« Childhood’s End » (Les enfants d’Icare), la mini-série. Pourquoi ce massacre ?

Ouvert aux commentaires.

Quand la question s’était posée à moi l’autre jour d’une petite liste d’utopies à analyser dans le cycle de conférences que je donnerais à l’Université catholique de Lille l’année prochaine, j’avais tout de suite pensé à Childhood’s End, en français : « Les enfants d’Icare ».

Avant d’aller plus loin, ne me demandez pas pourquoi « La fin de l’enfance » a été traduit par « Les enfants d’Icare », je n’en ai pas la moindre idée : il y a bien des enfants dans le roman et dans le film tiré du roman, mais pourquoi ils seraient ceux d’Icare dépasse entièrement l’entendement. Comme vous ne l’ignorez pas la méthode utilisée (sauf au Québec où on fait très attention) pour traduire de l’anglais au français le titre d’un livre ou d’un film est la fameuse méthode dite « des petits papiers » : mettre dans un chapeau des petits billets pliés où sont écrits des mots au hasard.

Je viens donc de regarder la mini-série (2015) en trois épisodes d’une heure vingt à peu près chaque. Elle est qualifiée d’Américaine bien qu’elle ait été entièrement tournée à Melbourne et que les producteurs, acteurs et actrices, etc. soient, à une ou deux exceptions près, tous Australiens. Matthew Graham, le réalisateur, est lui sujet britannique.

Vous êtes déjà familier de mon énervement devant les traductions fantaisistes de l’anglais, mais ce qui m’indigne dans ce cas-ci est d’un autre ordre : c’est l’édulcoration éhontée de la mini-série qui fut montrée par rapport à celle qui fut tournée.

Qu’est-ce qui me permet de l’affirmer ? Les « deleted scenes », les scènes coupées, que le DVD m’a généreusement permis de voir quand même.

Remarques liminaires : pour chacun des 3 épisodes faisant environ 80 minutes, il y a une vingtaine de minutes de scènes coupées. Quelques-une de celles-ci sont en effet redondantes, d’autres que l’on peut voir en version longue ne perdent pas grand-chose d’avoir été raccourcies.

D’autres scènes n’auraient pas dû être coupées puisque de les voir permet de comprendre des éléments du récit qui, dans la version sortie sur les chaînes, restent opaques. C’est le cas de toutes les scènes de flash-back mettant en scène Jake et Amy Greggson qui nous font comprendre quelle était leur relation avant leur mariage et donne de la profondeur au fait qu’ils seront les parents de Tommy, pour lequel nous assistons à sa transformation en enfant mutant, et de la petite Jennifer qui, bien qu’âgée seulement de 4 ans, deviendra le chef des enfants mutants. Ces scènes de flash-back ont-elles été coupées parce que les acteurs jouant Jake et Amy jeunes ressemblent si peu aux acteurs qui les incarnent une fois mariés ? C’est possible : seuls des intertitres nous permettent en effet de comprendre de qui il s’agit dans les scènes coupées.

Plus gênant est le fait que le personnage de Milo, le dernier humain survivant, soit passé de rôle principal (ou co-principal avec celui de Ricky) qu’il aurait été si tant des scènes où il intervient n’avaient été coupées, à second rôle, et il en va de même du coup pour sa copine Rachel. Il s’agit bien du personnage principal dans le roman dont la série a été tirée, ce qui colle avec le fait que ce soit lui qui rencontre Dieu (= le Super-Esprit = « Overmind »), une scène rapidement expédiée dans la version officielle. Est-ce une simple coïncidence le fait que les acteurs incarnant Milo et Rachel sont les seuls acteurs non-blancs de la mini-série ? (Milo est Noir, Rachel est Eurasienne).

Édulcoration majeure : toutes les phrases très dures sur la religion, en tant qu’illusion et facteur de bellicisme, ont été excisées et ne nous sont connues que par les scènes coupées. Dans le même sens, le fait qu’ont été supprimées les quatre scènes où Rick Stormgren, l’humain que les extraterrestres ont choisi comme porte-parole, et sa femme Ellie, interagissent avec les illuminés qui ont installé un campement près de l’entrée de leur ferme. Si dans la version officielle, il n’y a aucun échange entre eux, dans les scènes coupées on voit Ellie préoccupée de savoir si les illuminés ont accès à de l’eau potable, leur offrir des vêtements, et manifester sa sympathie envers une femme campant dehors affirmant que les extraterrestres envoûtent les enfants (ce qui est effectivement le cas).

Plus sérieux encore, le fait que les trois scènes manifestement les plus poignantes de la série ne nous sont connues que comme scènes coupées. Dans l’une de ces scènes, on voit des parents tenter d’enlever sans grand succès certains des enfants debout immobiles dans la rue, leur esprit ayant fusionné avant leur départ de la Terre. Une autre de ces trois scènes cruciales est celle où Rick devant le conseil municipal de sa petite ville ne peut se résoudre à transmettre le message que les extraterrestres lui ont confié, et c’est sa femme Ellie qui prend l’initiative d’annoncer qu’à partir du surlendemain il ne naîtra plus d’enfants sur terre, provoquant d’abord la consternation puis le désespoir des deux couples dans l’assistance dont la femme est enceinte. Ellie est aussi le personnage principal de la scène du suicide collectif des adultes, également passée à la trappe.

Si la mini-série est attachante en soi, on s’aperçoit donc à la vue des scènes coupées que la quasi-totalité de ses moments véritablement forts ont été excisés : rencontre avec Dieu, moment-bascule où les humains se rendent compte que le paradis que les extraterrestres avaient organisé pour eux n’était qu’un prélude à leur extinction, enfin, le suicide massif des adultes après le départ des enfants.

Quelle est l’histoire vraie qui se cache derrière cette émasculation ? je vais me mettre en quête de la découvrir. Je compte sur vous pour m’y aider !

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4 réponses à “« Childhood’s End » (Les enfants d’Icare), la mini-série. Pourquoi ce massacre ?

  1. Avatar de chabian
    chabian

    Je ne vais pas vous aider. Mais quelques remarques.
    A vous lire, le film a été victime d’étasunisation ! Pas de critique de la religion, pas de héros noirs ou eurasiens… (suivi de francisation…).
    Un film est un enchantement d’images et de scènes, dont la cohérence du « propos » est très secondaire. Je dis cela parce qu’on a envisagé de prendre ma maison comme décor d’un film (c’est amusant, profitable mais angoissant : 100 personnes chamboulent votre intérieur pendant plusieurs jours… ) puis cela ne s’est pas fait chez nous. Nous avons beaucoup donné du temps en suggestion d’autres lieux de tournage que vous pouvez voir dans le film, en lecture, mais on n’a pas reçu même un ticket d’entrée ! On a reçu des versions du scénario, à discuter. C’est fou comme, à ce stade, cela parait léger, gratuit, inachevé, superficiel dans les relations et grandiose dans les décors… (film récent, inspiré de Blanche Neige situé à notre époque) . Cela n’empêche pas que l’assemblage puisse vous inspirer, et que vous puissiez partager des émotions (parfois fortes) vécues scène par scène. Prenons Ingmar Bergman (dont tout le monde se souvient de scènes fortes, je suppose :-)), et demandez vous si toutes les scènes du film ont une vraie cohésion ? J’ai pu voir un film sur le travail d’I.B. sur un de ses derniers films, et c’est bien la mise en scène d’une émotion qui préside à tout : gestes et mouvements d’acteur, décors, timing de la scène et de chaque image, musique… On peut donc troncaturer le film sans grand risque… d’insatisfaction finale. A la limite, mieux vaut être elliptique que de tomber dans les longueurs !
    Suggestion. Je lis très peu de fictions, et donc très peu d’utopies. Je voudrais signaler « Moi qui n’ai pas connu les hommes »de Jaqueline Harpman comme roman de ce type, qui m’a terriblement fasciné. Je vois que, selon Babelio : « Moi qui n’ai pas connu les hommes » est un conte philosophie dystopique. L’auteur imagine un « après » à notre monde « civilisé ». Peu d’informations sont fournies, comme un fait exprès pour nous encourager à faire jouer notre imagination et à concevoir ce rêve noir à travers un monde complètement stérile et inutile ».

  2. Avatar de Zoupidou
    Zoupidou

    Marillion : « Childhood’s end » – 1985
    https://youtu.be/sqco-fcY_aA

  3. Avatar de 2Casa
    2Casa

    Bonjour monsieur Jorion,

    Je viens de regarder une seconde fois « Childhood’s End ». Je ne me souvenais pas l’avoir déjà vu, en général, c’est pas bon signe.

    Je n’ai pas lu le roman ni accès à la version longue, il va être difficile pour moi de produire un commentaire pertinent sur le seul mérite de la mini série. Encore que formellement on ne soit pas vraiment dans la série, il me semble. C’est plutôt du type « roman long » comme le « Seigneur des Anneaux ». Trois volets motivés uniquement par l’ampleur de la situation à couvrir. 4h30 de film, même pour des fans inconditionnels c’est parfois long…

    J’aurais en vie de dire que comme pour les adaptations en général, on est déçu. Les adaptations de King à cet égard, pour rester dans la littérature de genre, n’ont que rarement passé le stade du nanard de série B (sauf Stand By Me, qui est un petit bijou mais qui n’a rien à voir). C’est à mon sens le problème du fantastique en général et de « l’évocation » face à la « monstration » quand on passe de l’écrit au visuel. C’est un exercice périlleux et rares sont ceux qui y parviennent (le premier Alien par rapport aux suivants par exemple, Shining est peut-être un cas limite).

    Les effets que je suppose au roman de Clarke font un peu cousus de fil blanc dans la série et certains passages très elliptiques (dont le troisième volet) nous laissent un peu sur notre faim (sans vouloir spoiler). Ou bien il faudrait être volontairement plus « symbolique » moins « présentatif ». À la manière d’un 2001. J’ai lu peu de Clarke, je me rends compte. À part les « 9 milliards… » sans doute un recueil de nouvelles. Donc difficile de se faire un avis éclairé. Certaines écritures se prêtent de toute façon mieux à l’adaptation, je pense à Vance qui ressort plus du roman d’aventure que du domaine de l’anticipation où les interrogations sont plus philosophiques et donc difficilement réductibles à un spectacle. K. Dick c’est pareil, difficile de brasser les niveaux de réflexion quand on passe de l’écrit au cinéma…

    Bref, globalement c’est pas génial. Charles Dance est vraiment un très bon comédien. Mais tout cela ne va pas vous avancer beaucoup…

    P.S. Pourquoi en passer par cette fin ? Je veux bien que les voies de l’Esprit machin-chose soient impénétrables mais était-il vraiment nécessaire d’en venir à ces extrémités ? Une fois l’affaire faite. Y-a-t-il une motivation intrinsèque au roman ?

    1. Avatar de 2Casa
      2Casa

      Sinon à dégager la voie pour une autoroute interstellaire… auquel cas la réponse à ma question est 42.
      Et l’Esprit machin-truc un Juan terrassier intergalactique ! 🙂

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