Sur la fin de vie, par Bruno Grall

Vanité par Tokyo Jesus. Collection P.J.
Avec les feuilles qui tombent, nous allons fleurir les dernières demeures de nos proches. Nous ne pensons pas beaucoup à la mort, nous en parlons peu, elle fait partie du refoulé, et n’est associée qu’à la peine et la souffrance.

Mais elle fait partie intégrante de la vie. Pour Montaigne, vivre c’est apprendre à mourir et philosopher, en accepter l’idée. Mais elle fait partie du refoulé.

Car on meurt mal en France; les soins palliatifs manquent cruellement de personnel et de ressource, et la loi Clayes Leonetti, en ne proposant qu’une sédation longue et profonde, reste d’une insuffisance et d’une hypocrisie sans nom !

Nombre de pays ont évolué sur la question : La Suisse, la Belgique, la Hollande, même la catholique Espagne, et l’Italie ont abordé le sujet.

Le 8 avril dernier, dans le cade d’une niche parlementaire, quelques députés ont déposé un projet de loi allant dans le sens d’une libération de la loi.

Mais en déposant quelques 4 000 amendements au texte, une bande de 4 députés (comme Monsieur Paul Jorion, j’en tairai les noms) ont interdit le débat et le vote que la question méritait. Alors que selon un sondage IPSOS, 96% des Français sont favorables à une évolution des lois sur la question.

En juin de cette année Monsieur Alain Coq, souffrant d’une maladie tellement orpheline qu’elle n’a pas de nom, a demandé à Mr E. Macron la possibilité d’une injection létale. Mr Macron a refusé, prétextant ne pas être au-dessus des lois – je ne sais plus quel philosophe des Lumières disait :

« Les lois sont faites pour les hommes, pas les hommes pour les lois. » C’est l’ADMD qui a financé son dernier voyage en Suisse.

En Belgique, la mort médicalement assistée (je n’aime pas le terme ‘euthanasie’, que je réserve aux animaux) est considérée comme un soin, quand des souffrances physiques ou psychiques sont réfractaires à toute thérapeutique. A ce titre, ce soin, en France resterait encadré par l’article L 1111-4 du code de la santé publique, et la fin considérée comme mort naturelle *.

Ce serait donc une loi de :

1° Liberté : en  application de l’article de loi susnommé.
2° Egalité : nombre de gens qui ont l’argent ou l’entregent nécessaires peuvent bénéficier d’une mort digne. (…/…)

Maintenant je m’interroge sur l’expression de la démocratie en France. La majorité en faveur du projet de loi de M. Olivier Falorni était acquise à l’assemblée, comme dans l’opinion de la population française.

Est-ce le poids du lobby médico-pharmaceutique ?

Les réticences du corps médical ; perte de la toute-puissance du médecin, ou simple aveu d’impuissance ?

L’idée de mauvais usage d’une telle loi n’est pas un argument valable car il y a plus d’abus dans l’autre sens.

« La mort n’est rien pour nous, nous ne sommes rien pour la mort » – Epicure.

J’aimerais terminer en reprenant un extrait de l’Adonaïs de Percy Bysshe Shelley (1792-1822) :

Peace, peace! he is not dead, he doth not sleep
He hath awakened from the dream of life
‘Tis we, who lost in stormy visions, keep
With phantoms an unprofitable strife,
And in mad trance, strike with our spirit’s knife
Invulnerable nothings. — We decay
Like corpses in a charnel; fear and grief
Convulse us and consume us day by day,
And cold hopes swarm like worms within our living clay.

The One remains, the many change and pass;
Heaven’s light forever shines, Earth’s shadows fly;
Life, like a dome of many-coloured glass,
Stains the white radiance of Eternity,
Until Death tramples it to fragments. — Die,
If thou wouldst be with that which thou dost seek!
Follow where all is fled!

P.J. Ma traduction :

Paix ! Paix ! Il n’est ni mort, ni ne dort :
Il a émergé du songe de la vie.
C’est nous qui, désorientés au sein de tempétueuses visions,
Menons un vain combat contre les fantômes,
Et plongés dans une transe insensée, frappons de la dague de notre esprit
D’invulnérables néants. – Nous qui pourrissons
Tels les cadavres d’un charnier ; la peur et le regret
Nous convulsent et nous consument jour après jour,
Et de froids espoirs, pareils aux vers, grouillent dans notre glaise vivante.

L’Unique demeure, la multitude change et passe ;
La lumière des cieux resplendit à jamais, les ombres de la Terre, elles, s’envolent ;
La vie, dôme de verre multicolore,
Vicie le rayonnement pâle de l’Éternité,
Jusqu’à ce que la Mort la réduise à néant. – Meurs
Si tu veux être avec ce que tu cherches !
Poursuis-la, là où tout s’est enfui !

Mick Jagger prononça le même extrait en hommage à Brian Jones, à Hyde Park le 5 juillet 1969.

* mort naturelle, je pense à la chanson de Georges Brassens Bonhomme.

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16 réponses à “Sur la fin de vie, par Bruno Grall”

  1. Avatar de Benjamin
    Benjamin

    C’est un sujet tabou en France que celui du « droit à mourrir » quant médicalement l’issue est certaine… mais sa survenance pas immédiate.

    Il y a comme une hypocrisie dans notre pays… Un mélange entre moralité (chrétienne ?!) et lobbying (médico-pharmaceutique) qui fait que nous n’arrivons toujours pas à franchir le pas.

    Combien de cas « symboliques » va-t-il falloir (encore et encore) pour que nos parlementaires ce saissisent enfin (et vraiment) de ce sujet ? Ce n’est pas comme si, les français y étaient réticents : bien au contraire ! Alors que la représentation nationale prenne ses responsabilités en conformité du choix la majorité des cityoens.

  2. Avatar de arkao

    La triste réalité c’est que la France, malgré des prétentions d’humanisme issues du « siècle des Lumières » et de la Révolution Française , est à la traine dans bien des domaines par rapport à beaucoup de nos voisins européens (pourtant jugés avec condescendance). Droit de vote des femmes, abolition de la peine de mort, la France ne s’est pas montré leader en la matière. Nous allons sans doute être les derniers à légaliser le cannabis, y compris à vocation thérapeutique.
    Bref, un pays finalement très conservateur et conformiste encore englué dans un catholicisme d’arrière-garde. Souffre et tais-toi pour mériter une bonne place dans l’au-delà.

  3. Avatar de Hervey

    Le pouvoir porte dans ses bagages une tentation marqué pour tout imposer par le loi jusqu’à la souffrance.
    Certains parviennent à l’exclure définitivement de la fonction, d’autres pas et considèrent que c’est le sceptre même de leur souveraineté.
    Caricatural mais vérifié par l’Histoire, le théâtre ou les contes.

  4. Avatar de un lecteur
    un lecteur

    Seules les religions englobent dans leurs récits d’une humanité souhaitable l’explication de la mort.
    Depuis que la France a subordonné l’Église à l’état de droit cartésien et accessoirement démocratique, la mort doit se contenter du sermon d’Hippocrate et de la justice des Hommes (de pouvoir).
    La cohérence impose de traiter juridiquement la mort au même niveau que la naissance. Une révolution que la France ne fera que sous la contrainte.
    «Paris doit rayonner à tout prix, tout le reste est secondaire»

  5. Avatar de arkao

    Sans nommer les députés obstructeurs en question, nous avons:
    -un proche de Charles Millon (https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Millon), président du groupe d’amitié France-Vatican et qui ne néglige pas un petit diner avec Marion Maréchal.
    -un expert en marketing, pilier de la « réforme » des universités avec la loi LRU (libéral, nous voila).
    -un énarque devenu régionaliste, proche de la « manif pour tous », anti-IVG.
    -un ex commercial/sportif marseillais au parcours sulfureux.
    -un illustre inconnu.

    Deux leaders ultra-conservateurs qui ont embarqué quelques comparses insignifiants (dont on mesurera plus tard la teneur du renvoi d’ascenseur).

    1. Avatar de CloClo
      CloClo

      Oui d’accord, cependant, pour bien d’autres lois 4 ou 5 députés n’ont pas eu, n’auront jamais, les moyens d’arrêter leur adoption. Déduisez-en à partir de là ce que vous voulez…

      Ca a dû en arranger pas mal, voir tous.

      1. Avatar de arkao

        @CloClo
        « Ce scrutin a néanmoins souligné les fractures qui traversent plusieurs familles politiques : les groupes La République en marche (125 pour, 161 contre, 2 abstentions), Les Républicains (19 pour, 14 contre, 3 abstentions), MoDem (5 pour, 7 contre, 2 abstentions) et Gauche démocrate et républicaine (2 pour, 4 contre) sont apparus particulièrement divisés. »
        Source: LCP
        https://lcp.fr/actualites/euthanasie-feu-vert-en-commission-pour-une-assistance-medicalisee-active-a-mourir-60872

  6. Avatar de Chabian
    Chabian

    La chanson de Brassens est un choc presque insupportable.
    Une voix dit à vieille qui persiste à récolter du bois mort parce que son Bonhomme va mourir de mort naturelle : il est déjà mort. Une autre voix au plus profond d’elle dit : il fut infidèle parfois. Et toujours elle récolte du bois mort.
    Intolérable servitude. Intolérable infidélité du bonhomme. Intolérable acceptation de la fatalité.
    « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? et leurs baisers au loin les suivent » (Aragon).

  7. Avatar de slowXtal
    slowXtal

    Adonais: An elegy on the Death of John Keats from Gacha Bakradze (reading Nina Mazodier)

    https://gachabakradze.com/album/adonais-an-elegy-on-the-death-of-john-keats-2

  8. Avatar de Alex c
    Alex c

    Vient d’être réalisé et diffusé en Belgique un époustouflant reportage : « Les mots de la fin ». On suit une consultation de fin de vie de plusieurs patients. On appréhende toute la complexité, l’humanité et la grandeur au sens noble de la démarche. On voit sans voir, les derniers instants d’un homme qui part libéré entouré de sa famille. On rentre aussi dans l’âme du médecin. C’est bouleversant. A diffuser d’urgence en France.

  9. Avatar de Pascal
    Pascal

    La France, fille aînée de l’église ! Malgré la Révolution déjà bicentenaire, le poids d’un bon millier d’année de christianisme à laissé des traces et notamment dans le monde médical (plus chez les médecins que chez les infirmières )
    La religion qui condame le suicide comme elle condamne l’avortement est encore très présente et notamment à droite de l’hémicycle. Elle est responsable aussi d’une forte emprise sur les corps.
    Hors la mort n’est pas un aboutissement, elle est un processus permanent de transformation qu’on appelle aussi vieillissement. Dans notre corps, des cellules meurent à chaque instant mais nous préférons croire en sa continuité dans le temps. Nous vivons dans le désir fou de maîtriser le temps, parfois même dans le désir de guérir de la mort comme si la vie était unen maladie.
    Notre drame est de croire qu’on nous a « donné » la vie et que ce substrat physique, cet amoncellement de cellules est notre possession. Mais nous ne sommes que des fruits de la vie qui se renouvelle en permanence.

    1. Avatar de François Corre
      François Corre

      Amen ! 🙂

  10. Avatar de yannick BELLENS
    yannick BELLENS

    Même en constatant chaque jour que le monde est naturellement dirigé par les intérêts – souvent très financiers – des uns ou des autres davantage que par la raison, on ne peut qu’être glacé par ce sujet.
    Quelle honte.
    Comment quelques personnes peuvent elle bloquer un projet qui serait voté sans difficulté ?

    Arkao, je note cette information:
    -un expert en marketing, pilier de la « réforme » des universités avec la loi LRU (libéral, nous voila).

    Cette loi est une des pires choses ayant été faite en France ces dernières années. J’y pense à chaque fois que j’entends le nom « Valerie Pecresse ».
    La recherche a été défoncée, avec des chercheurs qui passent la moitié de leur temps à monter des projets pour avoir des budgets et à être en compétition les uns avec les autres.
    Les chercheurs n’ont jamais été bien payés, comme tous ces gens pratiquant des métier « passion ». La loi LRU en a fait des gens stressés et frustrés. Comment penser que leur inventivité n’en a pas été affectée ?
    cf aussi le propos sur les étudiant français qui vont étudier en Belgique, et le recrutement des chercheurs dans ce beau pays.

    Le prix des études a grimpé en flêche dans le supérieur (un master HEC coûte près de 60000€, une école d’ingé, ou aussi veto par ex, qq milliers d’euros par an).
    Ce dernier point commence à scléroser toute la dynamique éducative de la population. Ce ne seront pas les plus méritants qui feront les meilleures études mais ceux qui en auront les moyens. Les autres, ne pouvant pas payer, ne poseront simplement pas candidature, effrayés par les sommes à engager.
    J’ai vu de tel choix autour de moi. Dans des « middle class families » ayant une gestion de ‘bon père de famille’, les études posent maintenant question du fait de leur coût car – inattendue surprise à laquelle les parents avaient moins fait face dans le passé – elles nécessitent de prendre un crédit.
    Me concernant, pour mes enfants, TOUTES mes économies y sont passées et, si je savais que les études étaient un important poste de dépense, je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point. C’était impossible à prévoir car le surenchérissement des coûts est arrivé grâce et après la libéralisation rendue possible par la loi LRU.

    Après l’auto-sélection financière des postulants aux concours – qui réduit de fait la portée sélective de ce dernier – la drastique sélection de quelques « boursiers issus des quartiers chauds » légitime l’aspect méroticratique de l’ensemble.
    C’est très pervers et j’ai du mal à penser que ceux qui ont fait ça ne l’aient pas fait à dessein pour protéger leur entre-soi et celui de leur progéniture.
    De très sales bêtes.

    L’ascenseur social n’est pas en panne. Il a été démonté.

    1. Avatar de Christian Brasseur
      Christian Brasseur

      Ne pas se faire d’illusion sur l’ascenceur social: J’ai lu il y a quelques semaines sur la toile que faire des études n’a pas de conséquence sur le déterminisme social.

  11. Avatar de Otromeros
    Otromeros

    31/10/2021…09h48…

    Tout ce qui précède est tellement bien écrit.. et pertinent..! Je partage , bien entendu. Pour le moins.
    Et pourtant..

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