles ne font pas des choses utiles, ça c’est encore un autre problème. Voilà, un petit résumé sur comment ça fonctionne la Bourse et pourquoi ça ne va pas bien en ce moment.

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Le scandale des russes qui passent leurs vacances en Europe, pendant que leurs maris envahissent l’Ukraine https://www.lalibre.be/international/europe/guerre-ukraine-russie/2023/04/20/guerre-en-ukraine-comment-lepouse-dun-haut-responsable-russe-continue-de-mener-la-grande-vie-en-europe-echappant-a-toutes-sanctions-europeennes-VSO7HT66DNARLCWSOV6KHA6ACA/ https://www.instagram.com/p/Cq8M4zUAZ5P/

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta