L’hydrogène et son avenir, par Alain Prinzhofer

Ouvert aux commentaires.

L’hydrogène gaz (ou dihydrogène) est devenu ces dernières années un sujet débattu dans le domaine de l’énergie, comme possible solution pour réduire les émissions de CO2 liées à notre consommation énergétique actuelle. Il faut rappeler que le marché de l’hydrogène est aujourd’hui très important (60 millions de tonnes par an, environ 100 milliards de dollars par an). Cependant, il faut aussi noter que :

  1. Il ne s’agit que d’hydrogène manufacturé, donc fabriqué à partir d’une autre énergie (hydrocarbures pour 96% de la production d’hydrogène, électricité pour les 4% restants). Pour produire 1kg d’hydrogène à partir de méthane (principale source d’hydrocarbure pour l’hydrogène), on relâche 20 kg de CO2 !). L’électrolyse est plus vertueuse, mais son coût financier est nettement plus important que la fabrication d’H2 à partir d’hydrocarbures, ce qui explique la prédominance de ce dernier,
  2. Son utilisation ne concerne quasi-exclusivement que l’industrie chimique et non notre besoin en énergie pour le futur : synthèse de l’ammoniac et raffinage de produits pétroliers pour l’essentiel. L’hydrogène comme vecteur énergétique représente une proportion du marché hydrogène qui reste dans l’épaisseur du trait.
  3. De nombreux projets dans le monde envisagent d’utiliser l’hydrogène comme « tampon » pour les énergies renouvelables : le soleil et le vent étant intermittents, il est nécessaire de stocker leur énergie (récupérée sous forme d’électricité) pour les moments de besoin et de pic de consommation, qui ne correspondent généralement pas aux pics de production. Les batteries ne pouvant convenir à ce stockage pour des raisons technologiques (prix, matières premières nécessaires, usure rapide, quantité de stockage sans commune mesure avec les besoins envisagés), la solution proposée est l’hydrogène. On transforme l’électricité en hydrogène par électrolyse, cet hydrogène peut être facilement stocké, et on le retransforme en électricité quand on en a besoin par des piles à combustible. En d’autres termes, il s’avère plus facile de stocker une molécule (H2) que des électrons (électricité).

En gros et en résumé, aujourd’hui, le monde s’est habitué à l’importance de l’hydrogène dans l’industrie chimique, et est prêt à l’accepter comme solution de stockage/déstockage de l’électricité. Mais le monde n’est pas prêt à considérer cette énergie comme une solution pour la transition énergétique. Et elle justifie ce choix avec d’excellents arguments financiers et scientifiques : la transformation d’une énergie en une autre se fait toujours avec un rendement inférieur à 1, donc, pourquoi transformer les hydrocarbures en hydrogène, en perdant au change et en continuant à relâcher du CO2 ? En tant que vecteur énergétique, l’électricité a de nombreux avantages sur l’hydrogène, sans parler de son acceptation sociétale maintenant totalement confirmée par plus d’un siècle d’utilisation à grande échelle.

Ces simples faits induisent des réactions fort simples dans l’opinion publique : l’hydrogène ne peut devenir un vecteur énergétique avec le même succès que son concurrent l’électricité. Il ne peut qu’aider au développement de génération d’électricité vertueuse et renouvelable, rien de plus ! On ajoute à cela quelques lobbies (nucléaire, fabricants de gaz industriels, industrie pétrolière) qui n’aident pas à évoluer dans cette direction, et l’hydrogène comme énergie semble avoir un avenir compromis.

Ce constat peut apparaitre réaliste et fataliste, mais il manque un élément d’information qui peut devenir essentiel : l’hydrogène gaz existe sur Terre à l’état naturel, notre planète le fabrique depuis toujours sans nous en avoir bien informé, et il est même exploitable à faible coût environnemental et financier ! Ceci change la donne et amène un espoir immense de pouvoir évoluer vers une SOURCE d’énergie (et non un vecteur) propre (en le brûlant, on n’émet que de l’eau) dont le coût deviendrait acceptable pour l’humanité. Bien sûr, cette affirmation cache de nombreux questionnements, liées à un manque évident de connaissance scientifique sur cette nouvelle matière première. Mais nous avons commencé à exploiter le pétrole vers 1850, 80 ans avant de comprendre sa source, et un siècle avant de pouvoir essayer de prédire les lieux de sa présence. Alors, les lacunes concernant l’histoire géologique de l’hydrogène naturel ne devraient pas être un frein à sa valorisation. Et c’est plutôt sa valorisation qui permettra d’investir pour la recherche et la connaissance meilleure de ce système naturel.

L’hydrogène naturel est connu sur Terre depuis les années 1970. Mais il s’agissait de découvertes au fond des océans dans des zones volcaniques et hydrothermales, où son exploitation est encore aujourd’hui de l’ordre de la science-fiction. Puis il fut découvert à terre, dans des formations géologiques appelées ophiolites (anciens lambeaux de croute océanique coincés dans les chaines de montagne). Cette fois, l’argument était que les quantités observées sont bien trop faibles pour une exploitation rentable. Puis on le découvrit au milieu des continents, lors de forages à pétrole ou à eau qui, par hasard et par accident, rencontraient des accumulations d’hydrogène. Les fabricants d’hydrogène ont alors clamé que les réserves étaient trop faibles pour menacer leur « business plan » de fabrication d’hydrogène à partir des méthodes déjà décrites. Et la conséquence est que nous restons aujourd’hui avec une économie de l’hydrogène essentiellement chimique et très peu énergétique.

Or, malgré cette tendance mondiale à reculer devant ce possible, un entrepreneur Malien, Aliou Boubacar Diallo, a décidé d’investir il y a une dizaine d’années dans son pays sur cette nouvelle source d’énergie, à la suite d’un puits à eau foré en 1987 et qui avait trouvé du gaz avec 98% d’hydrogène. Aujourd’hui, 25 puits d’exploration ont été forés, tous avec des découvertes d’hydrogène, le village de Bourakébougou où se trouvent ces gisements est alimenté en électricité par l’hydrogène naturel, ce qui est une première mondiale. Le développement futur de ces champs d’hydrogène est en cours, non plus au niveau de l’exploration ou de l’utilisation locale, mais de la valorisation industrielle à l’échelle de la planète.

Par ailleurs, dans d’autres pays (Brésil, USA), des travaux de R&D sont faits sur l’hydrogène naturel, autorisant d’imaginer que d’autres aventures industrielles comparables à celle du Mali vont éclore dans les prochaines années.

Même si nous ne sommes pas encore devant un marché mature, force est de constater que l’équation de l’hydrogène est en train de changer totalement. L’hydrogène naturel ne va pas se positionner en concurrence avec l’hydrogène manufacturé, pas plus qu’en unique pourvoyeur de ce gaz, ces deux business vont se compléter et s’aider mutuellement, un marché avec deux bras de levier au lieu d’un seul a plus de chance d’avancer. Et peu importe si un des bras de levier devient prédominant dans le futur, l’hydrogène comme énergie vertueuse est en train d’éclore. Suivons sa croissance, mettons de la connaissance, de la recherche, de l’investissement, et surtout de l’information publique à son sujet.

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15 réponses à “L’hydrogène et son avenir, par Alain Prinzhofer”

  1. Avatar de Arnaud
    Arnaud

    On nous vends de nouveaux réservoirs d’énergie comme des barils de lessive au grès des intérêts ou de simples tropisme des uns et autres.
    Et c’est chaque fois « la possible solution à suivre de près »…

  2. Avatar de Arnaud
    Arnaud

    Article initial d’Alain Prinzhofer dans la tribune en 2018. Dont le texte ci dessus est quasi identique.
    https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/de-l-hydrogene-oui-mais-de-l-hydrogene-naturel-783448.html

  3. Avatar de Boris Verhaegen
    Boris Verhaegen

    Question qui me taraude, ces gisements d’H2 pourraient-ils remplacer quoi que ce soit, ou seraient-ils exploités en plus de l’énergie carbonée actuellement?
    Si on parle de réservoir, je peux supposer que leur formation est lente, donc finie à l’échelle de temps court des hommes. Donc non renouvelable. Je me trompe peut-être. Avez-vous des précisions vis-à-vis de cela,

    Dès lors, est-il envisageable que cet H2 puisse engager une quelconque transition énergétique, ou serait-il plus de l’ordre d’un boost en terme de volumes produits par rapport à une filière toujours balbutiante?

  4. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    Ce texte est une farce scientifique. C’est une succession d’affirmations douces et édulcorées pour capturer quelques pépètes à des gogos.
    À l’automne, le colibri de guerre lasse, se lance dans l’extraction d’H2 pour abréger sa vaine lutte dans un bouquet final haut en couleur.
    BOUM!

  5. Avatar de AUXIETRE
    AUXIETRE

    Ma question reste la même que dans un post précédent, et le danger ! Une explosion d’hydrogène par fuite d’un réservoir ou un accident provoque des explosions extrêmement destructrices. Comme je le disais : un réservoir de voiture qui exploserait serait potentiellement capable de raser la moitié d’une rue ! Déjà pour les hydrocarbures on ne fait pas de moteur au méthane par exemple à cause de cela et là pour l’hydrogène la capacité explosive est encore plus grande. Au niveau industriel et sécurisé pourquoi pas, mais pour la mobilité je ne pense pas que l’on arriverait à résoudre parfaitement ce problème.

    1. Avatar de Michaël R
      Michaël R

      Il faut vous informer : le méthane est en plein déploiement actuellement : sous forme gazeuse comprimée pour les voiture (CNG) et liquide pour les camions (LNG).

      Quant à l’hydrogène, il y a déjà quelques stations déployées également pour les véhicule. Le système de remplissage est très automatisé pour éviter les mauvaises manoeuvre de l’utilisateur. Quant aux réservoirs, le progrès en terme de matériaux permet de les fabriquer suffisamment résistants. Il y a également des recherche pour le stockage dans une matrice « solide » qui permet de faire diminuer fortement la pression tout en augmentant les capacités de stockage.

  6. Avatar de martin ed
    martin ed

    Comment utilisent ils de l’hydrogène artisanalement dans un village pour produire de l’énergie ? Ils le brulent ou l’utilisent dans des piles à combustible ? Comment ils le stockent , pour fabriquer des bombonnes à hydrogènes ils faut entourer ces cuves de plusieurs couches de revêtement en carbone pour minimiser les fuites , donc mystère ??

  7. Avatar de Alain Prinzhofer
    Alain Prinzhofer

    Je vais essayer de répondre aux commentaires « questionnant » et guère aux commentateurs qui n’accepteront pas de nouveauté scientifique par principe (info pour « un lecteur », je vis au Brésil et ne suis donc pas en automne).
    – La question de l’accumulation est une excellente question. Une accumulation de pétrole, de méthane, ou d’hydrogène, est un ralentissement d’un flux par une restriction de porosité et/ou de perméabilité. Il ne s’agit jamais d’un cul de sac, le fluide finit par partir, dans des grands cycles géologiques. Le temps caractéristique d’un gisement de pétrole est dans les dizaines voire centaines de millions d’années. Celui de l’hydrogène semble être de quelques décennies. Pensez à un embouteillage automobile: vous ralentissez, vous vous accumulez (l’embouteillage en question) mais finalement, vous rentrez chez vous, simplement un peu retardé. Les fluides et la géologie, c’est pareil, avec des constantes de temps très différentes pour les hydrocarbures et l’hydrogène (et bien différentes de notre embouteillage bien sûr).
    – la dangerosité: le stockage d’hydrogène dans les véhicules fait d’immenses progrès, et des stockages sous forme solide par exemple existent. Vous pouvez fumer à côté, il n’y a aucun risque car il ne peut y avoir de fuite. J’ajoute qu’en France pendant la guerre, les véhicules munis de gazogènes fonctionnaient à l’hydrogène sans qu’on en parle (le gaz de charbon contenait plus de 50% d’H2). A ma connaissance, il n’y eu aucun accident (il y en eu avec le CO associé, qui est un poison, mais il n’y en a pas dans les gisements d’hydrogène naturel).
    – Il s’agit bien d’une tentative (parmi d’autres) pour une transition énergétique, le pétrole étant destiné à ne plus être utilisé, dans un temps qui reste à définir. Non pas car on n’en aura plus (« l’âge de pierre ne s’est pas arrêté parce qu’on n’avait plus de pierres » disait un ancien ministre du pétrole saoudien), mais car la société recherche un substitut plus vertueux.
    – A bourakébougou, l’hydrogène est brulé dans un moteur à combustion interne qui fournit de l’électricité directement, il n’y a pas de stockage, car la source (le puits) est disponible quand on le désire (on ouvre le robinet).
    – des travaux scientifiques nombreux ont été publiés dans des revues internationales à comité de lecture. Une brève recherche internet devrait vous montrer que ce n’est pas parce qu’on écrit un article de vulgarisation qu’on n’écrit pas également pour les scientifiques du sujet considéré.
    J’espère avoir répondu à quelques doutes bien compréhensibles et intéressants.

    1. Avatar de un lecteur
      un lecteur

      Depuis le début de cette année, plusieurs articles sur ce blog (et maintenant aussi dans les médias mainstream) ont « définitivement » tué le colibri de la fable. Les changements doivent venir d’en haut et rapidement pour donner un avenir à nos enfants.
      Comments situez-vous dans le temps et en proportion de la consommation d’énergie fossile actuelle, l’apport des ressources de H2 ? (Scénario worst case et best case)

    2. Avatar de François Corre
      François Corre

      Vous parlez donc de ‘hydrogène gaz’ ou ‘hydrogène naturel’ comme d’une ‘énergie primaire’…?
      Me souviens vaguement que J. Rifkin ‘rêvait’ de ça, y’a bien 10 ou 15 ans… :-\

  8. Avatar de Alain Prinzhofer
    Alain Prinzhofer

    N’étant guère porté sur la prédiction du futur, je ne peux bien sûr pas répondre directement à votre question, et je vais me contenter de répondre par une autre question: Lorsque les premiers téléphones portables sont apparus (fin des années 80 en gros), combien de temps imaginiez-vous avant que tout un chacun dans le monde entier se promène avec un ordinateur dans sa poche gros comme un petit portefeuille, tout le temps connecté, vous permettant de lire vos messages, le journal, toute information d’internet, et accessoirement de téléphoner? En gros, face à une nouveauté comme une nouvelle source d’énergie pour l’homme, tout peut arriver: le flop et la déception d’une énergie finalement marginale (worst case), comme une révolution qui s’accélère et laisse les entreprises énergétiques qui n’ont pas pris le bon train dans le même état que Kodak après l’arrivée de la photo numérique (best case, sauf pour ces entreprises bien sûr).

    1. Avatar de un lecteur
      un lecteur

      À mon avis, la faiblesse de votre argumentaire réside essentiellement, dans votre incapacité à démontrer la viabilité de l’exploitation des ressources de H2 dans le contexte d’urgence que nous impose le changement climatique. Il faut privilégier l’action à la spéculation.

  9. Avatar de WANCLIK

    Je ne vois pas en quoi ou pourquoi on parle de faiblesse de l’argumentaire.l’important a été dit

  10. Avatar de Pierre
    Pierre

    Chercher des solutions techniques pour diminuer l’empreinte environnementale de l’homme: c’est bien ! Mais…… cela serait bien aussi de se poser la question de comment on en est arrivé là?
    Il y aurait peut être des solutions a trouver en changeant la philosophie de notre modèle économique….
    Je le dis et redis mais le capitalisme n’est pas une fatalité….Trop de personnes pensent encore qu’il s’agit d’une sorte de loi physique indépassable comme la gravité ou la force nucléaire forte….

  11. Avatar de Jacquot
    Jacquot

    Merci pour cet article qui rend compte d’une piste de recherche intéressante.

    J’ai cherché des informations sur la quantité d’hydrogène produite à Bourakébougou, ou sur le flux d’hydrogène qui se dégage dans tel ou tel site, ou une estimation même très approximative de ce que pourraient être flux ou stock en sous-sol à l’échelle mondiale. Je n’ai trouvé aucun chiffre, sinon un flux sur un site particulier en Russie égal à 40 000 m3 par jour – ce qui peut sembler beaucoup, mais vu la faible densité de l’hydrogène ne représente que 3,6 tonnes, ce qui à raison de 120 MJ par kg totalise 432 GJ ou un peu plus de 10 tonnes équivalent pétrole – moins compte tenu d’un rendement qui sera forcément inférieur à 1. Ce chiffre est à comparer avec la production quotidienne de pétrole, d’environ 90 millions de tonnes.

    Ce flux sur un site particulier est diffus donc difficile à récupérer. Il s’agit donc de le récupérer en sous-sol, avant qu’il ne migre en surface. Au Mali, on a démontré que c’est possible. Les quantités sont sans doute petites, s’agissant d’alimenter plusieurs villages : il s’agit d’une preuve de concept.

    Explorer davantage de sites, tout en étudiant le phénomène de l’hydrogène souterrain, semble en tout cas une bonne idée.

    Voir cet article, le plus complet que j’aie pu trouver :
    https://www.industrie-techno.com/article/l-hydrogene-naturel-future-source-d-energie.42054

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